LA PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

Chandeleur (fête des chandelles)
2 février

I. La Purification se célèbre le quarantième jour après la Nativité du Seigneur ; et cette fête porte aussi les noms d’Hypopante et de Chandeleur. On l’appelle la Purification, parce que, quarante jours après la Nativité du Seigneur, la Vierge vint au temple, pour être purifiée suivant la loi. Car la loi juive avait décrété que toute femme ayant enfanté un fils restait absolument impure pendant sept jours, c’est-à-dire exclue à la fois du  contact de l’homme et de l’entrée du temple. Après sept jours, elle devenait pure quant au contact de l’homme, mais restait impure pendant trente-trois jours encore quant à l’entrée du temple. Enfin, le quarantième jour après sa délivrance, elle était admise dans le temple, où elle offrait son enfant avec des présents. Que si elle avait mis au monde une fille, la durée de son état d’impureté était doublée, tant quant au contact de l’homme que quant à l’entrée du temple.

La Vierge Marie n’avait pas à se soumettre à cette loi de purification, puisque sa grossesse ne venait point d’une semence humaine, mais de l’inspiration divine. Cependant elle voulut se soumettre à cette loi, pour quatre raisons : 1° pour donner l’exemple de l’humilité ; 2° pour rendre hommage à la Loi, que son divin fils venait accomplir et non point détruire ; 3° pour mettre fin à la purification juive, et pour commencer la purification chrétienne, qui se fait par la foi, purifiant les cœurs ; 4° pour nous apprendre à nous purifier, durant toute notre vie.

Donc la Vierge vint au temple, y présenta son fils, et le racheta moyennant cinq cicles. Car les premiers nés des douze tribus pouvaient se racheter, tandis que les premiers nés des lévites ne le pouvaient pas, et, parvenus à l’âge adulte, devaient tous servir dans le Temple. Et comme le Christ était de la tribu de Juda, il avait à être racheté. La Vierge offrit pour lui au Seigneur un couple de tourterelles, ce qui était l’offrande des pauvres, tandis que l’agneau était l’offrande des riches. Et l’on peut se demander, à ce propos, si la Vierge Marie, qui avait reçu des mages un grand poids d’or, n’avait pas le moyen d’acheter un agneau. Mais nous devons admettre, avec saint Bernard, que la Vierge, au lieu de garder cet or pour elle-même, l’avait aussitôt distribué aux pauvres ; ou bien, peut-être, le réservait-elle pour les sept années de sa fuite en Égypte ; ou peut-être encore les mages n’avaient-ils pas offert une grande quantité d’or, mais simplement un peu d’or, à titre de symbole mystique ? 

En second lieu, cette fête s’appelle l’Hypopante, ou Présentation, parce que le Christ fut présenté au Temple, où Siméon et Anne le reçurent. Et Siméon, le prenant dans son sein, le bénit en disant : « Tu peux maintenant congédier ton serviteur, etc. » Et Siméon, dans son cantique, appela Jésus de trois noms : salut, lumière et gloire du peuple d’Israël.

En troisième lieu, cette fête s’appelle la Chandeleur, parce que les fidèles portent, ce jour-là, des cierges allumés. Et cette institution s’explique par quatre raisons :

1° Elle a pour objet de corriger une habitude païenne. Car autrefois les Romains, pour honorer la déesse Februa, mère du dieu Mars, avaient coutume, tous les cinq ans, les premiers jours de février, d’illuminer la ville avec des cierges et des torches, pour obtenir de la déesse que son fils Mars leur assurât la victoire sur leurs ennemis. Et l’intervalle de cinq ans compris entre ces fêtes s’appelait un lustre. Les Romains avaient aussi la coutume de célébrer, durant le mois de février, Pluton, et les autres dieux infernaux ; et, pour obtenir leur faveur à l’égard des âmes des morts, ils leur offraient des victimes solennelles, et passaient toute une nuit à chanter leurs louanges, avec des torches et des cierges allumés. Les femmes, surtout, célébraient cette fête, à cause de l’une des fables de leur religion. Car les poètes avaient dit que Pluton, frappé de la beauté de Proserpine, l’avait enlevée et en avait fait sa femme ; mais que les parents de la déesse, ne sachant ce qu’elle était devenue, l’avaient longtemps cherchée avec des torches et des cierges allumés : en souvenir de quoi les femmes romaines faisaient leur procession, pour se gagner la faveur de Proserpine. Et, comme c’est toujours chose difficile de renoncer à une habitude, le pape Serge décréta que, pour donner à cette habitude-là une portée chrétienne, on honorerait tous les ans la Vierge, dans ce jour, en portant à la main un cierge bénit. De cette façon l’ancienne coutume subsistait, mais relevée par une intention nouvelle.

2° La Chandeleur a été instituée pour démontrer la  pureté de la Vierge. Pour bien affirmer cette pureté aux yeux de tous, l’Église a ordonné que nous portions des cierges allumés, comme afin de dire : « Vierge bienheureuse, tu n’as pas besoin de purification, mais au contraire tu es toute lumière, toute pureté ! » Telle était, en effet, la pureté de la Vierge qu’elle rayonnait même au dehors d’elle, éteignant chez les autres tout mouvement de concupiscence charnelle. Aussi les Juifs nous disent-ils que, bien que Marie ait été d’une beauté merveilleuse, aucun homme jamais n’a pu la désirer.

3° La procession de la Chandeleur symbolise celle que firent Marie, Joseph, Siméon et Anne, lorsqu’ils présentèrent au temple l’enfant Jésus.

4° Enfin la Chandeleur a pour but notre instruction. Elle nous apprend que, si nous voulons être purifiés devant Dieu, nous devons posséder la foi sincère, l’action désintéressée, et l’intention droite. Car le cierge allumé représente la foi avec les bonnes œuvres. Et la mèche qui est cachée dans la cire représente l’intention droite, dont saint Grégoire nous dit : « Que vos œuvres soient publiques, mais que vos intentions demeurent cachées ! »

II. Une femme noble avait pour la sainte Vierge une grande dévotion. Elle s’était fait construire une chapelle près de sa maison ; et, tous les jours, son chapelain disait devant elle une messe en l’honneur de la Vierge. Mais un jour, qui était la fête de la Purification, cette femme ne put pas assister à sa messe, soit que son chapelain se fût absenté, ou que, suivant d’autres, elle se fût défaite de tous ses vêtements, par générosité, et n’eût pas de quoi se vêtir pour la messe. Désespérée, elle se prosterna devant l’autel de la Vierge, sans doute dans sa chambre ; et soudain, ravie en extase, elle se vit transportée dans une église merveilleuse où entraient une foule de vierges, sous la conduite d’une d’entre elles, la plus belle de toutes, couronnée d’un diadème. Et lorsque toutes se furent assises, une troupe de jeunes gens vinrent s’asseoir près d’elles. Puis apparut un homme apportant un énorme faisceau de cierges qu’il distribua aux assistants, en commençant par la Vierge couronnée  qui occupait la place d’honneur. Cet homme vint enfin à notre matrone, et lui remit également un cierge, qu’elle reçut avec joie. Elle regarda ensuite dans le chœur, et vit s’avancer vers l’autel deux porteurs de cierges, puis un sous-diacre, puis un diacre, enfin un prêtre revêtu des ornements sacrés, comme pour célébrer la messe. Et elle reconnut que les deux acolytes étaient saint Vincent et saint Laurent, que le diacre et le sous-diacre étaient deux anges, et que le prêtre était le Christ lui-même. Et la messe commença, chantée à haute voix par les officiants, tandis que toute l’assistance, en chœur, l’accompagnait. Quand vint l’offrande, la reine des vierges, les autres vierges et toute l’assistance allèrent, suivant l’usage, s’agenouiller devant le prêtre et lui remettre leurs cierges. Seule la matrone restait debout, au fond de l’église. Alors le prêtre lui envoya la reine des vierges, pour lui dire que c’était une inconvenance de le faire attendre si longtemps. Mais la matrone répondit que le prêtre eût à continuer sa messe, car elle ne voulait pas rendre son cierge. On lui délégua un autre messager : elle répondit que, par piété, elle garderait toujours le cierge qui lui avait été remis. Un troisième messager alla vers elle, avec ordre de lui enlever par force le cierge, si elle se refusait à venir l’offrir. Et comme elle continuait à s’y refuser, une longue lutte s’engagea entre le messager et elle, jusqu’à ce qu’enfin le cierge se rompît, de telle façon que la matrone et le messager en gardaient en main chacun une moitié. Là-dessus, la dame se réveilla de sa vision, et constata qu’elle tenait en main la moitié d’un cierge. Ce que voyant, elle rendit d’immenses grâces à Notre Dame, qui lui avait permis d’assister à la messe ce jour-là, et à une messe comme celle où elle avait assisté. Après quoi elle garda le cierge comme une relique des plus précieuses ; et quiconque le touchait était aussitôt guéri, de quelque maladie qu’il fût atteint.

Jacques de Voragine
La Légende dorée