Marie-Madeleine a-t-elle oint les pieds du Christ ?

 

Était-elle la même femme que Marie de Béthanie, sœur de Marthe et de Lazare ? Et, étant donné qu’il y avait deux onctions, était-elle responsable des deux, d’une ou d’aucune ?

P. Henry James Coleridge S.J.

Les autres onctions

Il n’est guère nécessaire de mentionner ici la controverse qui a été menée sur l’identité de cette onction de Notre-Seigneur avec celle qui est mentionnée par les trois autres évangélistes comme ayant eu lieu lors de la Cène de Béthanie, la veille du dimanche des Rameaux.

Rien ne peut mieux montrer jusqu’où peuvent être amenés certains écrivains par le désir de faire parler les évangélistes des mêmes occasions lorsqu’ils racontent des actions semblables. Tous les vrais principes de l’harmonie devraient être abandonnés, si nous étions obligés de croire que l’action et l’occasion dont il est question ici étaient la même action et la même occasion que celles mentionnées à une époque beaucoup plus tardive par saint Matthieu, saint Marc et saint Jean.

Les trois, deux ou une personnes

La distinction entre les deux onctions ayant été supposée, il reste à dire quelques mots sur la personne à qui l’action est attribuée dans chaque cas. Il est question ici de trois personnes, ou deux, ou d’une.

Le premier endroit est dans son onzième chapitre, où, lorsqu’il introduit l’histoire de Lazare, il nous dit que Marie, sa sœur, était la personne qui a oint notre Seigneur et lui a essuyé les pieds avec ses cheveux. C’est avant la seconde onction, qui eut lieu lors du repas de Béthanie. Le second est dans le récit qu’il a fait de ce repas, lorsqu’il nous dit, en parlant de la famille de Lazare, que Marie a pris la livre de l’onguent et a oint notre Seigneur.

Ainsi, en ce qui concerne ces textes, à l’exception de l’élément de l’un d’eux dont nous parlerons tout à l’heure, nous pourrions supposer que la « pécheresse » a été la première oindre notre Seigneur, la seconde Marie la sœur de Lazare, et que Marie-Madeleine n’a rien à voir avec les onctions.

Ou bien nous pouvons supposer, si nous le voulons, que la « pécheresse » et Marie, la sœur de Lazare, sont la même personne, mais distincte de la Madeleine ; ou encore, que Madeleine est la « pécheresse », et que  Marie, la sœur de Lazare, une autre personne ; ou encore, que la « pécheresse » et la sœur de Lazare et de Marie-Madeleine sont la même personne. C’est la tradition et l’opinion reçues de l’Église, bien que, comme il est tout naturel, il y ait des autorités et des traditions qui ne sont pas d’accord avec cette opinion.

Marie-Madeleine en tant que « pécheresse »

L’identité de la « pécheresse » avec Marie-Madeleine nous semble un fait presque trop reconnu pour être mis en doute, et elle est confirmée par la déclaration faite à propos de sainte Marie-Madeleine, à la fois par saint Luc, en ce lieu, et par saint Marc dans son récit de la Résurrection. que notre Seigneur avait chassé d’elle sept démons. Elle avait donc été une personne « possédée », et il est tout à fait probable qu’une telle personne aurait été une pécheresse, bien qu’on ne nous dise pas de quelle nature ou de quelle mesure ses péchés avaient été.

Mais cette identification de la bienheureuse Madeleine avec la « pécheresse » mentionnée ici est sujette à quelques difficultés plausibles, et on ne peut pas dire qu’elle soit directement prouvée par un passage des Évangiles. L’identification de la pécheresse avec Marie, la sœur de Lazare, est beaucoup plus facile. Elle repose, en premier lieu, sur la déclaration directe de saint Jean, qui, lorsqu’il mentionne pour la première fois la sœur de Lazare, parle d’elle comme de la personne qui a oint notre Seigneur. Comme ce passage de saint Jean se rapporte à un temps antérieur à la seconde onction, il est naturel de comprendre que l’évangéliste veut dire que la Marie dont il parle maintenant est la personne qui avait oint Notre-Seigneur quelque temps auparavant, c’est-à-dire à la première onction.

On peut ajouter qu’aucune raison ne peut être attribuée à cette déclaration de Saint-Jean, à moins qu’elle ne soit comprise de cette façon. Il allait parler de la seconde onction, et il serait tout à fait hors de son caractère habituel de parler par anticipation de la personne qui devait l’accomplir comme l’ayant accomplie. S’il voulait identifier Marie avec la « pécheresse » de saint Luc, le passage est intelligible.

Encore une fois, il n’aurait pas parlé d’elle comme de ή ἀλειψασα, si laction était encore future, mais comme de la personne qui « devait » oindre notre Seigneur, comme il parle de Judas comme de lApôtre qui devait le trahir. En ce lieu (c. VI. 71), comme en un autre (c. vVII. 29), où saint Jean parle de ce qui était futur à l’époque des incidents quil écrit, mais passé à l’époque où il écrivait, il utilise le verbe auxiliaire μἐλλειν au lieu de laoriste de lautre verbe. Pour ces raisons, il est certainement difficile de ne pas supposer que Marie, la sœur de Lazare, était la « pécheresse ».

C’est une action qui appartient, pour ainsi dire, à une personne, qui pourrait la répéter dans une occasion comme celle de la Cène, où elle avait tant de raisons nouvelles d’amour et de reconnaissance envers Notre-Seigneur, et où, de plus, elle pouvait bien avoir eu quelque pressentiment de sa mort prochaine. Imiter l’action d’une autre personne n’aurait pas été si naturel, et cela n’aurait pas suffi pour assurer à la Marie dont nous parlons l’épithète que saint Jean lui donne comme « l’Ointe de Notre-Seigneur ».

Le nom de « Madeleine » n’a jamais été donné

Le seul point, comme on l’a dit, où l’argument en faveur de l’identification de la « pécheresse » et de la sœur de Lazare avec sainte Marie-Madeleine n’est pas absolument démonstratif, c’est que le nom de Madeleine n’est jamais donné à l’un ou l’autre dans les passages où l’un ou l’autre est certainement mentionné. En même temps, on peut à juste titre soutenir que ce silence s’explique facilement, et, en fait, que l’ensemble du récit pris ensemble comble presque sinon entièrement l’absence d’identification par le nom.

Le seul évangéliste qui nomme Marie sœur de Lazare comme l’onction à Béthanie est saint Jean. Si on nous demande pourquoi il ne l’appelle pas la Madeleine, et pourquoi, au contraire, il utilise l’épithète de Madeleine lorsqu’il parle des femmes au pied de la Croix et lorsqu’il raconte l’histoire de la Résurrection, la réponse est à portée de main. Dans ces deux lieux là où il parle de Marie-Madeleine, il y a d’autres Marie, soit mentionnées par lui-même, soit présentes à son esprit, dont elle devait être distinguée. Il n’en est pas ainsi dans le récit du repas à Béthanie. Il semble que ce soit la façon de saint Jean de l’appeler Marie, simplement, quand il le peut, et de n’utiliser l’autre nom, Madeleine, que lorsqu’il y est obligé par souci de distinction.

L’ensevelissement du Christ

Et en second lieu, l’histoire de la Cène de Béthanie elle-même suffit à identifier Marie, sœur de Lazare, avec la Marie-Madeleine de la Résurrection. Car notre Seigneur parle de l’onction qui était alors pratiquée comme une partie de ses rites funéraires, et ordonne aux disciples de laisser Marie garder ce qu’elle a fait pour sa sépulture. Ces paroles semblent impliquer que la Marie dont notre Seigneur a parlé serait certainement la première dans les efforts des saintes femmes qui suivaient ses disciples pour oindre et embaumer son corps sacré, mais qu’elle ne serait pas en mesure de faire alors ce qu’elle avait fait à Béthanie.

Il est presque impossible de supposer que cette Marie aurait été absente à ce moment-là, ou que sa présence n’aurait pas été remarquée. Mais rien n’est dit dans l’histoire de la Résurrection de Marie, sœur de Lazare, si ce n’est qu’elle soit la même personne que Marie-Madeleine. S’il s’agit de la même personne, alors les paroles de notre Seigneur au repas sont faciles à comprendre, et toute l’histoire de ce fervent amant de ses amis devient complète.

Raisons pour lesquelles saint Luc ne l’a peut-être pas nommée serge

Beaucoup d’autres arguments d’un genre moins direct ont été avancés pour cette opinion, qui est celle que l’Église suit dans ses offices pour la fête de sainte Marie-Madeleine. Nous pouvons également éliminer une cause possible de difficulté. Saint Luc, dans le récit de la pécheresse, dont l’onction est le sujet de son récit, ne lui donne aucun nom. Mais presque immédiatement après, il parle d’un certain nombre de femmes qui ont suivi le Seigneur dans son circuit missionnaire, et parmi ces femmes, il nomme Marie de Magdala. Il semble étrange que, lorsqu’il la nomme ainsi, il ne fasse aucune allusion à la scène qu’il vient de décrire. La réponse à cette difficulté est double.

En premier lieu, il est juste de supposer que saint Luc aurait omis le nom de sainte Marie-Madeleine dans la première scène par respect pour elle, parce qu’il y parle d’une femme qui était une « pécheresse » bien connue. Mais il la nommerait quand il viendrait parler des saintes femmes qui servaient notre Seigneur.

En second lieu, il est très probable que nous avons ici un exemple de la jonction de deux pièces distinctes dans ce que nous pouvons appeler la collection de saint Luc. Le fragment, pour ainsi dire, sur le pécheur appartient à une section distincte de l’œuvre, et le fragment sur les saintes femmes à une autre. Et cela peut expliquer l’absence dans le texte de toute référence à l’anecdote précédente.

Certaines objections sont simplement celles des pharisiens

Les autres difficultés qui ont été soulevées contre l’identité de sainte Marie-Madeleine et du « pécheur » dans ce passage, à cause de la prétendue improbabilité que notre Seigneur ait permis à une telle personne, comme on suppose souvent que cette femme l’a été, de le servir et de le suivre en compagnie des saintes femmes, il n’est pas nécessaire de s’y attarder ici. Ce ne sont pour la plupart que des échos du discours du pharisien à son sujet, tel que rapporté par saint Luc. Quoi qu’il en soit, il sera préférable de s’en occuper lorsque le moment sera venu de discuter en détail tout ce qui est raconté ici à son sujet.