saint benoit

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SAINT BENOÎT, UN PÈRE POUR LES MOINES, UN PÈRE POUR L’EUROPE

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Notre pays a été parcouru en tout sens par une foule de saints. Mais il en est d’autres que la providence n’y a conduit qu’après leur mort, tel saint Benoît dont les reliques, rapportées d’Italie, furent déposées au monastère de Fleury, aujourd’hui Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), le 11 juillet 660. C’est ici l’occasion de redécouvrir le sens de la vénération des reliques et l’héritage du patriarche des moines d’Occident et du patron de l’Europe.  

Un « pieux larcin ».

« Claris coniubila Gallia laudibus, læteris Benedicti patris ossibus » : « Éclate en louanges, Gaule, mets ta joie dans les ossements de notre père Benoît », chantons-nous aux vêpres de la solennité de saint Benoît, le 11 juillet. C’est donc la liturgie elle-même qui invite la France à se réjouir de la présence sur son sol des reliques du patriarche des moines d’Occident, fondateur de l’ordre des bénédictins. Mais comment saint Benoît (v. 480-v. 547), demeuré sa vie durant dans la péninsule italienne, était-il parvenu, après sa mort, sur les rives de la Loire ?

Saint Benoît, organisateur et législateur pour l’Occident de la vie monastique héritée des moines d’Orient, s’est éteint vers 547 dans le monastère qu’il a édifié au Mont-Cassin (région du Latium en Italie). Quelques décennies plus tard, un monastère était fondé par un seigneur mérovingien sur les bords de la Loire, au bourg de Fleury, dans le diocèse d’Orléans. La communauté, qui suit alors la règle du saint irlandais Colomban, ressent le besoin d’un protecteur céleste plus puissant qu’un faible et inconstant seigneur terrestre. Chez les hommes de ce temps, la conviction est ancrée que la présence d’ossements d’un saint attire en quelque sorte, par un lien mystérieux, sa présence spirituelle d’assistance, de secours, de protection.

Vers 650, lisant les Dialogues de saint Grégoire le Grand, seule source permettant de connaître la vie de saint Benoît, l’abbé de l’époque, Mommole, apprend que le monastère du Mont-Cassin a été dévasté par les Lombards et que le tombeau de saint Benoît est désormais à l’abandon. Par un acte de piété filiale autant que par souci de doter son abbaye d’un puissant patron céleste, Mommole envoie une délégation de moines, conduite par Aigulphe, pour sauver les précieuses reliques. À leur arrivée dans l’abbaye du Mont-Cassin déserte, une lumière leur indique l’emplacement du tombeau dont les moines s’empressent de recueillir les restes dans une corbeille. À leur contact, tout au long du chemin du retour, les miracles se multiplient.

Un 11 juillet, autour de 660, les reliques de saint Benoît sont solennellement déposées dans l’église du monastère de Fleury, village qui sera connu désormais sous le nom de Saint-Benoît-sur-Loire. Si l’arrivée des reliques est un jour de fête et de joie pour les moines de Fleury, elle témoigne cependant d’une époque troublée pour l’Europe.

Le rayonnement d’un monastère au cœur de la France.

Comme l’atteste le texte des Miraculi sancti Benedicti, les foules de pèlerins se pressent tout au long du Moyen Âge pour vénérer les reliques du saint dont la puissance est louée autant pour la conception d’un enfant, l’abondance des pluies ou la mise en fuite des envahisseurs vikings. Le monastère connaît son heure de gloire du Xe au XIIe siècle, avec le grand abbé saint Abbon (mort en 1004), un des plus éminents théologiens de son temps. Fleury devient même, de la même manière que Cluny, le centre d’une réforme monastique pour toute la Gaule. Point de référence pour le monde monastique, l’abbaye se trouve aussi au cœur du domaine capétien, et c’est ainsi que le roi de France Philippe Ier (1053-1108), qui avait sans doute participé au financement des travaux de construction de l’abbatiale, demande à y être enterré pour bénéficier, après une vie peu exemplaire, de l’intercession du saint et de la prière des moines.

Malgré un lent déclin, l’histoire de Saint-Benoît-sur-Loire reste intimement liée à celle de la France : Jeanne d’Arc vient y prier après la victoire d’Orléans en 1429, le cardinal de Richelieu embellit l’église par ses dons au XVIIe siècle, l’érudit Dom Mabillon y consulte la riche bibliothèque de manuscrits. La Révolution française met un terme à plus de mille ans de présence monastique ininterrompue en abolissant, dès le 13 février 1790, les vœux monastiques, considérés comme inutiles et contraires à la « liberté chérie ». Suppression juridique mais aussi matérielle avec la destruction, pierre après pierre, d’un superbe monastère classique, rebâti vers 1720 : le lieu devient en effet une carrière.

Pour renouer le fil de cette histoire millénaire, il faut attendre l’arrivée de quelques moines pour tenir la paroisse en 1865, puis d’une véritable refondation le 11 octobre 1944, avec un essaim envoyé de la Pierre-qui-Vire (Yonne). Ces frères s’inscrivent dans la filiation du Père Jean-Baptiste Muard (1809-1854). Frappé par la déchristianisation de son diocèse d’Auxerre dès les années 1840, il se sent appelé, en plaçant toute sa confiance dans le Sacré Cœur de Jésus, à évangéliser cette France qui a perdu la foi. Après avoir fondé une congrégation de missionnaires diocésains, il se retire dans la forêt du Morvan, à la Pierre-qui-Vire, comprenant que le plus puissant des apostolats est la prière et le sacrifice. Soixante-dix-ans après sa refondation, la communauté de Saint-Benoît-sur-Loire compte une trentaine de frères, réunis sous une règle et un abbé, pour prier, travailler et vivre la charité fraternelle.

La Règle de saint Benoît, chemin de vie et de sainteté

Le plus grand des miracles de saint Benoît ne serait-il pas précisément celui de la fidélité de tant de générations de moines, assidus au service de l’Église par le ministère de la prière, méditant en secret les saintes Écritures, écoutant, accueillant et réconfortant tant de pauvres venus frapper à la porte du monastère et demander l’intercession de saint Benoît ? Sans se résigner aux périodes de déclin et de relâchement, inévitables depuis le péché originel, ils ne cessent de puiser dans l’Esprit la force du renouveau. Car la présence des reliques d’un saint – et quel saint ! – n’est un honneur et un privilège que dans la mesure d’une fidélité, toujours en croissance, à son exemple et à son enseignement.

Dans une France et une Europe qui ont perdu l’accès à la source de la vraie vie, la Règle de saint Benoît trace un chemin « pour débutants » (chap. 73) pour « retourner par le labeur de l’obéissance à Celui dont nous avait éloigné la lâcheté de la désobéissance » (prologue) pour apprendre à vivre en frères sous le regard bienveillant du Père, à aimer les jeunes et à vénérer les anciens, à se réjouir d’une vie humble, sobre et simple. Un chemin qui n’est, comme le disait Bossuet, que le résumé de tout l’Évangile. Voilà un don sans doute encore plus précieux que de vénérables ossements.

« Ô Saint Père Benoît, établi maintenant au ciel, pénètre tes serviteurs de ta sainte règle ; fais-les monter par la voie étroite, donne-leur le royaume éternel. » (Hymne des vêpres du 11 juillet)

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La question de l’authenticité des reliques.

Les premiers témoins de la translation des reliques de saint Benoît à Fleury sont des livres liturgiques « gaulois » du VIIIe siècle, attestant une fête de la déposition des reliques le 11 juillet, différente de celle de la mort du saint le 21 mars. Ces deux fêtes seront un siècle plus tard célébrées dans tout l’Empire carolingien. Les plus anciennes sources narratives datent du IXe siècle et proviennent de Gaule, de Germanie et même d’Italie. Pour les moines du Moyen Âge, la vérité de cette translation ne faisait donc aucun doute.
Un autre fait remarquable est la connaissance très précise que nous avons de la « vie » mouvementée de ces reliques. L’archéologie a permis de situer les divers emplacements prévus pour les accueillir dans l’abbatiale. Lors des guerres de religion, elles furent mises à l’abri dans le logis abbatial et évitèrent par miracle d’être détruites. Pendant la Révolution française, un courageux paroissien, Simon Gaudry, les cacha chez lui ; une fois achevée la période de troubles, elles trouvèrent place dans la basilique sous la garde de la paroisse et connurent un dernier exil pendant la Seconde Guerre mondiale au carmel du Dorat, près de Limoges.
La jeune communauté jugea opportun de procéder en 1952-1953 à un examen scientifique des ossements conservés depuis treize siècles. Pour permettre des comparaisons, on fit venir diverses reliques attribuées à saint Benoît en France ou à l’étranger, notamment celles issues du lot conservé à Fleury. L’étude anatomique confirma qu’on était bien en présence du squelette, incomplet, d’un homme âgé de soixante-quinze ans environ, ayant eu une alimentation principalement végétarienne (fait établi grâce à l’examen de la dentition). Dans la mesure où la méthode de datation au carbone 14 exigeait la destruction de certains ossements et se montrait trop peu fiable pour une durée de moins de deux millénaires, on renonça à l’utiliser. Toutefois, une ancienneté d’environ 1400 ans fut jugée « parfaitement admissible » par les experts. Dernière remarque positive : la présence d’un ossement féminin à Fleury, correspondant exactement aux reliques de sa sœur sainte Scholastique, enterrée dans la même tombe que son frère, reliques rapportées lors du même voyage et conservées d’abord au Mans puis à Juvigny (Meuse). Inversement, un élément masculin parmi les reliques de sainte Scholastique à Juvigny rejoint exactement le squelette masculin de Fleury. C’est donc une tradition historique solide, reposant sur des témoignages fondés et confirmés par la recherche scientifique, qui affirme la présence des reliques de saint Benoît de Nursie à Saint-Benoît-sur-Loire depuis le VIIe siècle.

Saint-Benoît-sur-Loire et la Vierge Marie.

De nombreux commentateurs ont remarqué que saint Benoît ne dit pas un mot dans sa Règle sur la Vierge Marie ; cependant, il incite les moines à réciter tous les jours le Magnificat, le cantique de la Vierge (chapitre 17). L’attitude qu’il recommande au jeune novice, qui doit être attentif aux paroles du maître, rappelle également celle de la mère du Sauveur, qui écoutait la parole de l’ange et méditait tous les événements dans son cœur. Le culte marial n’est donc pas absent de la spiritualité bénédictine, ni de la structure même de l’abbaye de Fleury. Ainsi, les reliques de saint Benoît ont été placées au VIIe siècle dans l’église dédiée à Marie, tandis que la vie de la Sainte Vierge figure sur plusieurs chapiteaux de la célèbre tour-porche du XIe siècle.

Les commentaires de la Règle de saint Benoît à travers les siècles.

La Règle de saint Benoît est écrite au VIe siècle. C’est un texte court : 73 chapitres concis. Au fil des siècles, ni les invasions déferlant sur l’Occident médiéval, ni les rivalités internes de l’Église n’ont eu raison de son immense spiritualité. Aucune idéologie ni aucune crise ne réussit à l’ébranler dans l’Église : ni le rationalisme du XVIIIe siècle, ni l’indifférence religieuse du monde actuel. Dès le IXe siècle, la Règle connaît un succès européen. Parmi les signes de cet engouement, figurent les multiples « commentaires » dont elle est l’objet (mot tiré du latin commentarius en 1485). Ces « commentaires » forment un genre littéraire pratiqué dès le VIIe siècle parmi les moines. Il s’agit d’un procédé pédagogique sous forme d’une explication argumentée de la Règle. Destinés aux jeunes moines pour les inciter à respecter les devoirs de la vie monastique selon les exigences de leur fondateur, les commentaires sont souvent rédigés par les maîtres des novices, prieurs ou abbés. Ils font figure de miroir dans lequel les lecteurs contemplent le modèle « parfait » du moine : saint Benoît. Il serait fastidieux d’en dresser la liste dans laquelle prennent place auteurs anonymes et théologiens prestigieux.
L’œuvre du pape saint Grégoire le Grand (vers 540-604) ouvre la voie à maints ouvrages ultérieurs. Ses Dialogues forment une explication magistrale de la Règle. À cette époque, à l’exception de l’Espagne wisigothique et du monde celtique, les bénédictins servent de modèle à tous les contemplatifs.
Parfois, des traditions extérieures à celle de saint Benoît se mêlent aux commentaires, comme, par exemple, vers 620, la Règle du Père pour les Vierges, rédigée pour l’abbaye de Faremoutiers, sorte de compromis entre l’idéal monastique selon saint Benoît et celui de saint Colomban, plus souple. Plus tard, Benoît d’Aniane, grand intellectuel de l’Europe carolingienne, contribue au plein succès de la Règle. Dans les années 820/830, les commentaires se multiplient avec des auteurs illustres comme Smaragde, abbé de Saint-Mihiel (Meuse).
Ces travaux continuent jusqu’au XVe siècle. Rupert, le chancelier de l’université Jean Gerson, Pierre Bohier, Bernard Ayglier, tous écrivent à propos de la Règle de saint Benoît, qu’ils soient eux-mêmes bénédictins ou non. Après 1450, cette forme littéraire s’étend au-delà des milieux ecclésiastiques grâce à l’invention de l’imprimerie.
L’apport des moines célestins de Paris mérite d’être souligné pendant la Renaissance. Un commentaire précieux de dom Pierre Bard, confesseur du roi de France Louis XII, date d’avant 1535. Vers 1580-1585, ces dissertations deviennent savantes. Elles balayent sur un mode synchronique les domaines de la théologie.
La majorité des commentaires sont construits non sur un plan thématique ou chronologique, mais sur la structure de la Règle elle-même. Pourtant, ce genre littéraire subit des évolutions à partir de 1480/1500. C’est dans les vingt premières années du XVIe siècle que les commentaires de facture médiévale évoluent et au-delà de 1510, un effort est accompli vers une compréhension synthétique (théologique et biblique) de la Règle. Les commentateurs choisissent une perspective délaissée jusque-là : l’histoire. Sur quelle tradition spirituelle saint Benoît s’appuie-t-il ? L’Église a-t-elle toujours assumé la voie bénédictine ?
Désormais les auteurs accomplissent un labeur archéologique, exhumant « l’authentique réalité » de saint Benoît, supposé recouverte, au cours des siècles, par des scories vaines et dangereuses couvrant le projet originel du bienheureux moine. Cette inflexion savante devient prégnante à partir de 1660, avec les commentaires érudits de la Règle, en particulier parmi les savants de la congrégation de Saint-Maur.
Le nombre de commentaires français entre le XVIe et le XVIIe siècle a décuplé. De 1480 à 1790, 105 commentaires de la Règle de saint Benoît voient le jour en France et dans les Pays-Bas espagnols, dont 46 % sont demeurés des manuscrits. À l’échelle européenne, le nombre d’éditions imprimées de la Règle et de ses commentaires, rédigés entre 1600 et 1790, s’élève à 433, textes conservés aujourd’hui dans 265 bibliothèques (France non comprise). Les auteurs sont des bénédictins, des moines issus des branches de l’arbre bénédictin (feuillants, cisterciens, trappistes, etc.) mais aussi des prêtres séculiers ou des évêques, comme Bossuet. Un commentaire daté de l’année 1789, intitulé Dissertation sur la pratique exacte et littérale de la Règle de Saint Benoist et sur les usages primitifs de l’Ordre de Citeaux, est un gros in-folio de 647 pages, conservé dans la bibliothèque de la Trappe de Sept-Fons.
La Révolution met à mal l’édifice monastique français, déjà ébranlé depuis le milieu du XVIIIe siècle. La suppression des vœux fait disparaître ordres et congrégations de la scène religieuse pendant plusieurs décennies. Il faut attendre le XIXe siècle et le renouveau de l’abbaye de Solesmes, dirigé par dom Prosper Guéranger, pour que les fils de saint Benoît retrouvent un statut officiel. Au final, ces commentaires de la Règle valorisent les outils de sanctification voulus par saint Benoît (humilité, pauvreté, silence), expliquent la mystique comme voie d’union au Christ, avec l’oraison et la contemplation chère aux moines, précisent le droit canon, avec ses dispositions légales règlementant les aspects de la vie quotidienne d’une communauté monastique, comme, par exemple, la réception des novices, l’élection (démocratique) de l’abbé, les relations avec le clergé séculier et, enfin, déterminent les liens entre les bénédictins, l’Église et l’histoire chrétienne, montrant le bien-fondé des bénédictins et la bienveillance permanente des papes et des évêques à son égard. Enfin, les commentateurs affirment que la « philosophie monastique » a contribué à asseoir une forme de suprématie spirituelle des bénédictins. Selon eux, la monarchie française apporta rapidement son soutien à ce « prodigieux monument ». L’histoire a noué un lien harmonieux entre moines et royauté.
Certains commentaires du XXe siècle jouissent d’une belle renommée, comme celui de dom Paul Delatte, largement traduit et diffusé sur les cinq continents. Plus récemment, des hommes d’Église, comme Mgr Robert Le Gall, actuel archevêque de Toulouse, et ancien abbé bénédictin, ont proposé une explication nettement spirituelle de la Règle de saint Benoît en étroite correspondance avec les attentes de nos contemporains avides d’absolu.

Source : notrehistoireavecmarie.mariedenazareth.com/

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