À l’heure où les communautés chrétiennes sont appelées par l’Assemblée des évêques du Québec à prendre « Le tournant missionnaire » ne serait-il pas intéressant de profiter du 375ème anniversaire de la fondation de Montréal pour se rappeler la mission fondatrice de Ville-Marie et se demander si la ville où nous vivons a encore aujourd’hui une mission?
Il est en effet assez fascinant de constater que la conception du projet Montréal s’est faite dans l’esprit d’un simple laïc, Jérôme Le Royer de La Dauversière, père de six enfants et notable respecté de La Flèche, en France. Bientôt ce sont les fidèles ordinaires de l’Église qui ont voulu répondre à la prescription du Seigneur ressuscité : « Allez, et de toutes les nations, faites des disciples ». Ils ont donné vie à cette « folle » entreprise de vouloir établir une ville « pour la conversion des indiens ». Il faut savoir qu’en effet les conditions de vie des autochtones étaient connues des français par le biais des Relations des jésuites et, devant des conditions de vie si précaires, il leur semblait comme un devoir pressant de faire connaître aux indiens d’Amériques du nord les bienfaits de la civilisation chrétienne. Non seulement voulait-on faire connaître le Christ Jésus, mais on voulait leur offrir l’éducation des enfants, le passage à la vie sédentaire avec la construction de maisons stables, la vie agricole avec les animaux domestiques, les soins hospitaliers, etc. En contrepartie, les Français ne demandaient pas mieux que d’appendre à connaître la sagesse de ces peuples millénaires.
La mission de Montréal était donc comprise comme étant la recherche d’une vie de communion de tous ses membres dans l’esprit du Christ. La mission était vue, non seulement comme un acte de charité, mais aussi comme un combat spirituel, une lutte à mort contre l’esprit des ténèbres qui était maître de ces lieux. Dans la mentalité des Français de l’époque, cela explique leur ténacité à tenir bon à Montréal, quand bien même tout semblait perdu. On ne capitule pas.
Pour diriger l’entreprise de Montréal c’est vers Paul de Chomedey, Sieur de Maisonneuve qu’on s’est tourné. Ce gentilhomme de vertu et de cœur, de 29 ans, avait gardé sa foi et ses mœurs pures au milieu d’une vie militaire assez débauchée et son courage n’avait d’égal que son sens du devoir. C’est ainsi qu’il répondit au gouverneur de Québec, qui voulait le dissuader d’aller à Montréal à cause de la menace belliqueuse des indiens, en disant : « Monsieur, ce que vous me dites serait bon si on m’avait envoyé pour délibérer et choisir un poste. Mais étant donné qu’il a été déterminé par la Société Notre-Dame, qui m’envoie, que j’irais à Montréal, il en va de mon honneur, et vous trouverez bon que j’y monte pour y commencer une colonie quand tous les arbres de cette île se devraient changer en autant d’Iroquois. »
La Providence allait également inspirer la vénérable Jeanne Mance, par un appel intérieur à se donner pour le Canada, à l’image de ce qui était arrivé à sainte Marie de l’Incarnation. Jeanne apporta à Montréal l’aide financière que lui confia Madame de Bullion et plusieurs autres dames qui voulaient soutenir son grand désir de fonder un hôpital à Montréal. Revenue en France pour y chercher des ressources, elle rencontra le curé de Saint-Sulpice, Jean-Jacques Olier, qui l’aida et Sainte Marguerite Bourgeoys, cette femme exceptionnelle, qui reviendra avec elle à Montréal pour assurer une bonne éducation aux enfants.
Ainsi commençait notre ville. Nous sommes pourtant loin d’un conte de fées. La survie fut une longue suite de luttes jusqu’en 1701, où il y eu La grande paix de Montréal, signée par le Sieur de Callière, représentant de la France et par 39 nations amérindiennes. Ce traité mettait fin aux guerres intermittentes qui ravageaient depuis toujours les tribus indiennes entre elles et assurait une nouvelle ère de développement dans les relations franco-amérindiennes. Comment ne pas y voir un acte découlant de la mission originelle de la fondation de Montréal? Après la bataille des Plaines d’Abraham, en septembre 1759, c’est par la prise de Montréal, en 1760, que la conquête de la colonie du Canada en Nouvelle-France par la Grande-Bretagne fut achevée mettant fin à guerre. Le territoire français fut attribué au Britanniques en 1763 par le Traité de Paris. En plus de son rôle propre, l’Église allait devoir jouer un rôle de cohésion sociale et de leadership dans la vie morale jusqu’à ce que les citoyens soient en mesure de prendre charge par eux-mêmes. La mission de la communion entre les peuples continue dans l’histoire de Montréal, et les évêques de Montréal en furent souvent les grands promoteurs, tout en assurant le service des pauvres et des malheureux, par le biais de multiples communautés religieuses.
En 1910, Montréal tenait le premier Congrès Eucharistique international hors de l’Europe. Toute la population y a participé avec une ferveur telle que tous les visiteurs n’en avait jamais vu, ni entendu parler. Il y a cinquante ans cette année, une autre occasion fut donnée à notre peuple de montrer ce qu’il était capable de faire. Il allait accueillir le monde entier à l’Exposition universelle de 1967. Le résultat fut tout simplement éblouissant. Était-ce le début d’un « temps nouveau », comme le disait la chanson, ou le produit le plus accompli d’un brave peuple, d’un « peuple nouveau »? On parlait plutôt de « révolution tranquille ». Puis il y eu le grand effort de la tenue des Jeux Olympiques d’été, en 1976.
Quoiqu’il en soit, Montréal n’a jamais cessé d’être une terre de cohabitation toujours plus cosmopolite, où il fait bon vivre. C’est d’ailleurs une ville sans véritable ghettos; ce qui est particulièrement rare.
Mais cette ville a-t-elle encore une mission? Si oui, laquelle? Et comment nos communautés chrétiennes peuvent-elles prendre un « tournant missionnaire » dans une continuité avec nos ancêtres et nos fondateurs? Comment allons-nous tenir compte des menaces contre la langue et la culture française, de la désaffection de notre religion, des crises morales que rencontrent les jeunes qui s’éloignent de l’idéal du couple et de la famille chrétienne, du système d’éducation qui ne résiste plus aux valeurs mondialistes, de la technologie envahissante aux dépens des relations interpersonnelles?
Un mot revient souvent dans le document des évêques, c’est le mot « conversion ». C’est justement le même mot qu’utilisaient les fondateurs de Montréal pour parler de la mission de Montréal. Il y avait dans ce projet le rêve d’une ville où la communion entre les peuples se ferait en cherchant à unir le meilleur de chacun pour le bien-être de la communauté. La communion est le sens très chrétien du mot « conversion ». N’est-ce pas le mot qui semble traverser toute notre histoire et la guider, hier, aujourd’hui et… demain? « Montréal, métropole de la Communion! »… Cela pourrait certainement inspirer nos liturgies du 375ème, car il faut garder vivant notre lien avec le Christ et en Église, seul garant de la véritable communion.
M. l’abbé Robert J. Gendreau,
Directeur du Service diocésain de pastorale liturgique