histoire
LIEUX
Le Mont-Saint-Michel, signe de Dieu pour les hommes.
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Le Mont-Saint-Michel, signe de Dieu pour les hommes, fait retentir depuis 1300 ans la question que pose le nom même de Michel : « Qui est comme Dieu » ? Personne, bien-sûr. Pourtant, par notre baptême nous sommes configurés au Christ. Qui est comme Dieu ? Chaque baptisé qui prend au sérieux son baptême doit aspirer à le devenir. C'est ce que nous rappelle cette pyramide improbable, fruit de la création et du travail (de la foi) des bâtisseurs.
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Depuis des temps immémoriaux trois rochers émergent de cette échancrure située à la frontière de la Normandie et de la Bretagne. Le mont Tombe, le rocher de Tombelaine et le mont Dol. Trois pyramides, pas très hautes, mais totalement incongrues dans ce paysage plat où la mer, répondant à l'appel de la lune, vient deux fois par jour recouvrir les immensités sableuses et plates de la grande baie. Cela pourrait être triste, et parfois c'est le cas, mais le plus souvent c'est surprenant de vie et de couleurs pastel. Le spectacle est permanent. La beauté à couper le souffle. La nature nous aide à comprendre intuitivement la puissance et la grandeur du créateur.
Mais Dieu ne s'est pas contenté de créer le ciel, la mer et la terre. Il a voulu y introduire la Vie. La vie sous toutes ses formes : minérale, aquatique, végétale, animale. Et, au cœur de cette création, il nous forma Homme et Femme à son image : libres et dotés d'intelligence. Et pour que l'humanité se souvienne de lui, il privilégia quelques lieux où l'on pourrait le reconnaître, le retrouver. Le Mont-Saint-Michel et sa baie sont un de ces espaces où Dieu donne rendez-vous à l'homme.
Pour réaliser cela il fallut le rêve d'un évêque : Aubert, d'Avranches (né en 660, mort vers 725).Saint homme qu'un archange vint déranger trois fois dans son sommeil en 708 pour lui intimer l'ordre de construire une maison de Dieu sur le mont Tombe. C’est Michel, prince de la milice céleste, premier des anges, qui s'est chargé de ce travail. « Qui est comme Dieu ? » Cette traduction de l'hébreu Mi-Ka-El, hante depuis près de mille trois cents ans le rocher où s'est édifié l'un des sites les plus extraordinaires qu'on puisse voir en Europe : le Mont-Saint-Michel. La question peut être ressentie comme une menace. C'est l'archange guerrier qui pousse son cri d'indignation devant l'orgueil et la folie des hommes qui ont, de tout temps, cherché à conquérir le pouvoir d'intimider et de dominer leurs semblables. De ce point de vue, l'abbaye du Mont-Saint-Michel pourrait être l'expression de cette propension. D'où vient qu'elle ne provoque pas cette impression ? Cela tient sans doute à une conjonction de facteurs extrêmement subtils et tout à fait particuliers à cet ensemble qui comprend la baie, le village et l'abbaye. Ce mélange rare de terre, de mer, de vent, de pierres, cette conjonction étonnante et positive du travail de la nature (les croyants disent de Dieu) et du génie humain empêchent le dérapage des sentiments et permettent d’équilibrer mesure et démesure, grandeur et humilité, gloire et déchéance, spirituel et matériel, univers de création et univers d'achèvement, Dieu et Démon, Michel et Satan.
La magnificence du lieu (classé monument historique en 1862 et patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979, l’un des sites les plus visités de France), la réputation de l'archange, la beauté des constructions ont vite mis en marche de nombreux pèlerins. Conscients dans leur foi d'avancer vers la « Jérusalem céleste » ; reproduisant au long de leur pérégrination la marche des hébreux dans le désert ; imitant le peuple élu traversant à pied (presque) secs la mer des roseaux. Passer à travers la mer, n'est-ce pas passer à travers la mort ?
Tout pèlerin revit pour lui-même l'aventure d'Israël. Il doit s'arracher au quotidien, accepter d'abandonner ses certitudes, ses appuis, ses sécurités. Il doit faire confiance : la baie est dangereuse, le sable mouvant, la marée rapide. Et quand il a pris pied sur le rocher, il n'est pas encore au bout de ses peines. La montée du village est aussi un chemin symbolique. Le visiteur, sans s'en apercevoir, quitte peu à peu le monde du commerce humain pour celui du « commerce » divin, des nourritures terrestres (symbolisées par la célèbre omelette proposée à l'entrée de la ville), il monte jusqu'aux nourritures célestes. De la table de l'auberge à la table de l'autel où le pain et le vin deviennent pour les chrétiens corps et sang du Christ. Le passage d'une table à l'autre n'est pas facile. Il faut monter sans cesse. D'abord la rue très en pente ; puis les 360 marches du « Grand Degré ». Pas d'ascenseur, pas d'escalier mécanique, mais quelle récompense que d'entrer dans cette grande forteresse construite pour assumer une triple fonction : être imprenable par quelque force ennemie que ce soit ; être accueillante au pèlerin épuisé qui arrive au terme de sa route ; être resplendissante pour dire la gloire de Dieu et permettre à l'âme de s'élever dans une prière fervente, sous l’œil bienveillant de la statue de saint Michel, qui trône à 170 mètres au-dessus du niveau de la mer.
La baie, le village, l'abbaye du Mont-Saint-Michel témoignent de cette unité créatrice de Dieu et de l'Homme. Ils signent, par leur histoire, la vocation spirituelle, économique et politique de ce lieu. Ils invitent le croyant, comme le non-croyant, à se laisser gagner par l'admiration, la contemplation et la jubilation.
Depuis 1300 ans, l'Église catholique, fidèle à sa vocation et à la mission donnée par l'archange, s'efforce de proclamer la Parole de Dieu, accueille les pèlerins et leur offre les sacrements de l'Eucharistie, du pardon, des malades si nécessaire. Elle est également attentive à la vie spirituelle de la population qui, de tout temps, habite sur le rocher, au pied des murailles de la puissante abbaye-forteresse. Peuple de pécheurs, peuple de commerçants, peuple d'aubergistes et d'hôteliers… Le petit cimetière qui jouxte l'église Saint-Pierre est le témoin séculaire de la permanence de cette vie laborieuse et austère. Aujourd'hui, les pèlerins sont souvent submergés par les touristes. C'est donc un double accueil qui nous incombe, mais c'est une même et seule mission : comprendre et partager l'héritage de tous ceux qui ont « fait » le Mont-Saint-Michel afin d'être, pour notre temps et les temps futurs, des bâtisseurs de beau, de bon et de bien.
André Fournier,
recteur du Sanctuaire Le Mont-Saint-Michel
Source : mariedenazareth.com
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