histoire

1303

SAINT YVES, ARTISAN DE LA CONCILIATION ET DÉVOT DE NOTRE DAME

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Né en Bretagne vers 1250-1253 et mort en 1303, saint Yves s’est illustré par son souci de justice et sa grande miséricorde acquise au contact de la Vierge Marie. Il est patron des étudiants bretons, des prêtres de Bretagne, des avocats et hommes de loi.

Enfance et adolescence. Yves Hélori de Kermartin, de petite noblesse, naît au manoir paternel du Minihy de Tréguier (« minihi »« lieu de refuge »), dans les actuelles Côtes-d’Armor, vers 1250-1253, alors que saint Louis règne en France. Enfant à la foi vive et brillant élève, ses parents l'envoient à 15 ans, avec son précepteur Jean de Kerhoz, à l'Université de Paris où il suit des cours de lettres et théologie. Il y entend saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure. Il étudie ensuite le droit pendant cinq ans au réputé studium d’Orléans, où il côtoie les grandes figures du siècle, sans que jamais l’étude ne prenne le pas sur la prière et le souci des pauvres. 

Un homme bon et charitable. Doublement diplômé en droit civil et canonique, chose alors rare, Yves est appelé en 1278 par l’Archidiacre de Rennes comme « official », juge ecclésiastique compétent dans les affaires de l’Église, des clercs, des veuves et orphelins. Seule lui importe la justesse de la cause, selon les témoins à son procès de canonisation, « il rendait à tous une justice rapide sans faire acception des personnes ». Il se donne avec ardeur à sa nouvelle tâche et aide de ses deniers deux jeunes compatriotes qui témoignent qu’aux jours de fêtes, Yves ouvre sa table aux pauvres du quartier, annonçant joyeusement : « Je vais chercher mes gens ! » À Rennes, il fréquente le couvent des Franciscains et y vit une « expérience spirituelle forte ». Le témoignage de Frère Guidomar Maurel, Franciscain de Guingamp, éclaire le rôle de la Parole de Dieu dans la conversion d’Yves à « Dame Pauvreté ».  

Franciscain dans l’âme.
 Sa réputation étant faite, l’évêque de Tréguier, Alain le Bruc, l’appelle en 1281 à son officialité alors vacante. Il l'ordonne prêtre vers 1283 et lui confie la paroisse de Trédrez (Côtes-d'Armor). Mais après un combat intérieur de dix années, en 1290, il adopte à 40 ans la robe de bure, signe de dépouillement et du rôle de la spiritualité franciscaine dans sa vie. Il devient en 1294 recteur de Louannec (Côtes-d'Armor) jusqu’à sa mort. Le voilà des heures durant sur les chemins du Trégor, toujours à pied, pour rejoindre ses chers paroissiens tout en restant l’official renommé de Tréguier.   

" Les témoins sont impressionnés par la foi
avec laquelle il célèbre la messe "


Une figure de la Miséricorde. 
Saint à genoux devant l’homme, Yves est enraciné dans la pâte humaine, attentif à chacun : aux bûcherons, meuniers, laboureurs et moissonneurs, prêt à secourir des charpentiers découragés, des pèlerins de passage en route vers les Sept Saints (le Tro Breiz) ou des accidentés auxquels il donne le Corps du Christ qu’il porte toujours sur lui. Sa table reste ouverte, et il fait construire au Minihy une maison pour les pauvres. Les témoins sont impressionnés par la foi avec laquelle il célèbre la messe, par sa « très grande dévotion », sa « très grande ferveur » dans la prière. L’official porte un soin attentif aux malades, les visite, fréquente l’Hôtel-Dieu de Tréguier, s’occupe des plus repoussants, nourrit l’un, lave l’autre, accompagne avec amour les mourants et coud leurs suaires.   

Un homme en quête de justice.
 En vrai disciple du Christ, Yves va à contre-courant de l’esprit du monde. Des témoins rapportent les « multiples railleries » subies. Mais il n’a rien d’un timoré, Darien de Trégroin raconte : « Une fois, en ma présence, des gens du roi de France (agents du fisc de Philippe le Bel, en 1297) voulaient s'emparer de force d'un cheval de l'évêque de Tréguier. Dom Yves accourut et le leur arracha : « Vous direz ce qui vous plaira, mais, moi, pour autant que je le pourrai, je me battrai toute ma vie pour la liberté de l'Église. » » C’est à Trédrez, confronté aux misères humaines, que son sens d’une justice calibrée avec la précision de l’arpenteur évolue. La patience exemplaire d’Yves crée un climat de paix. À la froideur du jugement rendu, même en toute justice, se substitue la recherche de la conciliation pour éviter le procès. Le pasteur grandit et l’homme de loi s’efface. Yves perçoit désormais l’acte judiciaire comme rencontre des personnes ; il peut être le lieu de la conversion, de la réponse au divin « Suis-Moi », au divin « descends de ton arbre » que Jésus adressait au publicain Zachée, l’arbre de tes certitudes, de ton bon droit, qui te sépare de l’autre. Ce qui lui importe n’est plus de gagner promptement un procès, c’est d’établir paix, concorde et réconciliation, c’est le Salut des âmes. La paix émane de sa personne, Derrien de Bouaysalio témoigne : « C'est avec simplicité et douceur que dom Yves entrait en relation avec tout le monde, gens de rang élevé aussi bien que petites gens, qu'il les écoutait, qu'il leur parlait, prononçant toujours ses paroles avec gaîté et gentillesse. » Quand en 1300, trois avant sa mort, sous le poids de la fatigue et des veilles, Yves renonce à une part de ses charges, c’est la fonction d’official qu’il abandonne. Il reste recteur de Louannec jusqu’à sa mort. L’homme de justice cède la place au pasteur attentionné des âmes.

À l’école de la Vierge Marie. Yves reçoit de sa mère, Dame Azo du Quenquis, l’appel à la sainteté. Suite à une prémonition, elle lui apprend à vivre de façon à devenir un saint. Jean de Kerhoz, précepteur d’Yves, témoigne : « Sa mère m'a dit un jour qu’il serait saint, car la chose lui avait été révélée à elle, sa mère. Elle me l'a dit dans la maison des parents de dom Yves… Il y avait là sa mère et son père, dom Yves et moi, personne d'autre. » Azo l’initie à la prière à l’école de la Vierge Marie et de sainte Pompée, mère de saint Tugdual, moine fondateur de Tréguier. Un vitrail de l’église de Minihy-Tréguier le montre sur les genoux d’Azo, tourné vers l’ange Gabriel. N’est-ce pas par les mères que Dieu forge les âmes et cisèle ses chefs-d’œuvre ? Signe de son respect pour Marie, Yves a le souci du Salut des femmes qui croisent sa route. Il accueille pendant onze ans à Kermartin la « pauvresse »  Panthonada, femme de « Rivallon le Jongleur » et leur fille Amicia. Il enseigne les paysannes rencontrées au hasard des chemins creux, confesse les nobles dames à Kermartin sans compter son temps jusqu’à la veille de sa mort. Toutes le lui rendent bien, lavant son linge infesté de poux, faisant des offrandes pour « ses gens ».  Après sa mort, beaucoup de femmes enceintes en souffrance témoignent de leur guérison par l’intercession de saint Yves. 

Les miracles d’Yves. L’homme meurt épuisé le 19 mai 1303. La foule accourt de tout le Trégor pour accompagner sa dépouille : c’est la première procession de la Saint-Yves, le premier « Pardon de Saint-Yves ». Son testament est son seul écrit connu, sa sainteté y brille, humble, sans fard. Il écrira ainsi : « Moi, Yves, prêtre indigne et très méprisable serviteur du Christ. » Les malades affluent à son tombeau et les guérisons fleurissent. Loin de l’ambiance feutrée de nos églises, les foules médiévales sont bruyantes, enthousiastes, enflammées. Fous, boiteux, paralysés, tous se pressent. Dès qu’une guérison a lieu, les cloches se mettent à sonner à toute volée. Charles de Blois et le duc de Bretagne Jean III obtiennent une enquête de canonisation du pape Jean XXII d’Avignon. Menée par les évêques d’Angoulême et Limoges, elle a lieu à Tréguier du 23 juin au 4 août 1330 et permet l’audition de 213 témoins (500 se sont présentés). Ces derniers déposent sous la foi du serment sur la Croix, engagent leur âme. Aussi, l’acte est-il méticuleux : chaque détail est noté : noms des témoins, juges, interprètes, notaires. Ceux qui ironisent sur la crédulité du Moyen Âge n’ont pas étudié de telles pièces. Les actes originaux ont disparu, comme beaucoup d’archives d’Avignon, mais l’historien Arthur de La Borderie découvrit à la bibliothèque de Saint-Brieuc un manuscrit du XIVe siècle, avec copie de l’intégralité du procès-verbal de l’enquête. La maison Prud’homme l’édita en 1887 en 275 exemplaires. M. Jean-Paul Le Guillou traduisit le texte latin en 1989.   

La naissance d’un saint.
 Le 19 mai 1347, 44 ans après sa mort, le pape Clément VI déclare la sainteté d’Yves. Il est fêté le 19 mai. Depuis 700 ans, les cantiques bretons, traces vivantes du procès, transmettent l’histoire et la dévotion à dom Yves. Le duc Jean V érigea un superbe tombeau, visité par toute la Bretagne. Aussi, le bataillon d’Étampes (Essonne) s’appliqua-t-il à le détruire en 1794. C’est en 1890 que fut relevé le cénotaphe actuel, fleuri avec amour à chaque Grand Pardon. (Voir les ex-voto sur l’oratoire Saint-Yves : http://fonds-saintyves.fr/Voir-les-ex-votos-174 ).

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Saint Yves, dévot de la Vierge Marie.

La foi d’Yves est nourrie par les récits de la Sainte Famille, les psaumes mémorisés, le récit des fondations des évêchés et monastères par ces saints d’Irlande, de Galles ou de Cornouailles. Ils enracinent au Ve siècle la foi en Armorique. Yves, enfant, célèbre avec père et mère sainte Pompée à Langoat, saint Gonéry à Plougrescant, Maudez à l’île saint Maudez. En Trégor, nombreuses sont les églises et chapelles où la foi se revigore à la source des saints fondateurs. Puissions-nous aujourd'hui nous réapproprier nos racines chrétiennes. 
Dans une vénération ardente, Yves prie souvent la Vierge Marie, fréquente les chapelles qui lui sont dédiées comme au Yaudet, près de Trédrez, sa paroisse. Elle a été édifiée au XIe siècle, dans un cadre grandiose de falaises granitiques couvertes de landes, sur une pointe escarpée,  à l’embouchure du Léguer. L’édifice actuel reconstruit en 1855 est renommé pour sa Vierge couchée. La chapelle qu’Yves fait construire à Kermartin lui est dédiée, invitation à y prier le chapelet avec lui. Yves Avispice, ermite qui fut au service d’Yves, rapporte qu’« il jeûnait aux vigiles de la Bienheureuse Marie et des apôtres ». Derrien de Bouaysalio témoigne aussi : « Une fois, dom Yves, quelques autres et moi, sommes allés en pèlerinage ensemble, à la Bienheureuse Vierge de Quintin, au diocèse de Saint-Brieuc. À cette occasion, un de nos compagnons nommé Thomas de Kerrimel, touché par les exhortations et les prédications que dom Yves lui avait faites, se fit en chemin moine au monastère de la Bienheureuse Marie de Bégard. »   

Saint Yves et la relique de Notre Dame de Délivrance.
 
Yves allait-il à Quintin pour vénérer la relique de Notre Dame de Délivrance, un morceau de la ceinture de la Vierge Marie rapporté par un croisé ? Selon la tradition du sanctuaire, Geoffroy Boterel, premier Seigneur de Quintin participa avec son frère Henri à la septième croisade du roi saint Louis, en 1248. Il revint en 1252, rapportant un fragment de l’une des ceintures de la Mère du Christ, la relique lui aurait été remise par le Patriarche de Jérusalem, Robert de Saintonge, ancien évêque de Nantes. Il la déposa dans la chapelle de son château dédiée à la Vierge Marie, un reliquaire fut mis sous la garde des sacristains. Geoffroy, ayant échappé à la mort à Damiette grâce à la protection de saint François d'Assise, prit à Dinan chez les Cordeliers la bure franciscaine et y acheva sa vie. Cependant, cette tradition est remise en cause par l’historien du XIXe siècle qui publia le procès de canonisation de saint Yves, Arthur de La Borderie, pour qui la relique n’arriva pas à Quintin avant 1450. Elle aurait été prélevée sur la ceinture entière vénérée à Notre Dame du Puy en Poitou. Quoi qu’il en soit, la vénération de cette relique à Quintin a traversé les siècles comme en témoigne les ex-voto qui entourent Notre Dame de la Délivrance, offerts par toutes ces femmes enceintes reconnaissantes.

Le culte de saint Yves à Rome. 
Très tôt considéré comme le patron de la Bretagne, saint Yves accompagne les pérégrinations des Bretons en Europe, jusqu’à Rome, la capitale de la chrétienté où deux églises lui sont consacrées. La première est Saint-Yves-des-Bretons (Sant’Ivo dei Bretoni), non loin de la Piazza Borghese ; bâtie avant le Xe siècle sous le patronage de saint André, elle reçoit officiellement par bulle du pape Calixte III, le 20 avril 1455, le titre d’église de la nation des Bretons (la Bretagne n’est définitivement unie à la France qu’en 1532). Elle a longtemps contenu la tombe de Bretons décédés à Rome et abrité le siège d’une confrérie bretonne. Détruite en 1875 pour vétusté, elle est reconstruite au même endroit avec une façade de style néo-Renaissance restaurée en 2003. Chaque 19 mai, elle abrite une messe en français en l’honneur de saint Yves. La seconde est Saint-Yves-de-la-Sagesse (Sant’Ivo alla Sapienza), église baroque construite par Francesco Borromini dans le quartier du Panthéon ; c’est la chapelle de la célèbre université de la Sapienza.

Source : Aleteia - Daniel Giacobi

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