histoire/ art

 

Les plus anciennes représentations qu’on ait encore de la Vierge Marie

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Pour tous ceux qui connaissent déjà les recherches les plus récentes, la représentation la plus ancienne que l’on possède de la Vierge Marie se trouve en Chine, sur la falaise de Kong Wang (port de Lianyungang), et elle remonte à l’année 69 – au plus tard au début de l’an 70 – selon les annales impériales chinoises.
À ce moment-là, il y a déjà presque 20 ans que la Vierge Marie a quitté cette terre (en 51 selon les traditions orientales). Sa représentation n’a donc en soi rien de surprenant ; la position adoptée est celle, traditionnelle, de l’accouchement à l’époque – au Moyen-Orient mais certainement ailleurs aussi –, et elle présente son enfant comme on le verra par la suite dans la plupart des représentations.

80 ans plus tard ou moins encore, on la voit représentée sur une fresque de la Catacombe de Priscilla, Via Salaria à Rome. On date en effet les fresques d’environ l’an 150.

Mais il est possible qu’au moins une représentation connue de nos jours, hélas pas très bien conservée non plus, se place entre ces deux dates.
En effet, on sait qu’en 250, une partie de la ville de Doura Europos (à côté de Deir El-Zor) a été enterrée, ce qui constitue une aubaine pour les archéologues :

Entre autres choses, on y a mis au jour un baptistère recouvert de peintures murales, qui peuvent dater de bien avant 250.
Certaines de ses peintures ont été emportées aux USA, à l’université de Yale. L’une d’elles, parmi des représentations de Jésus, de Pierre et de David, donne à voir ceci :

On devine un ange à l’aile déployée derrière la femme penchée vers un puits. Personne n’avait pensé qu’il pouvait s’agir d’une représentation très primitive de la Vierge Marie jusqu’à ce que Michael Peppard publie un article dans le New York Times (du 30 janvier 2016) : il y fait un rapprochement avec un modèle traditionnel d’icône illustrant la Vierge à l’annonciation, où celle-ci est précisément penchée sur un puits :


Enluminure d’un manuscrit byzantin du 12e siècle,
Annonciation à la Vierge Marie, 
Bibliothèque Nationale de France

La ressemblance est frappante. Elle apparaît d’autant plus évidente si l’on connaît la raison de l’association entre la figure de Marie et celle d’un puits, telle qu’elle est exposée dès 2004 dans un article [1] puis dans l’introduction du Messie et son prophète (tome I) : 1 Co 10: 3-4.


Explications.

Ces deux versets de la Première Lettre aux Corinthiens de saint Paul se rapportent aux Hébreux traversant le désert sous la conduite de Moïse :
Nos pères… ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, tous ont mangé le même aliment spirituel et tous ont bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait : ce rocher, c’était le Christ” (1 Co 10:3-4).

Dans ce passage, Jésus est comparé au rocher servant de puits, qui suivait les Hébreux dans le désert. De quel « rocher-puits » s’agit-il ? Une fresque de la synagogue de Doura-Europos (qui se trouve aujourd’hui à Damas) en donne une idée. Les descriptions de ce « rocher » ne manquent pas dans la littérature rabbinique, par exemple dans la Tosefta qui, écrit Jules Leroy,
rapporte la révélation d’un puits faite à Miriam. Celui-ci suivait les Israélites durant tout leur voyage à travers le désert. Il se plaçait au milieu du camp devant le Tabernacle chaque fois qu’on s’arrêtait pour prendre un repos. Moïse et les anciens sortaient alors de leur tente et chantaient le « Chant du puits ». Alors le puits répandait ses eaux qui divisaient le camp en douze parties. C’est cette scène qui est ici reproduite fidèlement[sur la fresque de la synagogue]”[2].

Ce bienfait très particulier, les pieux commentaires l’attribuèrent à la ferveur de la prière de Miriam (= Mariam en araméen, Marie en français). Une telle tradition était déjà très ancrée à l’époque de Paul et des Antiquités bibliques, puisqu’on peut lire en celles-ci :
Après le trépas de Moïse, la manne cessa de descendre sur les fils d’Israël, et ils commencèrent alors à manger les fruits du pays. Tels furent les trois dons que Dieu fit à son peuple à cause des trois personnages : le puits d’eau de Mara en faveur de Marie ; la colonne de nuée en faveur d’Aaron ; et la manne en faveur de Moïse. Mais une fois disparus les trois [personnages], ces trois [présents] furent retirés [aux fils d’Israël]” [3].

Ainsi donc, Mariam, sœur de Moïse, a pu devenir la figure de la mère de Jésus, la nouvelle Mariam : la première a valu l’eau de la vie au peuple hébreu assoiffé dans le désert[4], la seconde vaut aujourd’hui au peuple universel l’eau vive du salut qu’est Jésus, “source d’eau jaillissant en vie éternelle” selon un symbolisme comme on le lit en Jean 4:14. Pour saint Paul, Jésus est pour ainsi dire le nouveau puits-rocher qui suit le nouveau peuple partout où il se trouve.
Il est donc normal, au moins en milieu judéo-chrétien, de représenter Marie en train de puiser l’eau du puits, en rapport avec l’Annonciation.

On notera encore que cette histoire a une suite… dans le Coran qui, par trois fois, identifie Marie mère de Jésus à la figure de la Mariam biblique : sourate 3: 35-36 ; 19:28 ; 66:12 [5]. Quoi de plus normal ?
Sauf que le Dieu de l’islam ne peut pas parler comme nous, en faisant référence à des traditions humaines. Sa parole ne peut être relative qu’à elle-même. Donc la mère de Jésus DOIT être REELLEMENT la sœur de Moïse et d’Aaron et avoir vécu 1250 ans à peu près. Et avoir enfanté Jésus après plus de mille ans. Et tout cela sans que quiconque ne s’aperçoive de rien, Dieu aveuglant qui Il veut durant tout ce temps. Le musulman doit croire cela, le statut de Parole de Dieu incréée donné au Coran l’exige…

Terminons avec une représentation de la Vierge Marie, aux noces de Cana cette fois, qui remonte aux années 200, en provenance d’une catacombe d’Alexandrie :

À gauche de la fresque, une figure très détériorée et repeinte plus tardivement porte le sigle « IC » : il s’agit du Christ qui fait probablement le geste de la bénédiction. À côté, les traces de deux autres figures, l’une d’elle porte l’inscription « HAΓIA MAPIA», Sainte Marie. À l’opposé de la scène, une figure avec l’inscription ΠAIΔIA,serviteurs. Au centre, on voit un groupe d’hommes et de femmes qui mangent assis par terre. Il y a tous les personnages principaux des témoignages historiques sur Cana que l’on trouve dans les évangiles.

Comme on peut le constater, la dévotion à la Vierge Marie à travers des représentations est extrêmement ancienne ; probablement est-elle une suite immédiate de la place centrale qu’elle occupait, un temps à Ephèse mais surtout à Jérusalem, étant la mémoire vivante des événements, entourée par les saintes femmes et le jeune apôtre Jean. Et sans doute bien plus encore.

Edouard-Marie Gallez

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1. Le Coran identifie-t-il Marie, mère de Jésus, à Marie, sœur d’Aaron ? in Delcambre Anne-Marie & Alii,Enquêtes sur l’islam, Paris, Desclée de Brouwer, 2004, p.139-151.

2. Leroy Jules, Les fresques de Doura-Europos in Bible et Terre Sainte, 1967, n° 88, p.11.

3.  Pseudo-Philon, Antiquités bibliques, t.I, xx, 8, Sources Chrétiennes n° 229, Paris, Cerf, 1976, p.171.

4. Une telle tradition était encore vivante chez les chrétiens de Perse au 4e siècle comme en témoigne Aphrahate : “Au moment où mourut Miryâm, il n’y eut plus d’eau à boire pour le peuple” (Les exposés 23,4 [= II, 16], t.2, trad. Marie-Joseph Pierre, S.C. n° 359, Paris, Cerf, 1989, p.886). La permanence de cette tradition tient au fait que la majorité des chrétiens de Perse descendent des judéochrétiens (et continuent à parler l’araméen).

5.  s.19:28 [à propos de Marie qui est enceinte de Jésus :] “Ô sœur d’Aaron, ton père n’était pas un homme indigne, ni ta mère une prostituée” ;
s.66:12 [également à propos de Marie, mère de Jésus – ‘Imrân-‘Amrâm étant le nom du père de la Mariam biblique –:] “Et Maryam, fille de ‘Imrân, qui se garda vierge, en laquelle Nous insufflâmes [un peu] de notre Esprit…” ;
s.3: 35-36 [à propos de la à propos la mère de Marie qui consacre sa fille à Dieu, conformément à la tradition hébréo-chrétienne que l’on trouve dans le Protévangile de Jacques :] “Quand la femme de ‘Imrân dit : Seigneur ! Oui, je voue à Toi ce qui [est] dans mon ventre muharrar ; accepte-le de moi ! Oui, Tu es Celui qui entend, l’Omniscient. »
Le terme de muharrar (racine : hrr) n’est pas une reprise du verbe principal nadaravouer (hébreu nâdar). La racine hrr semble inconnue en arabe mais, selon son sens hébreu (hârar, brûler), elle convient parfaitement ici pour qualifier le « ventre » de la mère de Marie, muharrardesséché [par les ans]. Celle-ci était en effet âgée et stérile aussi bien selon le Coran (cf. s.19:5) que d’après le Protévangile de Jacques.

Source : eecho.fr

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