La vie chrÉtienne À l’École de la Vierge Marie selon saint Jean Eudes
« Nous ne devons pas séparer ce que Dieu a uni si parfaitement. Qui voit Jésus voit Marie, qui aime Jésus aime Marie. Celui-là n’est pas vraiment chrétien qui n’a pas de dévotion à la Mère de Jésus-Christ et de tous les chrétiens » (Œuvres Complètes, vol. I, p. 337, Lecture 50).
« Il nous faut regarder et adorer son Fils en elle, et n’y regarder et adorer que lui. Car c’est ainsi qu’elle veut être honorée, parce que d’elle-même et par elle-même, elle n’est rien : son Fils est tout en elle » (Œuvres Complètes, vol. I, p. 338, Lecture 50).
Dans la tension de ces deux citations, nous pouvons saisir le souci de saint Jean Eudes (SJE) (prêtre normand, 1601-1680) : donner une place à la Vierge Marie dans la vie et la dévotion chrétiennes, n’occulter en rien la place de Jésus-Christ.
Voilà la clé de la dévotion mariale chez Jean Eudes. Oui, Marie a une place importante, mais c’est à cause de son union à son Fils. « Elle n’est rien sans son Fils qui est tout en elle. » Cette considération doit nous interpeler dans notre pratique. Quand nous méditons le chapelet, nous ne contemplons pas la vie de Marie, mais les étapes et les mystères de la vie du Christ, dont Marie a été témoin et auxquels elle a été unie. Pour saint Jean Eudes, la dévotion mariale est contemplation de l’union indissociable du Christ et de Marie. « Son Fils Jésus est tout en elle : il est son être, il est sa vie, sa sainteté, sa gloire. Il faut le remercier et nous offrir à lui pour qu’il nous fasse participants de l’amour qu’elle lui a porté » (Œuvres Complètes, vol. I, p. 337, Lecture 50).
Nous avons donc à contempler et respecter cette union : être de Marie – être de Jésus, vie de Marie – vie de Jésus, sainteté de Marie – sainteté de Jésus, gloire de Marie – gloire de Jésus.
1. Sources scripturaires
Avec Luc, nous découvrons une femme banale, une jeune fille promise. Ce qui retient notre attention, c’est son « OUI » (Luc 1,38). À partir de ce « OUI », elle est unie au Christ. Elle le porte. Comme toute mère elle le portera toujours, jusqu’à avoir son cœur transpercé d’un glaive de douleur quand ce Fils mourra. À la Visitation, qu’est-ce que reconnaît Elisabeth ? « Comment ai-je ce bonheur que la Mère de mon Sauveur vienne jusqu’à moi » (Luc 1,43). Sous l’action de l’Esprit, Elisabeth authentifie l’union de Marie qui porte Jésus.
Marie favorise le passage de son union au Christ à notre union au Christ
À la crèche, la mère et l’enfant sont très proches. Mais Marie n’est pas propriétaire du don de Dieu. Aux bergers, aux mages, elle donne son fils à contempler, à reconnaître comme signe de l’œuvre de Salut de notre Dieu. Au Temple, elle laisse Syméon, cet inconnu, prendre l’enfant et lui-même en devenir porteur. Dès la naissance de Jésus, Marie découvre qu’elle doit communier à son offrande. Marie partage son union ; elle favorise le passage de son union au Christ à notre union au Christ. Cette part sacrificielle de sa vie en union au sacrifice du Christ, Marie l’expérimente peu à peu. C’est la leçon que nous pouvons retenir du pèlerinage au Temple quand Jésus eut douze ans (Luc 2,41-50). Elle doit apprendre que c’est au Temple, au lieu même du sacrifice, que son Fils doit être, dans l’accomplissement de la mission donnée par son Père. Et Marie doit y être aussi.
C’est ainsi que nous pouvons comprendre aussi l’épisode qui nous est rapporté de la rencontre de Jésus et de sa Mère alors qu’il est sur les routes (Matthieu XII, 46-50 ; Marc III, 31-35 ; Luc VIII, 19-21). Souvent, ces passages sont interprétés comme sévères vis-à-vis de Marie quand Jésus interroge : « Qui est ma mère ? » Mais la réponse du Seigneur est bien un éloge : « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est ma mère. » Il n’y a pas de plus beau compliment fait à la Vierge Marie dans tout l’Évangile ! C’est bien elle qui fait la volonté de Dieu. Marie est bien celle par excellence qui communie à la volonté de Dieu, comme son Fils. Dans cette union totale avec le Fils, elle a souvent dit les paroles de Gethsémani : « Non pas ma volonté Seigneur, mais la tienne » (Luc 22,42).
Et c’est à partir de ces méditations de l’union du Christ et de Marie, que saint Jean Eudes a été conduit à contempler leur intimité. Et tout naturellement, il la situe dans le Cœur.
2. Saint Jean Eudes nous donne la fête du Cœur de Marie
L’image du Cœur pour dire l’union entre deux êtres nous paraît naturelle et banale. Mais au temps de Jean Eudes, cela demeure inédit. Le saint est bien le premier à célébrer une messe en l’honneur du Cœur de Marie. Il y contemple l’union parfaite de Jésus et de Marie. Ils n’ont qu’un Cœur. « C’est le Cœur de la Fille unique et bien-aimée du Père éternel ; c’est le cœur de la Mère de Dieu ; c’est le cœur de l’Épouse du Saint-Esprit ; c’est le cœur de la Mère très bonne de tous les fidèles. C’est un cœur tout embrasé de l’amour de Dieu, tout enflammé de charité envers nous » (OC VII p.461, Lect 53).
Dès que saint Jean Eudes contemple l’unité du Cœur de Jésus et Marie, nous basculons dans l’élan de l’amour de Dieu. Quand il décrit l’amour qui unit Jésus et Marie, il le situe dans le cœur de chacun d’eux. Et ce qu’il y découvre, c’est que ce cœur n’aime pas que Jésus, ou qu’il n’aime pas que Marie, il est « tout enflammé de charité envers nous ».
Dans l’Évangile de Jean, au chapitre 2, nous voici à Cana. Jésus et Marie sont là, ensemble, encore et toujours. Regardons Marie. Elle se préoccupe de la situation, elle est charité pour les mariés. Et se faisant, elle ne met pas le projecteur sur elle, mais sur son Fils : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jean 2,5). SJE décrit ce mouvement : un amour qui unit Jésus et Marie, qui est ouvert sur l’amour pour tous les hommes et permet qu’ils rencontrent le Christ.
Cette dynamique culmine à la Croix. Jésus et Marie sont là, ensemble, encore et toujours. « Jésus dit à sa Mère : « Femme voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » » (Jean 19, 26-27). Tout est dit. Tout est vécu. L’amour culmine dans ce don. Jésus est donné. Marie aussi. De Mère du Christ, elle devient Mère des hommes. Son amour pour son Fils devient amour pour nous. Le Cœur de Marie, c’est le cœur de la Mère du Christ qui aime tous les hommes, avec un cœur de Mère. « Le Cœur de Marie est tout amour pour Dieu, car il n’a jamais rien aimé que Dieu seul […]. Il est tout amour, parce que la Vierge Marie a toujours aimé Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces. Il est tout amour parce qu’il a toujours voulu ce que Dieu voulait. […] Le Cœur de Marie est tout amour pour nous. Elle nous aime du même amour dont elle aime Dieu, car c’est Dieu qu’elle regarde et aime en nous. Et elle nous aime du même amour dont elle aime son Fils. Car elle sait qu’il est notre chef et que nous sommes ses membres » (Œuvres complètes, vol. VIII, p. 114, Lecture 53).
Voilà qui donne le vertige. Car si nous contemplons ce que Dieu a fait en Marie, nous sommes conduits à prendre conscience de ce qu’il a fait pour nous et, dans le même mouvement, à reconnaître combien nous lui en sommes redevables ! Nous pourrions fuir, nous estimer indignes de tels bienfaits. C’est à cause de ce risque qu’il y a le Carême. Il nous prépare à vivre la grandeur du don que Dieu nous fait et que nous célébrons à Pâques. Et c’est pour que nous ne fuyions pas que SJE lance cet appel : « Vous tous qui avez soif, venez boire à cette source. Hâtez-vous ! Pourquoi différez-vous d’un seul moment ? Vous craignez de faire du tort à votre Sauveur si vous vous adressez au Cœur de sa Mère ? Mais ne savez-vous pas que Marie n’est rien, n’a rien, ne peut rien que de Jésus, par Jésus et en Jésus ? Que c’est Jésus qui est tout, peut tout, et fait tout en elle ? Ne savez-vous pas que non seulement Jésus est résidant et demeurant continuellement dans le Cœur de Marie, mais qu’il est lui-même le Cœur de son Cœur, et qu’ainsi venir au Cœur de Marie, c’est venir à Jésus » (Œuvres Complètes, vol. VI, p. 148, Lecture 52).
Alors n’ayons pas peur. Comme Jean y a été invité au pied de la Croix, prenons Marie chez nous (Jean 19,27). C’est aussi l’expérience de Joseph : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, car l’enfant qu’elle porte, vient de l’Esprit Saint » (Matthieu 1,20). Nous voici dans notre troisième moment auquel nous invite saint Jean Eudes : vivre avec Marie.
3. La vie chrétienne à l’école de la Vierge Marie
Le Cœur de Marie nous est donné pour devenir le nôtre, le siège du même amour, la force du même accueil de la volonté de Dieu, la capacité de la même offrande de notre vie. Mettons-nous à l’école de l’amour débordant de ce Cœur. « Ce Cœur admirable est l’exemplaire et le modèle de nos cœurs, et la perfection consiste à faire en sorte qu’ils soient autant d’images vives du saint Cœur de Marie » (Œuvres Complètes, vol. VIII, p. 431, Lecture 52). Saint Jean Eudes parle de Marie comme le prototype du chrétien puisque le Cœur de Marie est le modèle de notre cœur. Si nous nous référions au Cœur de Jésus seul, il paraîtrait normal qu’il soit la perfection de l’amour. Il est Dieu. Mais dans le Cœur de Marie, nous puisons le grand encouragement qu’un cœur humain puisse aimer de la sorte. Nous croisons ici toute la dynamique de la vie chrétienne prêchée par SJE. Il s’agit de « former Jésus en nous », de nous laisser configurer au Christ pour aller jusqu’à « continuer la vie de Jésus ». Voilà le programme. Impossible à remplir sans suivre l’exemple encourageant de Marie, sans être habité de l’amour de Dieu.
Pour le dire autrement, c’est en considérant l’œuvre de Dieu en Marie que nous pouvons comprendre notre vocation. C’est en contemplant son expérience que nous pouvons découvrir comment nous aussi, comme Marie, nous pouvons être accueil de la Parole qui nous est dite de la part du Seigneur et faire la Volonté de Dieu. « Qui sont ma mère, mes frères et mes sœurs ? Ce sont ceux qui écoutent la Parole et qui la mettent en pratique » (Luc 8,21). C’est bien en ce sens de notre vocation baptismale que nous devons laisser Marie être notre Mère, celle qui nous éduque, nous conduit sur le chemin de sa vie de communion à son Fils. Marie, peu à peu, fait que, comme elle, nous portions le Christ au monde.
Notre cœur doit avoir une double orientation : aimer Dieu comme Marie à Cana qui va trouver son Fils, comme Marie du pèlerinage au Temple qui n’a de cesse de retrouver son Fils ; et aimer tous les hommes comme Marie de Cana qui se préoccupe de la situation, comme Marie de la Croix qui devient la mère de Jean, de nous tous.
À nous d’aller de l’avant dans cette lancée. Nous devons être à l’école du Cœur de Marie dont saint Jean Eudes décrit l’activité débordante : « Ô très douce et très pieuse Vierge Marie, vous qui regardez des yeux de votre bonté tant de misère et tant de misérables, dont toute la terre est remplie ; tant de pauvres, tant de veuves, tant d’orphelins, tant de malades en toutes manières, tant de captifs et de prisonniers, tant d’hommes qui sont traversés et persécutés par la malice des hommes, tant d’indéfendus qui sont opprimés par la violence de ceux qui sont au-dessus d’eux, tant de voyageurs et de pèlerins qui sont au milieu des périls, sur mer et sur terre, tant d’ouvriers évangéliques qui sont exposés à mille dangers pour sauver des âmes qui se perdent, tant d’esprits affligés, tant de cœurs angoissés, tant d’âmes travaillées de diverses tentations … » (Œuvres Complètes, vol. VII, p. 32, Lecture 57). À l’école de la Vierge Marie, c’est bien vers eux tous que nous devons orienter notre regard pour apporter, comme elle, la guérison par l’amour de son Fils.
Entendons pour nous-mêmes la réponse de Jésus : « Heureuse celle qui t’a nourri de son lait. – Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique » (Luc 11, 27-28). Vivons de cette béatitude vécue par Marie.
Saint Jean Eudes et son œuvre.
Jean Eudes est né le 14 novembre 1601 près d’Argentan, en Normandie (Orne). Il est scolarisé au collège jésuite de Caen, mais il est pasteur plus que théologien et ne deviendra jamais jésuite. Il désire humblement porter l’Évangile au plus loin, parmi les gens démunis. Favorable aux mouvements nés dans le sillage du concile de Trente (1545-1563), Jean Eudes entre le 23 mars 1623 dans la Société de l’Oratoire de Paris, fondée par le cardinal Pierre de Bérulle. Il y est ordonné prêtre le 20 décembre suivant puis complète sa formation en théologie. En 1627, il retourne en Normandie. C’est un choc. Il y découvre misère, ravages de la peste et délinquance. Selon lui, les fidèles souffrent de solitude ; son devoir sera de leur envoyer des prêtres bien formés pour le Salut de l’âme et la guérison du corps. Il est ému par la précarité des femmes souvent contraintes de se prostituer. En 1641, il fonde l’œuvre de Notre-Dame du Refuge pour les femmes de mauvaise vie repenties, avec le soutien de laïcs influents, mouvement bientôt confié à des religieuses. Il franchit un pas décisif en créant à Caen le 25 mars 1643 la Congrégation de Jésus et Marie, aidé de sept prêtres (les « Eudistes »). L’objectif de Jean Eudes est clair : participer à l’effort de réforme voulu par les Pères du concile de Trente et peu à peu mis en œuvre dans la France de Louis XIII, en ouvrant des séminaires destinés à la formation de prêtres « selon le Cœur de Dieu » en les préparant à leurs missions évangélisatrices et à leurs engagements pastoraux (paroisses, écoles, aumôneries, etc.). Les Eudistes sont donc voués à former les prêtres et à prêcher dans les paroisses, notamment rurales.
Un premier séminaire ouvre ses portes à Caen, avec le soutien épiscopal de Mgr François Molé (évêque de Bayeux de 1652 à 1654) puis de son successeur, Mgr Servien. Le prélat cède plusieurs terrains à Jean Eudes en 1658 lui permettant d’agrandir les locaux. Le 20 mai 1664, la première pierre d’une nouvelle église, dédiée aux Très Saints Cœurs de Jésus et Marie, est posée. Deux ans plus tard, c’est la consécration : le 2 janvier 1666, une bulle du pape Alexandre VII entérine la fondation des Eudistes. La dédicace de la nouvelle église est également confirmée en 1674 par le pape Clément X. Inspirée de l’église romaine du Gesù, l’édifice est consacré le 23 novembre 1687. La congrégation grandit.
Jean Eudes rend son âme à Dieu le 19 août 1680. Sa congrégation a grandi. Le saint est inhumé dans le chœur de l’église encore inachevée à cette date. À sa disparition, Jean Eudes a prêché 110 missions en 40 ans, dont les trois quarts en Normandie. Ses prédications avaient lieu aussi bien auprès des humbles que des puissants : la reine Anne d’Autriche fit partie de ses auditeurs.
Le séminaire de Caen prend de l’importance jusqu’à la Révolution. Des travaux y sont effectués entre 1691 et 1703 : un petit séminaire ouvre ses portes sous la forme d’un internat pour les jeunes garçons. En 1789, les Eudistes gèrent 16 séminaires dans l’Ouest de la France. Mais les évènements révolutionnaires portent un coup rude à la congrégation. L’église de Caen est transformée en salle municipale. En 1809, le séminaire devient bibliothèque municipale puis musée des Beaux-Arts. Il sera détruit lors de la bataille de Caen en 1944. Toutefois, en 2009, les Eudistes comptent 409 membres répartis dans 18 pays. En France, ils vivent dans sept communautés installées dans six diocèses ; « amis » et « associés » laïcs profitent de leurs bienfaits spirituels sans prononcer de vœux.
Pragmatique, homme de terrain, le saint n’en laisse pas moins une œuvre écrite de premier plan. Sa spiritualité met l’accent sur les grands thèmes du Concile de Trente qu’il a contribué à introduire en France : rôle du sacerdoce, devoir de la mission évangélisatrice, fidélité à l’Église, engagement de chaque baptisé, piété mariale… Enfin, saint Jean Eudes demeure le plus grand propagateur du culte du Sacré Cœur à l’âge classique. En 1648, lors d’une mission à Autun, il fait célébrer la messe du Cœur de Marie conçue par ses soins ; en 1672 à Caen, puis dans quatre autres séminaires, c’est la messe et l’office du Cœur de Jésus que célèbrent les Eudistes.
En 1810, ses restes sont transférés dans l’église de Notre-Dame de la Gloriette à Caen. Il est béatifié par Pie X en 1909 puis canonisé en 1925 par Pie XI. En 2014, les évêques français se prononcent favorablement pour que saint Jean Eudes devienne un jour Docteur de l’Église.
La fondation de Notre-Dame du Refuge.
Sensibilisé dès 1627 par le sort des femmes de Normandie forcées à se prostituer pour vivre, saint Jean Eudes tente de trouver des solutions. Avec son ami Jean de Bernières, ancien camarade de classe au collège des Jésuites, il commence en 1634 à chercher des familles d’accueil pour aider les femmes repenties à retrouver la stabilité et à bien repartir dans la vie. L’opération est un succès, mais les familles ont du mal à tenir sur la durée. En 1641, Madeleine Lamy, qui a elle-même accueilli plusieurs femmes, croise Jean Eudes lors d’une promenade dans le faubourg Saint-Julien de Caen et lui explique très vertement que la situation ne peut plus durer : « Travaillez donc plutôt à fonder une maison pour ces pauvres filles qui se perdent faute de ressources et de direction… » Il faut plusieurs interventions de Mme Lamy pour que Jean Eudes trouve enfin une solution plus adaptée. Dans une maison louée par Jean de Bernières, près de l’église Saint-Jean de Caen, et meublée par des amis, avec l’aide d’une protestante convertie, Madeleine Morin, le saint installe le 25 novembre 1641 l’œuvre de Notre-Dame du Refuge, plus tard appelée Notre-Dame de Charité. Il s’agit d’un « hôpital pour les âmes » où les religieuses cohabitent avec des prostituées repenties. Après plusieurs péripéties, la maison est prise en main par les Visitandines. L’ordre est reconnu par l’évêque de Bayeux le 8 février 1651. Sept autres communautés essaimeront en France aux XVIIe - XVIIIe siècles, avant la fermeture de l’ordre à la Révolution, puis sa restauration et son internationalisation au XIXe siècle (Angleterre, pays de Galles, Irlande, États-Unis, Canada…).
Saint Jean Eudes et le Sacré-Cœur.
Outre la création des Eudistes, saint Jean Eudes est connu pour être le plus grand propagateur du culte du Sacré-Cœur à l’âge classique. Le 8 février 1648, lors d’une grande mission à Autun, il fait célébrer la messe du Cœur de Marie, conçue par ses soins après plusieurs années de réflexion. C’est une grande première dans l’histoire de l’Église, dont le saint s’est dit « à la fois confus et fier ». La spiritualité du Cœur Immaculé de Marie devait connaître un essor fulgurant, notamment favorisé par les papes Pie VII et Pie IX au XIXe siècle, puis par les apparitions de la Vierge à Fatima en 1917. Le 31 octobre 1942, en plein tournant de la Seconde Guerre mondiale au profit des Alliés, Pie XII consacra le monde au Cœur de Marie. Le 4 mai 1944, le pape étendit la fête du Cœur Immaculé de Marie, fixée à l’octave de l’Assomption (22 août), à l’Église universelle. On peut aussi la célébrer le lendemain de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, pour insister sur le lien entre ces deux cœurs.
Parallèlement, saint Jean Eudes a en effet créé le 20 octobre 1672 à Caen, puis dans quatre autres séminaires, la messe et l’office du Cœur de Jésus, que célèbrent bientôt tous les Eudistes. Cette dévotion au Sacré-Cœur de Jésus est popularisée peu après grâce aux apparitions de Jésus à la religieuse sainte Marguerite-Marie Alacoque (1675). Au cours de la grande peste de 1720-1721, les diocèses de Marseille et de Toulon se consacrent au Sacré-Cœur. Le 23 août 1856, le pape Pie IX étend sa fête dans toute l’Église, le vendredi qui suit le deuxième dimanche après la Pentecôte.
- Frey Pascal, Une Expérience spirituelle avec saint Jean Eudes, Éd. de l’Emmanuel, 2010.
- Id., Saint Jean Eudes, une pensée par jour, Médiapaul, 2011.
- Krumenacker Yves, L’École française de spiritualité. Des mystiques, des fondateurs, des courants et leurs interprètes, Cerf, 1998.
- Leblanc Paulette, Saint Jean Eudes, fondateur et saint, Reims, Alex-Diffusion.
- Milcent Paul, Saint Jean Eudes. Un artisan du renouveau chrétien au XVIIe siècle, Cerf, 1992.
- Textes de saint Jean Eudes tirés du Lectionnaire propre à la Congrégation de Jésus et de Marie (Paris, 1977), en ligne sur www.eudistes.fr