PIERRE FAVRE, UN SAINT PORTEUR D’ESPÉRANCE

  
Daniel VILLAFRUELA, via Wikimedia Commons
« Le grand Pierre Favre… », c’est ainsi que François de Sales présentait son compatriote dans L’introduction à la vie dévote (édition 1619). Tous deux étaient Savoyards (faut-il rappeler que c’est en 1860 seulement que le Duché de Savoie fut rattaché à la France ?)

Une enfance proche du Seigneur. Pierre Favre (1506-1546) est né en Haute-Savoie, au hameau du Villaret, entre Saint-Jean-de-Sixt et le Grand-Bornand. Il grandit dans la ferme de ses parents. Petit berger, enfant très sensible et impressionnable, il est dévoré par la passion d’apprendre et d’étudier. En Europe, la Renaissance bat son plein : un bouillonnement un peu pareil au nôtre…* Le petit pâtre, avec l’appui de son oncle prieur à la Chartreuse du Reposoir (actuel Carmel, classée Monument Historique), part pour Paris en 1525. Il y poursuit de brillantes études au Collège Sainte-Barbe où il se lie d’amitié avec un Navarrais de son âge, François Xavier, et bientôt avec un « vieil » étudiant de 36 ans, Ignace de Loyola qui vient compléter des études et dont Pierre Favre accepte d’être le répétiteur. Ils partagent « la même chambrée, la même table et la même bourse », écrit Pierre Favre dans son Mémorial. De ce groupe d’« amis dans le Seigneur », comme ils s’appelaient, il est le premier à être ordonné prêtre. Et c’est à Pierre Favre qu’Ignace, en son absence, confie ce petit groupe, noyau de la future Compagnie de Jésus… 

Éternel pèlerin.
 Pierre Favre parcourt l’Europe gagnée par les idées de Luther pour tenter d’instaurer un dialogue. Le Pape l’envoie en Germanie… Mais Ignace prend le relais quand il lui demande de fonder la Compagnie de Jésus en Espagne et au Portugal. De retour d’une mission en Espagne, en chemin vers Trente où se tenait le Concile, il meurt d’épuisement à 40 ans. Il venait de faire cette confidence à l’un de ses frères, Simon Rodriguez : « Je suis de nouveau rappelé d’Espagne pour aller au Concile de Trente. S’il n’y avait cet appel du Pape, on pourrait à bon droit me trouver bien inconstant dans mes travaux après tant de pérégrinations diverses en pays étrangers. Pour ma part, si je ne voyais en tout cela l’obéissance, je ne pourrais me consoler : toujours partir au moment où j’aurais plus de raison de rester sur place ! » 

Pierre Favre et le Pape actuel. Le pape François déclare Pierre Favre « saint » le jour de son propre anniversaire : le 17 décembre 2013, près de quatre siècles après Ignace de Loyola et François Xavier. Pourquoi cet intérêt du nouveau Pape ? La proximité de Pierre Favre avec des gens des plus divers et notamment les plus pauvres en fait, pour le Souverain pontife, un modèle privilégié : « Le dialogue avec tous, même les plus lointains ; un discernement intérieur toujours en éveil, le fait d’être homme de grandes et fortes décisions, capable d’être si doux… », c’est ainsi que le décrit le Pape.

L’espérance en exemple.
 En quoi Pierre Favre peut-il nous aider à vivre en chrétiens heureux et ouverts aux défis de notre siècle ? Lui suffirait-il d’avoir vécu dans une Renaissance effervescente comme notre époque pour être donné en exemple ? Non, car le fréquenter peut nous apprendre comment trouver cette stabilité et ce repos du cœur qui nous manquent tant de nos jours. Nous le voyons en effet passer d’une inquiétude anxieuse, celle d’un homme pour qui la liberté ne paraît qu’une source de catastrophes, à l’audace radieuse de celui qui a entendu l’appel de la vie et y répond de tout son être. Cette sensibilité extrême en voie de guérison, qui fut la sienne, cet émoi incertain mais joyeux, est-ce encore de l’angoisse ? Peut-être lui préférerons-nous le terme d’espérance qui se fit jour peu à peu dans toutes les démarches apostoliques de cet éternel pèlerin ? Ou le terme de « repos du cœur » ? Effectivement Favre découvrit que le repos promis par Jésus dans l’Évangile (Matthieu 11, 28-29) est moins une interruption dans la « peine » qu’une stabilisation, un arrêt de l’agitation et du trouble, une sorte de certitude que l’on est là où l’on doit être et où on est le mieux : parce que c’est là qu’il est, lui, pour nous. 

Écoutons-le plutôt : 
« Un tourment ne me quitte pas depuis mes premiers contacts avec l’Allemagne : la crainte de sa totale défection, cet esprit de doute qui, de tant de manières jusqu’ici, m’a persécuté, tâchant par tous les moyens de m’amener à désespérer de faire du fruit et à abandonner le poste qui m’a été confié en Rhénanie… » (M. 329) 

« Efforce-toi plutôt de devenir l’instrument du bon esprit »

« Ne te fie pas à ces mauvais esprits d’après lesquels tout se terminera mal, tout se présente mal, ou qui soulignent ce qui va mal. Esprits mauvais, ils dépeignent à l’image de ce qu’ils sont la situation qu’ils veulent et souhaitent aggraver encore. Efforce-toi plutôt de devenir l’instrument du bon esprit : il te montre la situation et la conjoncture telles qu’il les souhaite et comme il est prêt à les faire évoluer avec ton aide… » (M. 158) 

Qui ne voit qu’il est urgent de se laisser gagner par cette attitude de Pierre Favre dans cet enchevêtrement de conflits répercutés aujourd’hui en Europe ? Si nous n’y prenons garde, nous nous laissons déporter du côté obscur et écraser par des forces du mal dont il n’est pas aisé de s’émanciper. En témoigne un tic médiatique récent : le retour du mot glaçant : « sidération ».   

*La Renaissance, autour de 1500, c’était l’invention de l’imprimerie, la découverte de l’Amérique, la révolution cosmologique de Copernic… et par-dessus tout cela, ou par en-dessous, l’émergence du projet radical de la liberté individuelle. Cela s’étendit sur près de 300 ans. 
Et, de nos jours, l’internet, la mondialisation… Plus qu’une Renaissance, c’est une mutation anthropologique que nous vivons. L’espérance de vie d’une Française est de 84 ans : quel changement par rapport au mariage, à l’enfantement, à l’héritage. Nous ne sommes plus les mêmes par rapport à la douleur, grâce aux anesthésies qui chamboulent la morale. Les nouvelles technologies métamorphosent notre identité spatiotemporelle, donc notre rapport à la loi… Avec cette différence flagrante : la vitesse des changements. Ainsi il a fallu 10 ans pour que notre planète soit interconnectée !

Quelques éléments biographiques sur Pierre Favre (par Pierre Ferrière, s.j.). 
Les parents de Pierre Favre répugnent à le laisser aller en classe. Et l’enfant, surtout la nuit, « sanglotait en rêvant à l’école ». Un oncle alors intervient : Dom Mamert Favre, prieur à la Chartreuse du Reposoir. Un jour que son neveu vient le voir, après six ou sept heures de marche par les raccourcis montagnards, il l’écoute avec attention et fait dire au père de l’enfant : « T’opposer aux études du petit Pierre serait t’opposer aux desseins de Dieu. » Très tôt, en effet, Pierre Favre a fait le vœu de chasteté et se destine au sacerdoce. 
C’est ainsi qu’il obtient de s’en aller jusqu’à Thônes (Haute-Savoie), où se trouve une école. Il y apprend à lire, à écrire et le commencement de la grammaire. Ensuite, il passe neuf ans au collège de La Roche où enseigne maître Pierre Velliard qui rend évangéliques tous les poètes et auteurs qu’il explique. Grâce à ce professeur, le latin devient pour Pierre aussi familier que sa langue maternelle. Humanités, rhétorique, philosophie : il acquière une formation complète. Mais un jour, l’abbé Velliard déclare n’avoir plus le temps de le pousser davantage. Sur le conseil d’un cousin également chartreux au Reposoir -Dom Mamert étant mort- Pierre part pour Paris où la Sorbonne attire des jeunes de l’Europe entière. Nous sommes en septembre 1525. La Renaissance bat son plein avec ses artistes (Jérôme Bosch, Léonard de Vinci, Michel-Ange…), ses humanistes (François Rabelais, Thomas More, Erasme…) et ses chrétiens « réformés » (Martin Luther, Jean Calvin…). 
Pierre Favre partage son logement parisien avec un gentilhomme navarrais de son âge : François Xavier. Très vite, ils se comprennent et deviennent amis. En 1530, Pierre est reçu licencié ès arts lorsqu’un autre Espagnol arrive au collège Sainte-Barbe : Ignace de Loyola, un « ancien combattant » qui, à 36 ans, vient compléter des études. Pierre accepte volontiers d’être son répétiteur. Et voilà qu’autour d’Ignace se forme un petit groupe de sept : Espagnols, Portugais, Savoyard, noyau de la future compagnie de Jésus. Pierre est ordonné prêtre le 30 mai 1534, le premier de ce petit groupe. Et c’est lui qui, le 15 août 1534, sur la colline de Montmartre, reçoit les premiers vœux d’Ignace et de ses compagnons, sans bien savoir encore ce qui s’inaugure ce jour-là. Les unissent la forte personnalité d’Ignace, une amitié, la fréquentation de la même université et, plus profondément, une même expérience des Exercices, faite par tous un mois durant, sous la direction de celui qui en est l’auteur. 

           

Le 8 janvier 1537, Favre et ses compagnons arrivent à Venise où Ignace les attend. Ils travaillent dans les hôpitaux, vivant d’aumônes et prêchant dans les rues. Les compagnons, qui sont maintenant dix, vont à Rome s’offrir au Pape pour être envoyés en mission, partout où il l’estimera important. Dans son Mémorial (18), Pierre Favre rappelle en ces termes ce moment fondateur : « En cette même année (1538) (…), il se produisit une autre grâce bien remarquable, qui est comme un « fondement » pour toute la Compagnie : nous nous étions présentés en holocauste au Souverain pontife Paul III, afin qu’il examinât en quoi nous pourrions servir notre Seigneur pour faire le bien dans tout le domaine soumis à l’autorité du Siège apostolique, menant nous-mêmes une vie toujours plus pauvre et prêts à partir sur son ordre au fin fond des Indes ; et notre Seigneur voulut qu’il acceptât et se réjouit de nos projets. J’aurai donc toujours, comme chacun des autres compagnons, à rendre grâce au Maître de la moisson universelle de l’Église catholique, c’est-à-dire au Christ Jésus notre Seigneur, qui, par la voix de son Vicaire sur terre (ce qui est le plus clair des appels), a trouvé bon de nous indiquer comment nous employer à son service pour toujours. » 
À partir de ce moment-là, Favre se voit appelé à sillonner l’Europe entière : de Paris à Rome, de l’Italie aux bords du Rhin et en Bavière, des Pays-Bas au Portugal et en Espagne. Il ne parle pourtant que très peu de langues. En dehors du latin et du français, il sait assez bien l’espagnol, un peu d’italien mais il n’acquière jamais le vocabulaire de ces pays de Bavière et de Rhénanie auxquels il donna le meilleur de son temps et de ses forces. « Pèlerin jamais arrivé mais jamais arrêté » (Michel de Certeau), l’ancien petit pâtre est sans cesse sur les routes, s’attachant à chacun des pays qu’il traverse comme au sien propre. Son Père Ignace l’appelle à se rendre en Espagne et au Portugal ; le Pape le veut présent pour une Allemagne menacée dans sa foi. Ces pérégrinations incessantes l’épuisent ; il est contraint de s’aliter durant plusieurs semaines, fièvre tierce ou fièvre quarte. 
Il meurt à Rome, épuisé de fatigue et de fièvre (peut-être la malaria), sur le chemin de Trente où il se rendait, en 1546, l’année même où mourra Luther. 
Après avoir visité en quelques semaines plus de 1500 paroisses dans la région de Spire en Allemagne, Favre écrivait à Ignace : « Il y a du travail ici pour cent jésuites… C’est une désolation de constater le nombre de localités, même les meilleures, de cette pauvre Allemagne qui n’ont plus de prêtres… Vous pouvez imaginer quelle est mon existence et quel besoin on a ici d’un autre ouvrier que le pauvre Favre… » 
Mais plus fort que le sentiment d’impuissance devant les obstacles, il y avait en lui un optimisme fondamental : n’est-ce pas le propre de l’Esprit de Dieu de donner courage et force, « en diminuant et en supprimant tous les obstacles afin que l’on marche de l’avant » (Exercices 315) ?

Pierre Favre et la Vierge Marie.
« Il appartient aussi à la dévotion que j’ai pour la Très-Sainte Vierge que tous les ans, de cette même manière, je forme des désirs qu’il plaise à Notre-Seigneur, selon les temps qui s’écoulent entre les diverses fêtes de la Vierge Marie, de me donner des grâces semblables à celles dont elle était pleine. Le premier temps est celui qui va de la Conception de la Vierge jusqu’à l’Annonciation. Et là, ce devraient être de continuelles préparations, de manière qu’il me fut enfin donné de dire avec amour : « Voici la servante du Seigneur déjà devenue le Tabernacle du Très-Haut… »Le second temps est celui qui s’écoule depuis l’Incarnation jusqu’à la mort de Notre-Seigneur, et qui fut pour la Très-Sainte Vierge le temps de sa compassion. Enfin, le troisième temps est celui qui va de cette époque jusqu’à l’Assomption. Et je reviens ensuite au commencement. […] Le même jour, en pensant comment la Passion de Jésus-Christ et la compassion de la Très-Sainte Vierge avaient été comme les degrés d’une échelle par lesquels le Fils, le jour de son Ascension, et la Mère, le jour de son Assomption, s’étaient élevés de la terre au ciel, je sentis une grande dévotion, et j’eus en même temps une haute et profonde connaissance de toutes les choses les plus élevées et les plus basses, désirant que Notre-Seigneur m’accordât la grâce de ne jamais m’attrister ou réjouir que des choses dont il s’est lui-même attristé ou réjoui avec sa Très-Sainte Mère. » (Mémorial, août 1542)

Source : Aletheia

 

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