L’adoration des bergers dans l’art du

XVème au XVIIIème pour un joyeux noel

Je vous souhaite à tous un très joyeux noël et pour cette occasion, je vous offre un petit aperçu des plus belles scènes de nativité que j’ai pu trouver.

L’année dernière, nous avions évoqué l’adoration des mages qui marque la fête de l’Epiphanie, cette année, ce sont les bergers que j’ai décidé de mettre mis en avant.

L’adoration des bergers est l’une des scènes les plus représentées dans le cycle de Noël, associée à la représentation de la Nativité. Cette dernière comprend l’annonce faite aux bergers, leur adoration et celle des mages. Elle mêle en une image tout le récit narré dans l’Evangile de Luc,  qui avec celui de Mathieu forment les deux évangiles de l’enfance du Christ.

Perugino, 1497-1500, fresque, Collegio del Cambio, Pérouse, Italie 

Luc II, 4-18

« Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethlehem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

PENDANT QU’ILS ÉTAIENT LÀ, LE TEMPS OÙ MARIE DEVAIT ACCOUCHER ARRIVA, ET ELLE ENFANTA SON FILS PREMIER-NÉ. ELLE L’EMMAILLOTA, ET LE COUCHA DANS UNE CRÈCHE, PARCE QU’IL N’Y AVAIT PAS DE PLACE POUR EUX DANS L’HÔTELLERIE.
IL Y AVAIT, DANS CETTE MÊME CONTRÉE, DES BERGERS QUI PASSAIENT DANS LES CHAMPS LES VEILLES DE LA NUIT POUR GARDER LEURS TROUPEAUX.
ET VOICI, UN ANGE DU SEIGNEUR LEUR APPARUT, ET LA GLOIRE DU SEIGNEUR RESPLENDIT AUTOUR D’EUX. ILS FURENT SAISIS D’UNE GRANDE FRAYEUR.
MAIS L’ANGE LEUR DIT: NE CRAIGNEZ POINT; CAR JE VOUS ANNONCE UNE BONNE NOUVELLE, QUI SERA POUR TOUT LE PEUPLE LE SUJET D’UNE GRANDE JOIE: C’EST QU’AUJOURD’HUI, DANS LA VILLE DE DAVID, IL VOUS EST NÉ UN SAUVEUR, QUI EST LE CHRIST, LE SEIGNEUR.
ET VOICI À QUEL SIGNE VOUS LE RECONNAÎTREZ: VOUS TROUVEREZ UN ENFANT EMMAILLOTÉ ET COUCHÉ DANS UNE CRÈCHE.
ET SOUDAIN IL SE JOIGNIT À L’ANGE UNE MULTITUDE DE L’ARMÉE CÉLESTE, LOUANT DIEU ET DISANT:
GLOIRE À DIEU DANS LES LIEUX TRÈS HAUTS, ET PAIX SUR LA TERRE PARMI LES HOMMES QU’IL AGRÉE!
LORSQUE LES ANGES LES EURENT QUITTÉS POUR RETOURNER AU CIEL, LES BERGERS SE DIRENT LES UNS AUX AUTRES: ALLONS JUSQU’À BETHLEHEM, ET VOYONS CE QUI EST ARRIVÉ, CE QUE LE SEIGNEUR NOUS A FAIT CONNAÎTRE.
ILS Y ALLÈRENT EN HÂTE, ET ILS TROUVÈRENT MARIE ET JOSEPH, ET LE PETIT ENFANT COUCHÉ DANS LA CRÈCHE.
APRÈS L’AVOIR VU, ILS RACONTÈRENT CE QUI LEUR AVAIT ÉTÉ DIT AU SUJET DE CE PETIT ENFANT.
TOUS CEUX QUI LES ENTENDIRENT FURENT DANS L’ÉTONNEMENT DE CE QUE LEUR DISAIENT LES BERGERS. »

La représentation des bergers fut souvent éclipsée par celle de l’adoration des mages, quand les deux ne furent pas simplement mélangées. Il est frappant de voir que dans une seule œuvre peuvent être réunies l’annonce aux bergers, l’adoration de ces derniers et celle des mages. Les mages étant alors souvent en opposition des bergers, face à face et par la différence de richesse des costumes.

Les mages représentent les peuples non juifs qui se tournent vers Dieu, l’ouverture du Christianisme au monde, ils incarnent aussi une certaines majesté, alors que les bergers avaient autrefois mauvaise réputation, surtout dans l’antiquité, on disait d’eux qu’ils étaient des voleurs et  des brigands. D’où l’accent mis d’avantage sur les rois mages.

Lorenzo Lotto, 1532-1550, pinacothèque Tosio Martinengo

Pourtant la puissance symbolique des bergers est grande. En effet, ils incarnent le petit peuple, les gens simple à qui Dieu se manifeste avant tout autres. Ils sont les premiers mis au courant par les anges de la naissance du Christ, les premiers à l’apercevoir et à porter le message aux alentours. De plus, faut-il rappeler que le christ est souvent comparé à un agneau mais aussi à un berger, prêt à guider les hommes ? Cette analogie se retrouve beaucoup dans l’Ancien Testament (Genèse, Psaume, Isaïe, Nombres, Ezéchiel…) « Car moi-même je paîtrai mes brebis et les ferai reposer, dit le Seigneur, l’Éternel. »(Ez.34, 15) Leur présence en peinture, en plus d’une image de la Nativité, parlante à tous, notamment aux gens simples, qui se reconnaissent dans ces personnages d’aspect modeste, tout comme eux, marque un lien entre le Nouveau et l’Ancien Testament, et le rôle de Messie à venir. Cette analogie est parfaitement frappante sur le tableau de Lorenzo Lotto (1534) avec l’enfant qui prend dans ses mains l’agneau et l’assistance qui garde un regard sévère.

Le thème se développe dès le Moyen Age et la Renaissance. Au départ, Marie est sur le côté, comme Joseph, en adoration devant son fils qui tient la place centrale. Puis peu à peu, elle prend une place plus importante, notamment suite au Concile de Trente qui impose aux artistes de nouveaux codes esthétiques pour lutter contre la Réforme qui nie la sainteté de la Vierge. L’art doit donc être simple et percutant pour être compris par tous, on retire parfois l’âne et le bœuf, jugés trop anecdotiques, même si ils reviennent très vite, la Vierge doit être facilement identifiable, elle est l’intercesseur entre Dieu et les hommes qui se présentent et les anges encadrent généralement la scène. Ces derniers sont des défenseurs de la foi et l’Eglise tient à leurs présences dans l’art. Ils portent souvent un phylactère où est généralement écrit « Gloria in excelsis Deo », le refrain de la chanson de Noël ;), ils sont parfois musiciens, faisant partie du cortège céleste qui apporte la bonne nouvelle.

Voici donc en quelques mots, ce sujet expliqué. Maintenant, laissons l’art parler :

Je n’ai pas beaucoup trouvé de représentations datant d’avant le XVème siècle, Ce sera donc ce siècle notre point de départ.

Voici une belle nativité, sortie tout droit des Très Riches Heure du Duc de Berry (1411-1416, folio 44), correspondant aux Heures de la Vierge. Ici c’est la Sainte Trinité qui s’affiche, Dieu le Père/ la Colombe de l’Esprit Saint et enfin l’Enfant dans une même ligne. Nos bergers sont encore derrières, ils s’approchent sous le chant des anges.

Chez Piero della Francesca (1460-1475), Botticelli (1476-1477) ou Lippi (1466-1469), nous retrouvons une architecture en ruine, mais une architecture simple, ce n’est pas encore la grande ruine antique. Il s’agit plus d’évoquer la modeste étable de la nativité. La composition, surtout chez les deux derniers, est simple, les personnages sont de profils, encadrant l’enfant qui tient la place centrale, avec dans le fond, l’âne et le bœuf qui regardent la scène. Une composition similaire se retrouve chez Pérugino (1497-1500), mais la modeste ruine, laisse sa place à un magnifique portail Renaissance qui attire le regard sur un paysage de quiétude où flottent trois anges comme posés sur un nuage.

Filippo Lippi, 1467-69, Spoleto, Duomo / Botticelli, 1470’s, Santa Maria Novella ,Florence

Chez Ghirlandaio en 1482-, plus rien de simple mais au contraire un riche programme iconographique. D’imposant éléments d’architecture antique remplacent la modeste étable, les bergers sont richement vêtus sur la droite, une foule arrive au fond, quant au christ il repose sur un sarcophage où est sculpté une couronne épineuse. Encore une fois, c’est une évocation de sa persécution.

Ghirlandaio, 1482-1485, Florence, église Santa Trinita

On voit donc qu’au XVème siècle, ce thème est récurrent notamment chez les artistes florentins. Les représentations des siècles suivant sont beaucoup plus dynamiques dans leurs compositions. Les personnages sont moins figés, ils évoluent plus librement dans le tableau. Regardons par exemple cette adoration de Giorgione (attribution non certaine) de 1505-10. Malgré une grande simplicité et un certain dépouillement, l’innovation est tout de même prenante. Le peintre en effet bascule le champ d’attraction vers la droite, devant une grotte. Le paysage prend plus de place que la scène en question et les bergers, seulement deux, se retrouvent au centre du tableau. Tout ceci renforce l’impression de surprendre une scène intime, auquel nous ne sommes pas directement invités. Chez Corrège (1522-1530), cette intimité est rendue par le clair-obscur qui se dégage de l’œuvre. Dans la nuit, l’enfant irradie littéralement de lumière, surtout le visage de sa mère et de manière plus légère sur les protagonistes de la scène.

GIORGIONE, 1505-1510, WASHINGTON, National Gallery of Art.

 

Caravaggio, 1609, Musée régional de Messine, Sicile.

Le clair-obscur est aussi ce qui distingue de toute autre, l’adoration peinte par Caravage en 1609 lors de son séjour en Sicile. Ce traitement brut de la lumière donne à la scène une certaine austérité contrebalancée par la douceur des regards et surtout la pose de l’enfant. Il n’irradie pas, il ne regarde pas ceux qui viennent à lui, il est tout entier tourné vers sa mère. Caravage représente la simplicité et la rusticité de cette scène, il peint une « nativité pauvre », plus réaliste. Paradoxalement c’est l’œuvre qui lui rapporta le plus d’argents à la commande. Ce clair-obscur, cette sobriété, cette pauvreté est aussi ce qui définit la vision de Georges de La Tour. Les personnages se détachent sur un fond neutre et ils entourent l’enfant, qui éclaire leurs visages par le bas.  Dans le même principe quoi que traités très différemment, admirez ces deux Honthorst de 1622 et le magnifique Guido Reni. A chaque fois, l’enfant est une source de lumière, mais pas une lumière brute, une lumière délicate qui enveloppe ceux qui l’entourent.

 

Gerrit Van Honthorst, 1622, Cologne, Wallraf-Richartz Museum / Guido Reni, 1600’s, Certosa di San Martino, Naples

 

 

 

Poussin, 1633-4, National Gallery, Londres / Frères Le Nain, 1640, National Gallery, Londres

Cette simplicité retrouvée des personnages, bien que cette fois-ci placée dans de somptueux paysages antiques se retrouvent aussi chez Nicolas Poussin (1633-34), et chez les frères Le Nain (1640) dans un style classique indéniable.

Elle ne ressemble à aucune autre et c’est pour cette raison que je ne peux pas ne pas citer l’adoration des bergers peinte par Le Greco (1612-1614). Les personnages ont des poses plus qu’étranges, très étirés, émaciés. Une lumière blanche et crue provenant de l’enfant sculpte les silhouettes et anime la composition. C’est l’extase que cherche à mettre en avant le Greco. On porte un regard particulier à cette œuvre quand on sait que le peintre fit ce tableau spécialement pour sa propre tombe.

 

El Greco, 1612-14, Prado, Madrid

 

Le Brun, 1689, Louvre, Paris

Dans un esprit très chargé, voici Charles Le brun (1689). Les personnages sont très nombreux, tous regardent l’enfant et la vierge ou essayent de s’en approcher. La joie se reflète sur les visages et les anges sont légion, notamment cet orchestre céleste qui émerge d’une trouée nuageuse. Le peintre reprend la représentation d’un phylactère  comme ses prédécesseurs.

Pour finir, voici un Rembrandt et un Rubens. Le premier dans un style bien à lui, place la scène dans un milieu rural, où la piété s’incarne dans la simplicité des lieux et des personnages, le tout dans une lumière très sombre, alors que le second éclaire sa scène d’une vive lumière venue des cieux qui tombe sur la mère et sur l’enfant en train de téter. Ce n’est pas encore un dieu, juste un bébé et c’est l’espoir qui s’incarne en lui. L’espoir qu’un simple enfant, encore dépendant de sa mère, puisse un jour être le messie.

Rubens, 1615, Musée des BA de Rouen

Je pense que je vais arrêter là pour ce tour d’horizon. J’espère que croyant ou non, vous aurez apprécié ces magnifiques œuvres de notre patrimoine artistique, des morceaux de bravoures d’artistes de renoms pour célébrer la plus belle fête de l’année.

Rembrandt (élève), 1640, National Gallery, Londres

Joyeux Noël encore à tous, profitez-en bien, avec ou sans cadeaux, c’est la fêtes ou on retrouve ceux qu’on aime avant tout. A l’année prochaine.

Source - Museis