histoire

1098

CÎTEAUX : NOUVELLE PENTECÔTE SUR L’EUROPE

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Créée à la fin du XIe siècle par saint Robert de Molesmes pour mieux faire vivre la Règle de saint Benoît, l’abbaye de Cîteaux a participé à l’essor de la famille cistercienne dans le monde. Elle rassemble aujourd’hui 25 moines sur place.

Une (r)évolution monastique. Dieu a créé un homme qui a rêvé, préparé, organisé un nouveau monastère : saint Robert de Molesmes (1028-1111). Son projet : redonner à la Règle de saint Benoît ses couleurs d’origine, après son affadissement chez les Clunisiens. En 1098, Cîteaux (Côte-d’Or) est ainsi son troisième essai, après les abbayes de Saint-Michel de Tonnerre (Yonne) et de Molesmes (Côte-d’Or). L’habit noir des Clunisiens est remplacé par un vêtement blanc à scapulaire noir. C’est la naissance des Cisterciens.   

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ne question de Salut. À Cîteaux, il s’agit de vivre dans la fidélité aux promesses de la Règle. Saint Robert va quitter son abbaye florissante, installer la communauté à Cîteaux, puis laisser à ses deux successeurs le soin d’incarner durablement son intuition lorsque le Pape le renvoie reprendre la direction de Molesmes : 
- Saint Albéric, deuxième abbé, 1099-1108. Il déplace Cîteaux à l’emplacement actuel au croisement de deux routes médiévales majeures, 25 km au sud de Dijon. Il lui donne les traits distinctifs dont la reconnaissance par Rome ainsi que l’exemption (indépendance par rapport à l’évêque local). 
- Saint Étienne Harding, troisième abbé, 1109-1134. Il est le responsable de la première « industrie » de Cîteaux : le scriptorium (atelier de copie de manuscrits), réputé pour la qualité du texte biblique, objet de recherches critiques innovantes et de ses illustrations. Il accueille Bernard de Fontaines et ses compagnons, les forme au noviciat de Cîteaux, puis il envoie Bernard fonder Clairvaux (Aube). Ce dernier deviendra ainsi le saint Docteur de l’Église, Bernard de Clairvaux, qui assure encore aujourd’hui aux Cisterciens un rayonnement dans toute l’Europe.   

Voici l’Œuvre de nos trois saints fondateurs :   
1. Rééquilibrer la vie monastique par le retour à la Règle dans sa pureté originelle. 

Cela passe par :   
- Une prière commune à l’église de ceux qui cherchent Dieu : « On ne préfèrera rien à l’œuvre de Dieu » (Règle de saint Benoît (RB) 43, 3). 
- Une prière personnelle autour de la Lectio Divina pour goûter la Parole de Dieu au quotidien : « On réservera certaines (heures) à la lecture » (RB 48, 1). 
- Vivre du travail de ses mains pour être « vraiment moines » (RB 48, 1.8) et donc prophétiques. Les moines cisterciens sont à l’origine de grandes transformations du travail agricole et industriel au Moyen-Âge (granges, viticulture, moulins hydrauliques, foulons, forges, engrais). 
- Une vie communautaire (RB 1, 2) pour une joyeuse ascèse qui libère pour aimer Dieu.   

2. Un retour au désert dans un monachisme simplifié (1099-1113)     
Le désert médiéval c’est… la forêt, qui représente plus de la moitié de la superficie de la France. Son but est d’être assez à l’écart pour préserver un seul à seul avec Dieu. 
Le désert permet d’écouter le silence. Comme on peut voir les étoiles en plein jour, en descendant dans un puits, on peut « voir » Dieu en faisant silence dans son cœur. 
Le désert permet de renforcer le besoin d’entraide mutuelle pour vivre dans des conditions difficiles. 
Le désert permet de nouer des relations fraternelles forgées dans les épreuves, de susciter un corps solidaire : celui du Christ. 
Le désert permet d’être tout à Dieu, libre des obligations sociales, des droits et devoirs de la vassalité, du souci de paraître…   

Leurs choix sont une réaction à de nouvelles réalités : 
- Travail manuel, surtout agricole et/ou de transformation (versus noblesse / écoles / villes) 
- Équilibre de vie : travail, prière liturgique et personnelle (versus priants exclusifs – 1er Ordre) 
- Retrait du Temps (versus activité paroissiale) 
- Retrait / silence / contemplation (versus prédication / Parole / action) 
- Vie cachée au creux des vallons perdus (versus collines) 
- Austérité - simplicité - « pauvreté apostolique » (versus moines rentiers) 
- Moines de chœur et frères lais, non clercs ni oblats (versus moines et ouvriers) 
- Confédération d’abbayes autonomes (versus abbaye + filiales)   

3. Une fraternité dans l’amour   (1113-1153). Comment vivre l’expansion ?
   

Saint Bernard (1090-1153) : la merveilleuse surprise (1112-1153). Bernard de Fontaines entre à Cîteaux en 1112. Trois ans plus tard, il est envoyé à Clairvaux près des sources de l’Aube pour y fonder la troisième communauté cistercienne. Les chrétiens y affluent, y compris le père et les cinq frères de Bernard par lui convertis. Bernard fonde 72 monastères, répandus dans toute l'Europe. En 1151, 500 abbayes cisterciennes existent déjà. À elle seule, Clairvaux compte 700 moines ; de l’abbaye sortiront un pape (Eugène III), 15 cardinaux et de nombreux évêques. Bernard, mort en 1153 à l’âge de 63 ans, est canonisé le 18 janvier 1174 par Alexandre III. Son succès est tel qu’on nomme parfois les Cisterciens les Bernardins. Saint Bernard est également à l’origine d’un renouveau de la piété mariale. Il a été déclaré Docteur de l'Église par Pie VIII en 1830. On le fête le 20 août. 

La Charte de Charité. Essentiellement œuvre de saint Étienne Harding, elle exprime la volonté de s’aimer entre Frères partout dans le monde (1119-1154). Il s’agit d’assurer la fraternité entre les communautés malgré leur dispersion géographique, grâce à l’exemple la Règle de saint Benoît, reconnu de tous. Les moyens pour mettre en œuvre cet amour sont les suivants : 
- La rencontre annuelle des abbés de chaque communauté pour définir la législation de l’Ordre. 
- L’entraide des abbés pour leur vie spirituelle par la prière et l’entraide. 
- La capacité à se reprendre mutuellement, corriger, sanctionner des comportements déplacés. 
- La visite annuelle des monastères par leur maison fondatrice pour encourager, aider, corriger l’évolution des « Maisons Filles ». 
- L’entraide en personnel et en moyens matériels en cas de besoin.   

En à peine plus de 50 ans, l’idée devient projet ; puis comme un feu de ronces, 500 maisons de prière apparaissent, de la Lituanie au Portugal et de la Norvège à la Sicile.

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La communauté chrétienne de Cîteaux. 
Il s’agit d’une communauté catholique de 25 Frères sur place et trois en fondation en Norvège, vivant la vie contemplative selon la Règle de saint Benoît et les coutumes cisterciennes de l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance, qui rassemble 160 communautés masculines et féminines sur les cinq continents.   

La famille cistercienne aujourd’hui.
 
Elle représente plus de 200 monastères et 5000 moines et moniales sur les cinq continents. Les branches actuelles sont : 
- L’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (OCSO) avec près de 3000 moines et moniales 
- L’Ordre Cistercien de la Commune Observance (OCCO) avec près de 2500 moines et moniales 
- Les Cisterciennes de la Congrégation St Bernard de Las Huelgas liées à l’OCSO 
- Les Cisterciennes Bernardines d'Esquermes avec près de 100 moniales 
- Les Cisterciennes d’Oudenarde en Belgique et celles de la Charité en Italie. 

Saint Bernard le contestataire.
 
Religieux actif et impétueux, saint Bernard ne se contente pas de fonder et de visiter ses monastères, mais il prend également part à la vie publique de son temps. C’est l’élection d’un antipape, Anaclet II, en 1130, qui le décide à intervenir auprès des rois européens pour les pousser à rétablir le pape Innocent II dans ses droits. Il y parvient au bout de plusieurs années de lutte acharnée. Il met son énergie au service de toutes les causes qu’il juge justes : écrits contre la philosophie d’Abélard, prédications contre l’hérésie cathare du Languedoc, appel à la deuxième Croisade à Vézelay en 1146, tentative d’apaisement du conflit entre la France de Louis VII et l’Angleterre d’Henri II Plantagenêt. Cependant, la fréquentation des puissants ne l’éloigne jamais de son idéal de pauvreté. Ainsi, c’est avec une croix de procession de bois mal polie, des habits simples et usés, du vin de pays et du pain grossier que Bernard reçut le pape Innocent II à Clairvaux, sans jamais lever les yeux vers les riches parures du Saint Père et des prélats qui l’accompagnaient ; on rapporte qu’un comportement si humble tira les larmes des yeux du Pape. Saint Bernard n’hésite jamais non plus à reprocher à certains évêques du temps leur enrichissement et à leur rappeler leur devoir de charité envers les pauvres.   

Saint Bernard et la Vierge Marie.
 
Nous sommes à l’époque de l’amour courtois chez les chevaliers et les Cisterciens sont parmi les premiers à appliquer à la Vierge Marie le titre de « Notre-Dame » qu’on retrouve si couramment dans les dévotions mariales. Saint Bernard est l’auteur de nombreux écrits sur Marie : selon lui, « on n’en dit jamais assez sur la Vierge Marie ». Il insiste sur la fonction de médiatrice de la Vierge, à un niveau inférieur à celui du Christ, unique médiateur entre le Christ et les hommes (2 Timothée II, 5) : Marie est la médiatrice qui conduit au Christ médiateur ; de même qu’Ève a coopéré à la chute, Marie coopère à la Rédemption. Un sermon célèbre la compare à un aqueduc qui conduit le filet d’eau de la grâce divine jusqu’aux humains. Saint Bernard qualifie Marie de Mère de Miséricorde, la tradition lui attribue la paternité de la prière du Memorare (« Souvenez-vous, ô très miséricordieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection […] ait été abandonné ») et il est à l’origine d’une célèbre méditation mise en musique (« Si le vent des tentations s’élève, […], regarde l’étoile, invoque Marie »). 

Prière du 26 janvier, fête des saints fondateurs de Cîteaux et de la famille cistercienne.
Seigneur notre Dieu, tu as inspiré aux bienheureux abbés Robert, Albéric et Étienne,  la volonté de retrouver la source pure de l'Évangile dans la fidélité à saint Benoît.  Accorde-nous, par leur prière, de boire à notre tour cette eau vive pour devenir de vrais disciples de ton Fils.   

Petites statistiques.
 
La France compte environ 400 monastères cisterciens, soit détruits, soit partiellement en ruines, aux mains de la famille cistercienne (fort pourcentage de communautés trappistes, issues de la réforme de l’Ordre de Cîteaux au XVIIe siècle), ou passés dans d’autres familles religieuses. Il y a aujourd’hui en France 27 monastères masculins et féminins trappistes (issus de la réforme de l’Ordre de Cîteaux au XVIIe siècle), cinq monastères masculins et féminins appartiennent à la branche originelle de la commune observance, un monastère de moniales Bernardines d’Esquermes près de Lille. Sur les 396 monastères recensés (féminins et masculins), 3 sont fondés au XIe siècle, 77 au XIIIe, dans le sillage de Cîteaux, 6 au XIVe, 2 au XVe, un seul au XVIe, 7 au XVIIe (Réforme tridentine), 17 au XIXe siècle (restauration catholique) et 7 depuis 1900. Cinq ouvrent et ferment leurs portes à des dates incertaines (dont Arques et Aubeterre). Enfin, cinq d’entre elles ont été bâties sur des sites monastiques déjà existants : Cuxa (Pyrénées), Lérins (Alpes-Maritimes), Le Rivet (Gironde), Micy (Loiret), et Oelenberg (Haut-Rhin). 249 monastères cisterciens (sur les 396) ont été supprimés sous la Révolution française, entre 1789 et 1797, soit les deux tiers ! Ces lieux spirituels sont donc restés en activité près de 700 ans. En revanche, certaines abbayes ont eu une durée de vie plus brève : celle de Castellas (Var) dure 118 ans, de 1150 à 1268. L’abbaye de Netlieu (Haute-Savoie) ne dépasse pas 215 ans d’existence, de 1198 à 1413. D’une manière générale, ces abbayes précocement disparues apparaissent aux XIIe et XIIIe siècles. Aucune d’entre elles n’a jamais eu une grande influence. 
Outre le nombre de saints donnés à l’Église (Robert de Molesme, Bernard de Clairvaux, Sicaire, Adeline, Étienne Harding, Albéric, Conrad d’Urach, etc.), maints domaines rendent comptent du « génie » cistercien, dans des domaines variés, religieux ou profanes : théologie, spiritualité, agriculture, art sacré, architecture, littérature ou… traitement des métaux par électrolyse à Acey depuis 2010… Les fils de saint Bernard vouent un culte essentiel à la Vierge Marie : toutes leurs abbayes sont dédiées à Notre-Dame. Certains d’entre eux sont réputés dans le monde entier. Cîteaux (Côte-d’Or) reste l’archétype. Fondée le 21 mars 1098, dépendant des États pontificaux, le pape Calixte II approuve sa Charte de Charité ; « mère » de 2000 « filles » (soit 2000 communautés de taille variable disséminées en Europe), elle accueille le jeune saint Bernard âgé de 22 ans (1112). Victime de pillages successifs à partir de 1574, protégée par le cardinal de Richelieu en 1634 (le « cardinal-protecteur de l’Ordre »), Cîteaux abrite les sépultures des premiers ducs de Bourgogne, de Calixte II, d’Agnès de France, fille de saint Louis. Mais ces tombeaux sont saccagés à la Révolution et les 10 000 livres de la bibliothèque évacués dans des charrettes. Cîteaux est vendue comme bien national en 1791 et son domaine agricole de 13 000 hectares, purement confisqué. En 1843, elle devient une « société utopiste » sous la férule d’Arthur Youg et des idées de Charles Fourier…  Mais elle renaît de ses cendres au XIXe siècle. En 1899, c’est la première élection abbatiale depuis plusieurs siècles. Un siècle plus tard, la nouvelle église est inaugurée et en 2009, quatre de ses moines fondent la communauté de Munkeby Mariakloster en Norvège. 
Autre « spécialité » cistercienne : l’aide apportée à la résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. À partir de 1940, bien que les allemands aient investi l’hôtellerie, les moines aident discrètement les maquisards de la région. À Notre-Dame d’Aiguebelle (Drôme), les religieux fabriquent de fausses cartes d’identité pour les réfractaires du Service du Travail Obligatoire. Ils accueillent des juifs déguisés en ouvriers agricoles. On cache des groupes de résistants dans les granges voisines. En avril 1944, la Gestapo fouille l’abbaye et menace de l’incendier. 
Les Cisterciens sont nés d’une idée simple : retrouver l’idéal spirituel de saint Benoît pour mieux vivre l’Évangile. De cette simplicité, Dieu a fait de leur Ordre un des sommets du monde chrétien depuis près d’un millénaire. 

La communauté des Dombes fait partie des corps constitués les plus décorés selon « Patrimoine de l’Ain. « Dès 1940, la communauté apporte son soutien à la Résistance en camouflant 700 tonnes de matériel de guerre et en donnant asile en permanence aux réfractaires français, juifs ou étrangers de toutes les classes et de toutes les conditions. Deux moines sont tués ; Gabriel Curis, père Bernard en religion, est déporté à Buchenwald et meurt le 11 avril 1944 au camp de Bergen-Belsen. Le monastère de la Trappe de Notre-Dame des Dombes qui a payé à la Résistance française une sanglante rançon, a été décoré en 1946 de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre avec palme. »

Source : Aleteia - Sœur Dominique Sabas Congrégation de Notre-Dame

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