Comment Notre-Dame a consenti au sacrifice du Christ et l’a « co-offert »
La raison pour laquelle nous appelons Notre-Dame la « co-rédemptrice » va au-delà d’un simple enthousiasme pieux.
P. Henry James Coleridge S.J.

Notes de l’éditeur
Dans cette partie, le P. Coleridge nous dit...
Il nous montre que la compassion de Marie n’était pas accidentelle mais divinement ordonnée, liant son cœur à toutes les douleurs et à toutes les gloires de la Passion de son Fils.
La « co-offrande » du sacrifice du Christ est une affirmation audacieuse. Le pape Benoît XV a écrit, en des termes qui font écho à ceux de Coleridge :
« Car, comme elle souffrait et faillit mourir avec son Fils souffrant et mourant, elle a renoncé à ses droits de mère sur ce Fils pour le salut des hommes et, pour apaiser la justice divine, elle l’a immolé, autant qu’il lui appartenait, de sorte qu’on peut dire à juste titre qu’elle a, avec le Christ, a racheté la race humaine [Ipsam cum Christo humanum genus redemisse].
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Poignant du chagrin
Il n’est pas exagéré de dire que le cœur de Notre-Dame était si parfaitement uni à la volonté divine que, si cela avait été nécessaire pour son plein accomplissement, elle se serait aidée elle-même à élever son Fils sur la Croix.
Car personne d’autre que Notre-Seigneur ne s’est accroché avec plus de dévotion que Marie à cette volonté adorable, personne d’autre que lui n’y a vu une beauté plus parfaite, une sagesse plus merveilleuse, une compassion et une miséricorde infinies. Personne d’autre que lui n’a vu dans les péchés qui devaient être ainsi effacés une souillure plus mortelle et une dégradation plus répugnante de la créature faite à l’image de Dieu et destinée à sa possession dans l’au-delà. Personne d’autre que lui ne pouvait voir la valeur des grâces qui ont été acquises pour l’humanité par les souffrances de ces heures dans une lumière plus pleine et plus perçante.
Dire cela ne veut pas dire que la compassion de Notre-Dame était en aucune façon moins vive et poignante pour cette raison.
Comme notre Seigneur a souffert à un degré que personne d’autre n’a jamais atteint en termes de douleur, de honte, de fatigue, de désolation et de faiblesse, bien que sa volonté ait été si parfaitement unie à la volonté divine, et qu’il ait eu la certitude la plus parfaite de son triomphe final dans sa résurrection d’entre les morts, de même aussi Notre-Dame pouvait souffrir la douleur la plus intense pour Lui et avec Lui, bien qu’elle eût cette conformité la plus parfaite à la sentence de la justice et de la miséricorde divines qui avaient tout décrété, ses souffrances aussi bien que celles de son Fils.
Au contraire, le caractère solennel et judiciaire des douleurs de la Passion aiguisait toute douleur et ajoutait du poids à chaque coup. Car tout est venu dans la sévérité la plus intense et la plus ininterrompue, comme l’expression de la colère du Père pour les péchés dont son Fils a été revêtu à ses yeux, les péchés qu’il avait faits siens dans le but de les expier, et dont il parle comme des péchés dans plus d’un passage de l’Écriture sainte comme siens.
La colère de Dieu était quelque chose de plus aigu que le fouet, plus amer que le vinaigre et le fiel, plus dur à supporter que les clous et la couronne d’épines. Si toutes les douleurs de la Passion avaient été mises dans une balance, et toutes les colères de Dieu dans l’autre, la première aurait semblé un calice de délice en comparaison de la dernière. Mais les deux croix n’étaient pas, et ne pouvaient pas être, séparées ni dans l’esprit et le cœur de notre Seigneur, ni dans l’esprit et le cœur de Sa Sainte Mère.
Ce n’était pas seulement qu’Il devait beaucoup souffrir. C’est qu’il a dû tant souffrir à cause de la colère de son Père, et à cause du péché. Saint Paul dit que « l’aiguillon de la mort est péché », et on peut dire avec la vérité de toute la Passion de notre Seigneur que le péché était son aiguillon, et que la main qui l’a poussé à la maison était la main de la justice de Dieu.
Elle était fortifiée pour supporter davantage
En dehors de cette considération, il est raisonnable de penser que Notre-Dame, au lieu d’être rendue moins sensible aux souffrances de son Fils ou aux siennes dans la Passion, a été plus probablement fortifiée d’une manière merveilleuse, non contre la douleur qu’elle a dû endurer, mais contre la puissance naturelle de toute cette douleur de lui ôter la vie avant qu’elle n’ait souffert au maximum, selon le décret de Dieu.
Nous avons vu ailleurs qu’il aurait plu à Dieu de l’emmener avant la Passion, de peur qu’elle n’ait à supporter les plus terribles souffrances, mais qu’il avait, dans sa providence, arrangé que ses souffrances extrêmes sur le Calvaire accomplissent une partie de son dessein à son égard et à l’égard de son Fils, et être le fondement d’une autre disposition de la même Providence à l’égard de sa position dans le Royaume fondé sur la Passion. Saint Joseph a été enlevé, mais la Vierge n’a pas été enlevée.
C’était dans les conseils de Dieu qu’elle devait être avec notre Seigneur dans cette dernière scène d’agonie et de tourment, afin qu’il puisse avoir aussi cette souffrance de sa compagnie dans ses chagrins, et qu’elle puisse aussi avoir tout le chagrin supplémentaire à porter qui venait de son témoignage de sa dernière agonie.
On pense que la Divinité de notre Seigneur l’a soutenu miraculeusement, afin, non pas qu’Il puisse avoir du réconfort sous Ses souffrances, mais qu’Il puisse souffrir plus que Son Humanité n’aurait pu supporter sans une assistance spéciale. Il se peut qu’il y ait eu quelque chose du même genre dans les chagrins de Marie sur le Calvaire, et cela est beaucoup plus probable qu’il y ait eu une aide surnaturelle pour l’empêcher de ressentir au maximum ce qu’une mère telle qu’elle était ressentirait en une telle occasion.
Sous une peine
Il est naturel d’ajouter à cela, comme on l’a dit, une autre pensée à laquelle elle conduit naturellement, à savoir que c’est dans la Providence de Dieu que Marie a dû souffrir de cette manière pour l’accomplissement d’un grand dessein de Dieu.
Elle était sous le coup d’une peine, comme son Fils était sous le coup d’une peine. Elle allait maintenant porter les douleurs de l’enfantement qui lui avaient été épargnées lorsque Notre-Seigneur est sorti à Bethléem de son sein très pur et immaculé. La Passion devait lui être communiquée, comme nous le disent les saints, d’une manière et avec un résultat qui n’a pas d’équivalent dans les communications semblables qui ont été faites de temps à autre à quelques-uns des serviteurs choisis de Dieu.
Ses souffrances ne pouvaient participer à l’efficacité rédemptrice qui n’appartenait qu’à celles de Notre-Seigneur. Mais, comme elle devait avoir un si grand pouvoir dans son royaume dans l’application des mérites de la Passion, ainsi qu’une participation si incomparable et unique aux grâces spirituelles qu’elle en a obtenues, il faisait partie du conseil de Dieu, qu’elle, en tant que Mère du Crucifié, devait partager, autant qu’il lui était possible, dans la douleur et dans le mérite du Sacrifice de son Fils.
Sa présence sur le Calvaire n’était pas un accident, mais un conseil de Dieu. Elle y apparaît telle qu’elle apparaît dans le mystère de la sanctification de saint Jean-Baptiste à la Visitation, et dans le mystère du commencement des signes aux noces de Cana. Dans tous ces mystères, Marie est une coopératrice intelligente et volontaire de l’œuvre divine qui s’accomplit, comme elle a été la cause, par son décret, de l’accomplissement de l’Incarnation elle-même.
Dans la Visitation, ses paroles ont amené la sanctification intérieure de l’âme de l’un des plus grands saints, l’âme de laquelle Notre-Seigneur a dit que parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’y en avait pas eu un plus grand que lui. À Cana, ses paroles ont amené l’ouverture des portes de la miséricorde de Dieu sur l’humanité dans les miracles physiques de notre Seigneur. Sur le Calvaire, elle consent, au prix d’une infinité de douleurs qui lui sont propres, au Sacrifice dont dépend la rédemption du monde, et comme elle a une si grande communication des douleurs de ce sacrifice, elle doit aussi gagner par là sa grande communication de ses puissances. C’est alors qu’elle est couronnée comme la seconde Ève, la Mère de tous les vivants.
Sa part dans les souffrances
Quand nous pensons donc à Marie au pied de la Croix, nous devons la considérer comme étant là par la Providence de Dieu pour participer aux souffrances de son Fils, provoquées par le fait qu’on lui a infligé les châtiments dus aux péchés du monde. Nous devons rassembler toutes nos conceptions et conclusions les plus élevées quant à son intelligence de Lui et son amour pour Lui, tout ce qu’elle a appris de Sa dignité et de Son ineffable beauté, Son estime de Lui en tant que Dieu et Homme, tout ce que sa longue étude des beautés de l’Humanité Sacrée, lui a si librement ouvert, s’est accumulé dans son cœur.
Sa longue et tendre familiarité avec lui lui a appris à devancer ses pensées, à lire dans ses regards, à interpréter ses gestes. Elle sait ce qui lui fait mal et lui plaît, ce qu’il recule, ce qu’il aime. Elle connaît la délicatesse de sa pureté, la sensibilité de sa charité, la timidité rétrécie de sa modestie, ainsi que son amour insondable pour les âmes et son dévouement sans bornes à son Père. Et elle a, comme nous le pensons, des sympathies surnaturelles pour Lui aussi, qui lui permettent de lire les desseins, les désirs, les douleurs et les répulsions cachées du Sacré-Cœur.
Elle-même le cœur le plus tendre après le sien, avec des capacités de joie et de douleur auxquelles nos sentiments les plus raffinés sont vraiment ternes et grossiers, elle est lancée dans ces seize ou dix-huit heures, entre la sortie du Cénacle et l’expiration sur la Croix, pour porter dans son cœur ce qu’il porte dans le sien, et dans son corps aussi. Elle n’a perdu aucune douleur, ni aucune démonstration de caractère, ni aucun exemple de vertu.
Elle note quand Il parle en tant que Dieu, comme lorsqu’Il a renversé la bande armée par la simple parole : « Je suis Lui », lorsqu’Il parle en tant que Juge, comme lorsqu’Il a annoncé au Sanhédrin Sa venue sur les nuées du ciel, Lorsqu’Il parle en tant que Roi, comme à Pilate et au larron, lorsqu’Il témoigne de la vérité, comme devant les tribunaux chaque fois qu’il parlait, qu’il usait de son pouvoir de conversion, qu’il regardait Pierre, qu’il avait compassion pour les femmes de Jérusalem, qu’il avait accompli un travail de charité patient pour le gouverneur romain, qu’il avait gardé un silence sévère à l’égard d’Hérode, qu’il avait une douleur poignante pour Judas, qu’il avait pitié de ses bourreaux. Rien n’est sans réponse dans son cœur, tout y est gardé et médité.
Trois parties dans la Compassion
Il convient peut-être de diviser notre réflexion sur la Compassion de Marie en trois parties, selon les étapes de l’histoire auxquelles elle a pris part d’une manière différente.
Pendant plusieurs heures, nous ignorons combien de temps, il semble probable qu’elle n’a été témoin des actions de Notre-Seigneur que spirituellement. Il n’est pas facile de penser qu’elle était présente dans le jardin, ou à l’appréhension de Notre-Seigneur, ou de supposer qu’elle l’a suivi dans le palais du grand prêtre, ou à travers les rues jusqu’au prétoire.
La première partie de la Passion, presque jusqu’à la Flagellation, fut donc passée par Notre-Dame dans un endroit retiré tout proche, d’où elle pourrait être appelée par saint Jean quand le moment serait venu de ce qu’il était ordonné qu’elle témoignerait.
S’ensuivirent plusieurs heures pendant lesquelles elle fut soit proche, soit peu éloignée de Notre-Seigneur, et où elle fut témoin de presque tout ce qui se passait, sauf peut-être quand il était seul avec Pilate. Cet espace de temps comprend également la sentence finale, le chemin de croix et la crucifixion.
Nous pouvons faire commencer la troisième partie de la Compassion lorsque les exécutions ont fait leur œuvre. Les cris et les moqueries s’éteignent peu à peu, les ténèbres s’accumulent dans lesquelles sont enveloppées les Trois Heures. C’est le temps des mystères les plus solennels, des Sept Paroles, du vinaigre et du fiel, de l’expiration de l’Âme de notre Seigneur dans les mains de Son Père.
Mais avec Notre-Seigneur la Passion se termine avec sa mort, avec Marie la compassion dure au-delà de sa mort. Elle doit être témoin de la transperce de son Cœur, de l’eau et du sang, de la naissance de l’Église. Le jour revient éclairer le silence solennel dans lequel il est enlevé de la croix et déposé d’abord dans ses bras, puis dans le sépulcre. Puis, alors que les ombres du soir s’épaississent autour d’elle, elle le laisse là, la pierre roulée et la garde romaine s’approchant pour veiller autour du tombeau.