Pourquoi l’Église se souvient-elle de sainte Marie-Madeleine
à l’Assomption ?
L’habit de Madeleine révélé à Béthanie reflète une perfection cachée de la Bienheureuse Vierge Marie – et l’Église les a unis en la fête de l’Assomption.
P. Henry James Coleridge S.J.
On voit ainsi que les paroles de Notre-Seigneur concernant cette âme bienheureuse contiennent un double éloge et la mettent devant nous comme un exemple, sous un double jour, de ce qui lui était très agréable.
Car il faut distinguer entre l’habitude de l’âme de choisir le meilleur qui nous est révélée, et le choix particulier fait en cette occasion par Marie dans l’exercice de cette habitude de choisir. C’est le choix particulier de Marie qui est surtout mis en évidence par cette nombreuse classe d’écrivains qui, à la suite de quelques-uns des Pères les plus célèbres, considèrent cette anecdote comme une sorte de parabole dans laquelle est exposée l’excellence relative de la vie de contemplation d’une part, et de la vie de service actif et de bonnes œuvres d’autre part.
Marie, assise aux pieds de Notre-Seigneur, et buvant ses paroles de grâce, laissant entre-temps à sa sœur le service actif de la préparation du banquet extérieur, est le type de l’âme contemplative, donnant toute son attention à la prière, à l’exercice des vertus intérieures et à la communion avec Dieu.
Marthe, travaillant de toute son énergie au service extérieur de Notre-Seigneur, représente l’âme vouée aux bonnes œuvres extérieures, de miséricorde, de piété, de religion, de charité, dont le champ est d’une étendue illimitée dans notre condition actuelle, et pour l’amour de celles-ci, se contentant de prières plus courtes, de présences moins fréquentes devant l’autel, voyant Notre-Seigneur dans tous les objets divers sur lesquels, à cause de lui, ses travaux sont si généreusement prodigués, le laissant, pour ainsi dire, dans le tabernacle afin de le trouver dans les pauvres, les malades, les ignorants, les affligés, qu’il a mis à sa place, avec la promesse qu’il considérera que ce qui est fait pour eux est fait à lui-même.
Ces deux sœurs sont très chères à Notre-Seigneur, et les deux vies qu’elles représentent lui procurent une grande joie et une grande gloire.
Ces deux vies sont parfois tout à fait distinctes, parfois elles sont dans une certaine mesure combinées.
La vie active n’est nulle part en sécurité sans l’esprit intérieur et une certaine quantité de retraite religieuse et de paix, pour la préserver de la dégénérescence en activité extérieure vide. La vie contemplative ne peut exister sans un immense feu de charité allumé dans l’âme par la communion avec le Seigneur, qui allume le zèle du cœur en une grande flamme de prière et de désir de la gloire de Dieu, du salut et de la perfection des âmes.
C’est ainsi que le cœur de beaucoup d’âmes contemplatives a été aussi grand instrument de la promotion de la gloire de Dieu par l’avancement de l’Église, la conversion des pécheurs, la propagation de la connaissance de la foi parmi les nations païennes, et ainsi de suite, que les célèbres saints missionnaires eux-mêmes.
L’œuvre de l’Église est soutenue par les prières, les mérites, les souffrances et les travaux des fidèles de chacune de ces vies dans leurs sphères respectives, et notre Seigneur seul sait ce que son Royaume sur la terre doit à chacun.
De même que Marthe s’est avancée au-delà du chemin parfait lorsqu’elle a trouvé à redire à Marie, ou à l’indulgence de Notre-Seigneur envers Marie, de même les enfants de la vie active ne doivent pas se plaindre de l’oisiveté des contemplatifs, ni les contemplatifs ne doivent mépriser l’industrie et le labeur de ceux qui ont cette autre vocation.
C’est la volonté de notre Seigneur d’être servi par les deux, et Il n’appelle pas Ses ouvriers actifs à se détourner de leur activité, sauf de temps en temps, comme Il a appelé Ses Apôtres à « se retirer dans un lieu désert et à se reposer un peu », et Il n’envoie pas non plus, sauf dans certaines grandes situations d’urgence – comme lorsque les moines du désert quittaient leurs grottes et leurs cellules pour lutter pour la foi orthodoxe à l’époque arienne.
Il distribue, comme il veut, ses dons et ses vocations, il ne donne pas à tous la même œuvre, il ne permet pas non plus qu’aucune interférence de la prudence humaine ou du jugement mondain ne vienne troubler la belle harmonie et la variété réglée de tout son système, qui est aussi multicolore et aussi multiple dans ses splendeurs que la terre avec ses fleurs et ses fruits. Chacune est belle dans son degré et dans son genre, et la beauté de l’ensemble est le problème de la combinaison et du contraste des parties.
L’autre grande leçon qui nous est enseignée ici par l’exemple de Marie et par les paroles de notre Seigneur concernant cet exemple, c’est cette règle simple de la raison et de la prudence chrétiennes, selon laquelle l’âme réfléchie exerce continuellement son privilège et son don de choisir ce qui est le mieux.
Quand on énonce simplement cette règle, il semble qu’on puisse penser que personne n’agit raisonnablement et d’une manière qui devienne la dignité d’un être doué de libre arbitre, qui laisse une partie de sa conduite au hasard, et encore moins, qui permet que son choix soit guidé par la passion, ou les préjugés, ou les motifs bas de l’intérêt mondain. Et pourtant, lorsque nous nous tournons vers la vie des saints, nous constatons qu’elle est considérée comme la hauteur la plus ardue qu’ils puissent atteindre, lorsqu’ils sont devenus si familiers avec l’usage du choix toujours orienté vers ce qui est le meilleur qu’il leur est permis, sans imprudence, de faire de cette pratique l’objet d’un vœu spécial.
Les paroles de notre Seigneur donnent un aperçu de l’âme de Marthe et de l’âme de Marie. Marthe, troublée et distraites par une multiplicité d’appels et de soucis, est, par le fait même de son trouble, incapable de guider son choix entre ce qui est naturel, ou bon, ou mieux, ou le meilleur, et ainsi elle cède à l’imperfection d’une plainte au moins disgracieuse et sans discernement. Marie a dès le début guidé son choix avec sa délicatesse habituelle et sa précision de jugement, et ainsi elle gagne de notre Seigneur la défense et la protection les plus consolantes, ainsi que l’assurance supplémentaire que ce qu’elle a choisi ne lui sera pas enlevé.
Et l’on peut considérer comme une beauté particulière l’incident dans lequel cette grande leçon nous est transmise, c’est que le choix de Marie ne se rapporte pas à la disposition de toute sa vie, comme c’est le cas, par exemple, quand ce qu’on appelle une vocation doit être déterminée, mais simplement à l’emploi d’un certain espace de temps court, tandis qu’on faisait les préparatifs pour divertir les invités qui avaient pris sa sœur et elle-même par surprise.
Ces paroles caractérisent toute la vie de cette sainte très glorieuse, car nous les verrons s’appliquer à elle dans ce qui reste à dire d’elle, ainsi qu’à ce qui était passé à l’époque dont nous parlons. Nous verrons ses choix dans la Cène de Béthanie, dans sa place près de la Croix, dans sa conduite lors de la Mise au tombeau, à la Résurrection et après celle-ci.
Tout au long de la vie, elle nous est présentée comme un exemple de l’habitude de choisir le meilleur dans les incidents et les surprises quotidiens de la vie, plutôt que dans les affaires plus importantes. Car il y en aura toujours beaucoup qui régleront ces grandes questions selon les règles de la prudence chrétienne et spirituelle, et qui ne comprendront pas encore combien est précieuse, aux yeux de Notre-Seigneur, l’habitude de choisir sur le même principe, même dans les occasions qui semblent les plus insignifiantes.
Dans chacun de ces choix, il y a toute une gamme de beautés spirituelles, tout un trésor de mérites élevés, dont l’intelligence est l’un des grands fondements de la vie intérieure.
C’est dans une chaîne continuelle de choix de ce genre que la vie de la Sainte Mère de Dieu elle-même s’est dépensée.
Elle n’a pas fait d’actions qui fussent splendides en elles-mêmes aux yeux des hommes, et cependant ses actions les plus petites et les plus ordinaires étaient plus parfaites aux yeux de Dieu que les adorations des plus hauts Séraphins.
Son homonyme et compagne, dans l’incident qui nous occupe, agissait selon le même principe et de la même manière qui rendaient les actions de cette Sainte Mère elle-même si suprêmement agréables à Dieu.
Et l’Église semble reconnaître cette vérité, car elle lit cet Évangile le couronnement de tous ceux qu’elle célèbre en l’honneur de la Sainte Mère. Elle met sans cesse dans la bouche de ses prêtres et de ses enfants, comme la louange qui appartient à celle qu’ils se réjouissent de suivre jusqu’à son trône même dans le ciel le jour de sa glorieuse Assomption, ces paroles prononcées pour la première fois de son homonyme à Béthanie :
« Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée pour toujours. »