Les stigmates de saint François, blessures d’amour
À la mi-août 1224, frère François se retire avec plusieurs compagnons sur le mont Alverne, en Toscane, afin d’y vivre la retraite appelée le « carême de la Saint-Michel » – les quarante jours qui séparent l’Assomption, le 15 août, de la fête de l’archange, le 29 septembre. Alors qu’il médite de toute son âme les souffrances de Jésus, François ose demander au Crucifié la grâce de partager autant que faire se peut ses douleurs. Un séraphin, c’est-à-dire un ange du premier chœur céleste, lui apparaît alors attaché à une croix, et de ses blessures jaillissent « des rayons de feu et de lumière » qui vont imprimer de manière indélébile dans la chair de François les plaies visibles et sanglantes de la Passion de Jésus, déclenchant des souffrances indicibles qui ne le quitteront jamais jusqu’à sa mort, le 3 octobre 1226.
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Les raisons d'y croire :
- La stigmatisation est aujourd’hui parfaitement connue, tant par la médecine que par la phénoménologie mystique. Mais ce qui arrive à François ce jour-là est alors absolument inédit, ce qui pousse à croire en la réalité de cet événement extraordinaire, qui ne pouvait pas être imaginé jusque-là.
- La stigmatisation de saint François s’inscrit avec logique dans un nouveau courant mystique plus christocentré qui oriente prières et méditations sur la sainte humanité du Christ – le mystère d’amour qui a poussé le Fils de Dieu à s’incarner, souffrir et mourir par pur amour envers nous. Initié au XIIe siècle avec saint Bernard et l’école cistercienne, cette dévotion gagne en ampleur au XIIIe siècle justement grâce à François et à ses disciples, qui se veulent amants de la Croix et vénèrent intensément la Passion.
- Cette familiarité assumée avec le Christ souffrant explique l’audace nouvelle qui pousse François à demander à partager ses douleurs afin de l’en soulager. François ose s’écrier : « Seigneur Jésus-Christ, accorde-moi deux grâces avant que je meure. Autant que cela est possible, que, dans mon âme et mon corps, je puisse éprouver les souffrances que tu as dû subir dans ta cruelle passion et ressentir cet amour démesuré qui t’a conduit, toi, le Fils de Dieu, à souffrir tant de peines pour nous, misérables pécheurs. » Cette demande est typique de celles des stigmatisés, qui ne réclament jamais les stigmates en tant que tels (et à plus forte raison François, qui ne sait pas que cela existe), mais acceptent pleinement de s’associer aux souffrances du Christ.
- Aussitôt après sa prière apparaît un être étrange, avec six ailes, conforme à l’iconographie classique des séraphins, ces anges embrasés de l’amour divin dont la mission est de communiquer ce feu aux hommes. Que l’ange apparaisse crucifié, ce qui ne renvoie à aucune représentation alors usitée, prouve que François n’invente pas sa vision en recyclant ce qu’il a vu ailleurs.
- Il existe un témoin, frère Léon, qui a assisté à la stigmatisation. François ne s’est donc pas volontairement infligé ces blessures.
- Dans sa biographie de saint François, saint Bonaventure décrit les stigmates avec le réalisme du fils de médecin qu’il est : « Au côté, une large plaie saignante dont le sang sortait avec une telle abondance que ses vêtements en étaient imprégnés […]. Les têtes des clous apparaissaient sur le dessus des mains et des pieds, leurs pointes enfoncées dans la chair repliées de l’autre côté […]. Ceux qui virent constatèrent que les clous sortaient miraculeusement de sa chair et étaient tellement adhérents que, quand on les poussait d’un côté, ils avançaient de l’autre, si bien unis à la chair et la peau qu’après sa mort, on essaya vainement de les arracher. » Cela a été écrit alors qu’il restait de nombreux proches et contemporains de François qui auraient corrigé les erreurs ou outrances le concernant.
- Là encore, impossible de s’infliger de telles blessures et de les entretenir, comme ont pu le faire de pseudo-mystiques, car, en pareil cas, les plaies ne peuvent être que superficielles, ne saignent pas ou très peu et cicatrisent, sauf si on les envenime par différents moyens. Au demeurant, de vrais stigmates restent sains et ne s’infectent jamais. C’est le cas de ceux de saint François.
- L’on peut écarter l’explication psychiatrique. La possibilité que François ait été obnubilé par la Passion du Christ jusqu’à faire apparaître spontanément les plaies du Crucifié, un autre stigmatisé, Padre Pio, a dit ce qu’il fallait en penser en répondant à l’objection d’un médecin : « Pense très fort pendant des années que tu es un bœuf et reviens me dire s’il t’a poussé des cornes ! »
- Autre preuve en faveur de l’honnêteté de François : comme tous les autres stigmatisés par la suite, après avoir refusé de comprendre ce qui lui arrive et s’en jugeant indigne, il va tout faire pour dissimuler ses encombrantes blessures, décidant, lui qui marchait pieds nus, de remettre des chaussures pour cacher les plaies. Cette humilité est toujours une démonstration forte que le phénomène vient de Dieu.
- C’est frère Élie, le nouveau supérieur, qui publiera le miracle : « Voici que je vous annonce une grande joie, un miracle nouveau, prodige inouï […]. Peu de temps avant sa mort, notre frère et père François a pris l’apparence du Crucifié portant en son corps les cinq plaies qui sont les stigmates du Christ. »
- En 1237, l’on fait dresser la liste des témoins de l’existence des stigmates, puis le frère Bonizo en parle afin de dissiper les doutes de certains. Jusqu’en 1291, Rome publiera neuf bulles réaffirmant la réalité du miracle.
- Il est remarquable que l’Église, méfiante concernant ce type d’événement, ait rapidement admis la véracité de la stigmatisation de saint François et reconnu en elle une grâce accordée pour le salut des âmes.
- Au contraire, les remises en cause du phénomène sont apparues bien plus tardivement, seulement en réaction au succès des Franciscains.
Synthèse :
En 1224, François est éprouvé par les privations qu’il s’est infligées, mal remis de son voyage en terre d’islam, où il a tenté de convertir le sultan, et étonné des crises que sa longue absence a suscitées parmi ses disciples. À bout de forces, las de l’exercice du supériorat, inquiet de l’avenir des Frères mineurs et des Pauvres Dames, les Clarisses, François aspire à la solitude et à la retraite afin de méditer sur l’amour de Dieu. Il se retire quarante jours pour le carême de la Saint-Michel, sur le mont Alverne, l’un de ses refuges.
Durant son séjour, il continue de méditer ce qui nourrit sa spiritualité depuis qu’il s’est tenu devant le crucifix de San Damiano, pour parvenir à cette intolérable évidence : « L’Amour n’est pas aimé ! », les hommes ne savent pas reconnaître jusqu’où est allé l’amour du Christ pour eux. Pendant une prière, sans doute le 17 septembre, il voit un séraphin lui apparaître sous l’aspect d’un crucifié qui imprime dans sa chair la réplique des plaies du Christ. Bien que le phénomène soit inédit, François l’accepte, comme une réponse à sa demande de partager les souffrances du Christ. Mais il éprouve aussi de la honte à la pensée que son secret puisse se répandre. La douleur est si atroce qu’il ne peut bientôt plus poser le pied par terre ni marcher sans être soutenu par un frère. Quasiment aveugle, François vit ses derniers mois en proie à d’immenses douleurs, qui ne l’empêchent pas de chanter la splendeur de la Création qu’il ne peut plus contempler.
Il s’éteint à Assise, en son couvent de la Portioncule, le soir du 3 octobre 1226. Son ami le cardinal Ugolin, protecteur des Frères mineurs, devenu le pape Grégoire IX, le canonise en 1228.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
1000 raisons d’y croire