par Saint-Grégoire le Grand
      
  
2 Or Jean, ayant entendu parler dans sa prison des œuvres du Christ, Lui envoya dire par ses disciples: 3 ‘‘Es-Tu Celui qui doit venir ou devons- nous en attendre un autre?”
4 Jésus répondit en leur disant: “Allez et rapportez à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez: 5 les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et les pauvres ont appris la Bonne Nouvelle. 6 Et bienheureux celui qui ne trouvera pas en moi un obstacle qui le fasse trébucher’’.
7 Lorsqu’ilsfurent repartis, Jésus parla à la foule au sujet de Jean: “Qui êtes-vous allé voir dans le désert? Un roseau agité par le vent? 8 Mais qui donc êtes-vous allés voir? Un homme vêtu d’étoffes précieuses? Mais ceux qui portent des étoffes précieuses habitent les demeures des rois!
9 Mais pourquoi y êtes-vous allés? Pour voir un prophète? Oui! Je vous l’affirme, et plus qu’un prophète! 10C’est celui dont il est écrit: « Voici que j’envoie mon messager devant ta face, qui préparera le chemin devant toi ».
Frères très chers, nous devons nous interroger ainsi: Jean, un prophète,  et  même plus qu’un prophète, rendit témoignage au Seigneur, lorsqu’Il vint se faire baptiser dans le Jourdain, en disant: « Voici l’Agneau de  Dieu, voici Celui qui ote le péché du monde ». (Jn 1: 26-36) - Et, considérant  sa propre petitesse et la Puissance de la divinité de Jésus, il déclara: "Celui qui est de la terre parle de façon ter-  restre et Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous" (Jn 3: 31 1). Pourquoi donc, une fois en prison, envoya-t-il ses disciples Lui demander: « Es-Tu Celui  qui  doit venir ou devons-nous en attendre un autre? »  tout comme s’il ne  connaissait pas du tout  Celui  qu’il avait manifesté,  comme s’il ignorait tout, à présent, de Celui qu’il  avait lui-même proclamé en  prophétisant à Son sujet,  en  Le baptisant et  en  Le désignant.
    Cette question sera vite résolue si l’on  considère le temps et  l’ordre  des événements. Auprès des eaux du Jourdain, Jean affirmait  que  Jésus était le Rédempteur du monde, mais du fond de sa prison il  Lui envoie  demander s’Il est Celui qui doit  venir, non qu’il  doute que Jésus soit  le Rédempteur du monde, mais il cherche à savoir si Celui qui, de Sa  propre  volonté, est  venu dans le monde, descendra  aussi, par cette même volonté,  dans la prison des enfers.
    Car celui qui  avait précédé Jésus en L’annonçant  au  monde, Le précéda aussi  aux  enfers, par la mort.
    Il Lui dit  donc: « Es-Tu Celui  qui doit  venir ou devons-nous en attendre  un autre? »,  comme s’il disait clairement:  « De même que Tu as daigné naître pour les hommes, daigneras-Tu aussi,  pour les hommes,  subir la mort; de telle sorte  que moi, qui fus le précurseur  de Ta naissance, je devienne aussi le précurseur de Ta mort, en  annonçant Ta descente aux enfers  comme déjà j’ai annoncé Ta venue au monde? ».
    Etant ainsi interrogé, le Seigneur donna  d’abord  des preuves manifestes  de  Sa Puissance, puis, répondant en paroles, prophétisa l’humiliation de  Sa propre mort: « Les aveugles voient et  les boiteux marchent, les  lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et  les pauvres ont  appris la bonne nouvelle. Et bienheureux  celui  qui ne  trouvera pas en Moi  un  objet de scandale. » (5-61)
    Qui ne serait émerveillé plutôt  que  scandalisé devant tant  de  signes prodigieux!  Mais l’esprit incroyant  supporta un scandale bien  plus  grand à son sujet quand, après tant de miracles, il Le vit mourir.  C’est pourquoi Paul a dit:  « Nous, nous  proclamons  le Christ crucifié, scandale pour les  Juifs, folie pour les païens ».  (1Co  1: 23)
    Aux hommes, en effet, il semblait vraiment  insensé que l’Auteur  de  la vie dût mourir pour les hommes; l’homme saisit ainsi contre Dieu une  occasion de scandale, là où il aurait dû se sentir  bien davantage Son  débiteur, car plus Dieu a supporté  d’indignités pour le genre humain,  plus  il est juste qu’Il soit honoré par les  hommes.
    Et que veut dire Jésus par: - Bienheureux celui qui ne trouvera pas en Moi  un objet de  scandale - sinon signifier clairement l’abjection et l’abaissement  de Sa propre mort? Comme  s’Il disait ouvertement:
    « Oui, Je fais des  miracles, mais Je ne refuse pas  de supporter les  humiliations. Et ceux qui M’honorent à  cause de ces miracles  devraient se  garder de Me mépriser quand Je te suivrai  sur le chemin de la mort ».
    Les disciples de Jean étant repartis, écoutons ce que Jésus dit à la foule concernant Jean lui-même: « Qui êtes-vous allés voir dans le désert?  Un roseau agité par le vent? » De toute évidence Jésus n’attend pas une réponse affirmative mais une réponse négative.
    Le roseau, en effet, à peine touché par la brise, s’incline du côté  opposé. Et que désigne-t-on  par ce  roseau  sinon l’âme charnelle! A peine touchée, soit par la flatterie soit par  la critique, elle s’empresse de pencher du côté qu’on lui suggère; car si le souffle de la flatterie d’une  bouche humaine la caresse, elle se réjouit, s’exalte, et  s’incline de gratitude.
    Mais si, à la place des louanges, se lève le vent de la  diffamation,  l’âme s’incline aussitôt dans l’autre sens, succombant à la force de  l’orage.  Jean, lui, n’était pas un roseau agité  par le vent, car il n’était ni flatté par  la louange, ni irrité par la médisance, il n’était pas gonflé d’orgueil par la prospérité, ni déprimé par l’adversité. Non, vraiment, Jean n’était pas un roseau, car  rien  ne le fit dévier de la droiture de son chemin. Apprenons donc, nous aussi, frères très chers, à ne pas être des roseaux  agités  par le vent; gardons une  âme inébranlable au  milieu de l’instabilité des langages humains et que notre esprit reste résolu. Que la diffamation ne provoque pas en nous la colère, et qu’aucune faveur ne  nous  incline à une indulgence stérile. Que la prospérité ne nous gonfle pas, que l’adversité ne nous angoisse pas, afin que, fixés dans la solidité  de  la foi, nous ne soyons d’aucune manière troublés par l’instabilité des choses périssables.
  
    Jésus poursuit en ajoutant: « Mais qui donc êtes-vous allés voir? Un  homme vêtu d’étoffes précieuses? Mais ceux qui portent des étoffes précieuses habitent les demeures des rois! » Jean est décrit vêtu d’un  manteau en poils de chameau. Et que signifie: - ceux qui portent des  étoffes précieuses habitent les demeures des rois -, sinon que  Jésus  déclare  ouvertement: « Ceux  qui fuient les choses rudes  et ne  s’attachent qu’aux seules choses extérieures, ne recherchant  que  les douceurs et les délices de la vie présente, ne combattent  pas  pour le royaume  céleste mais pour un royaume terrestre ».
    Que personne n’estime que le péché soit tout à fait absent de l’amour  des  vêtements précieux et périssables. Car  s’il n’y avait là aucune faute  notre Seigneur n’aurait d’aucune façon  loué Jean pour la rudesse de  son vêtement. S’il n’y avait là aucune faute l’apôtre Pierre, dans  son  épître, n’aurait jamais réprimandé les  femmes  pour leur désir des vêtements  précieux, en disant: « Pas d’habits somptueux! » (1P 3: 3) Imaginez  donc, quelle faute il y aurait si les hommes recherchaient aussi les choses dont  le pasteur de l’Eglise a conseillé aux femmes de s’abstenir! Mais l’on peut  interpréter encore d’une autre façon le fait  que  Jésus mentionne que Jean n’était pas vêtu de vêtements précieux. En effet, loin d’excuser par  la flatterie ceux qui  vivaient dans  le péché, Jean les invectivait par des paroles rudes et vigoureuses, disant: « Engeance  de vipères! Qui vous a enseigné à vous soustraire à la colère qui vient? » (Mt 3: 7; Lc 3:  7)
    D’ailleurs Salomon aussi a dit: « Les paroles des sages sont comme des  aiguillons et leurs recueils  comme des clous plantés », (Qo 12: 11) Si les paroles des sages sont comparées à des clous et à des aiguillons c’est qu’elles  ne  caressent pas les fautes des  pécheurs, mais les transpercent!
  
    « Mais pourquoi êtes-vous allés au désert? Pour voir un prophète? Oui!  Je vous  l'affirme, et plus  qu’un  prophète! » La fonction du prophète est de prédire les choses à venir,  non de les manifester. Voici  donc  pourquoi Jean est plus qu’un prophète:  Celui  de  qui il a prophétisé en Le devançant,  il L’a aussi manifesté en Le désignant  à ses propres disciples. Puisque l’épithète de roseau agité  par le vent lui est  déniée,  puisque l’on ne lui attribue pas de vêtements précieux, puisque le titre  de prophète ne  suffit pas à le définir, écoutons ce  que l’on peut dignement affirmer de lui: « C’est celui dont il est écrit: - voici que  J’envoie mon messager  devant Ta Face, qui préparera le chemin  devant Toi! » Ce que nous traduisons en latin par « messager » (nuntius) se dit en grec « ange » (aggelos). Oui, il est bien digne d’être appelé ange celui qui est envoyé comme messager du Juge céleste! Ainsi il devient de nom ce qu’il accomplit en acte: ce nom, en vérité, est très élevé,  mais sa vie ne le fut pas  moins!
 Frères très chers, tous ceux qui portent le nom de prêtre sont  aussi appelés anges; nous ne disons pas cela de notre propre jugement, ainsi  l’atteste le prophète en  disant:  « Les lèvres du  prêtre  gardent  la science, et à sa  bouche on demande la Loi, car il est  l’ange du Seigneur Sabaoth ».(Ml  2: 7)
    Vous aussi, vous  pouvez prétendre à ce  nom très élevé si vous  le désirez; car chacun de vous, autant qu’il lui  est possible, dans la mesure où il répond à la grâce d’En-haut,  devient un ange chaque fois que, par des paroles salutaires, il invite son prochain à la conversion,  il l’exhorte aux œuvres du bien, il lui remet en mémoire le royaume éternel ou le supplice des dévoyés.  Et que nul ne dise: «  Je ne suis pas capable de  mettre les autres en garde… je ne sais pas exhorter…  » Faites ce que vous pouvez, de peur que le talent  que  vous avez reçu, étant  employé sans profit, ne vous soit réclamé avec sévérité - car celui qui n’avait reçu qu’un seul talent prit soin de l’enterrer plutôt  que  de l’employer profitablement.
  Nous lisons que dans le tabernacle de Dieu il n’y avait pas seulement des  vases  d’or  mais également, selon le précepte du Seigneur,  des cuillères (Ex 37). Par vases, il faut entendre ici la plénitude de  la doctrine, et par cuillère une  connaissance réduite et partielle.  Celui  qui est rempli de la doctrine de la vérité enivre les esprits  de  ceux qui l’écoutent;  parce  qu’il dit, il tend le vase  pour abreuver. Un autre,  sachant qu’il ne peut tout expliquer, exhorte aussi bien qu’il peut, faisant  ainsi goûter du bout de sa cuillère. Vous donc, qui vivez dans le tabernacle du  Seigneur, c’est-à-dire dans la Sainte Église, si vous ne pouvez faire boire  directement au vase par l’enseignement de la sagesse, dans la mesure où vous le  permet le don de Dieu, donnez à votre prochain quelques cuillerées de la bonne  parole. Et si vous pensez avoir fait vous-mêmes quelques progrès, emmenez les  autres avec vous! Cherchez à vous faire des compagnons sur le chemin de Dieu!  Quand l’un de vous, mes frères, se promenant sur le Forum ou dans les Thermes,  rencontre un ami qu’il pense inoccupé, il l’invite à venir avec lui. Si cet  acte simple de notre vie terrestre vous convient, et si vous êtes en route vers  Dieu, songez à ne pas voyager seul! Il est écrit: « Que celui qui entend dise:  - Viens! » (Ap 22: 17) De même, celui qui a reçu dans son cœur le message de  l’amour divin, doit-il communiquer ce message à son prochain! Ainsi celui qui  n’a pas même de pain pour faire l’aumône à l’indigent, peut-il, s’il a une  langue, lui donner ce qu’il a de plus précieux! Car c’est une chose plus grande  de fortifier durablement par la nourriture d’une parole que de repaître de pain  terrestre un ventre fait de chair périssable. Ne privez pas, mes frères, votre  prochain de l’aumône d’une parole! Je vous en conjure - et moi avec vous -:  abstenons-nous des vains propos, détournons-nous des bavardages inutiles!  Autant que vous le pouvez, dominez votre langue, ne dispersez pas vos paroles  aux vents, car notre Juge a dit: « Toute parole sans fondement que les hommes  prononceront, ils en rendront compte au jour du jugement ». (Mt 12: 36) Un vain  propos est une parole prononcée sans souci de vérité ou sans absolue nécessité;  convertissez vos propos oiseux en propos édifiants! Pensez que les jours de  votre vie s’enfuient vivement, et rappelez-vous la sévérité du Juge qui vient!  Gardez donc ce conseil devant le regard de votre cœur et rappelez-le à l’esprit  de votre prochain; ainsi, si vous ne négligez pas de l’avertir - autant qu’il  est possible à un humain - vous vous vaudrez, avec Jean, d’être appelé « ange  », ce que daigne vous accorder Celui qui vit et règne aux siècles des siècles. Amen.