Un enfant de bon caractère. Antoine, appelé Fernando Martins à son baptême, est né à Lisbonne, capitale du Portugal, de Martin, fils d’Alphonse, et de Maria Taveira, en 1195 (ou 1190, d’après les analyses effectuées sur ses restes mortels), à l’ombre de la cathédrale. « Garçon de bon caractère, écrivent ses biographes, il apprit de ses parents à ouvrir largement ses mains aux pauvres et la miséricorde grandit avec lui dès l’enfance. » Confié pour son éducation et son instruction aux chanoines de la cathédrale, il ne céda point aux plaisirs d’une ville grouillante de jeunesse et de couleurs, peuplée de croisés teutoniques et bretons, attirés par le bon air et le soleil, mais apprit les rudiments de la grammaire et du bon parler, visita des églises, goûta au latin et à la liturgie et, à l’âge de prendre femme, il choisit de se consacrer à Dieu chez les Chanoines réguliers de Saint-Augustin, au monastère de São Vicente de Fora (Lisbonne), où enseignaient des maîtres experts en théologie, en logique et en médecine.
À l’école d’Augustin et de François. La proximité de la ville et les trop fréquentes visites de parents et d’amis nuisaient cependant à son amour du silence et de l’étude. Au bout de deux ans, il s’en alla donc au monastère de Santa Cruz de Coimbra (200 km plus au nord) et, par sa conduite, il montra clairement à tous que le changement ne fut pas seulement de lieu mais de vie. Ce furent les années les plus fécondes de sa formation théologique et spirituelle. Là, écrivent ses biographes, il scrutait le sens caché des Écritures et fortifiait sa foi contre les erreurs ; là, à l’école des Pères et des Docteurs de l’Église, il apprenait la sagesse et, en peu de temps, il fit preuve d’une telle connaissance des Écritures que sa mémoire lui servait de livre. Jusqu’au jour où des Frères pauvres de François frappèrent à la porte du monastère pour demander l’aumône. Ces Frères s’étaient installés depuis peu à l’ermitage de saint Antoine du désert, près de la ville, ils vivaient de leur travail et, bien qu’illettrés, ils enseignaient l’Évangile par leur vie.
Missionnaire au Maroc. Le 16 janvier 1220, cinq de ces Frères, envoyés par François évangéliser les Sarrasins au Maroc, furent cruellement décapités par le sultan et leurs corps, déchiquetés, ramenés par l’Infante Don Pedro, frère du Roi Alphonse II, à Coimbra, y reçurent un accueil triomphal. L’événement secoua fortement l’esprit de Fernand qui, concevant dans son cœur le projet de partir, lui aussi, au Maroc donner sa vie pour le Christ, priait ainsi : « Oh, si le Très-Haut daignait me faire partager la couronne de ces saints martyrs ! Si l’épée du bureau me trouvait pliant mon cou, à genoux, pour le nom de Jésus. » Un jour, il confia aux Frères son projet de vêtir leur bure, sur la promesse d’être envoyé annoncer le Christ aux Sarrasins. La prise d’habit eut lieu le surlendemain ; à cette occasion, il changea le nom de Fernand pour celui d’Antoine, en souvenir de l’ermite égyptien du désert, patron de l’ermitage et, au début de l’automne, partit pour le Maroc. Est-ce ferveur de jeunesse ou présomption de ses propres forces ? Le fait est que, immobilisé par une maladie, Antoine ne put réaliser son rêve et, au début du printemps, il fit retour au Portugal. Il était en vue de l’Espagne, lorsque des vents contraires projetèrent le bateau sur les côtes de la Sicile.
Antoine, « évêque » de François. Accueilli par les Frères de Messine (Sicile), il apprit qu’un chapitre de toute la Fraternité allait avoir lieu à Assise (Ombrie), fin mai, pour la Pentecôte 1221. Il s’y rendit, malgré les suites de la maladie et du naufrage, y rencontra et entendit François parler des biens promis à ceux qui servent le Seigneur, mais, lorsque tous les Frères regagnèrent leur communauté, Antoine resta seul, inconnu de tous et discret sur sa culture et son ministère sacerdotal. Frère Gratien, provincial de Romagne (Italie), lui demanda alors s’il était prêtre : « Oui », répondit Antoine, et Frère Gratien l’envoya à Montepaolo, sur les hauteurs de Forlí, où six Frères vivaient en ermitage. Là, pendant une année et demie, il vécut dans le silence, la prière et, par les jeûnes et la pénitence, maîtrisa durement son corps. Un jour de septembre 1222, des Frères mineurs et des Frères Prédicateurs étaient rassemblés à Forlì (Émilie-Romagne), à 180 km au nord d’Assise et à 75 km au sud-est de Bologne, pour une ordination sacerdotale et le supérieur invita Frère Antoine à tenir la conférence spirituelle d’usage. Il s’en esquiva selon son habitude, mais, réclamé par tous, il commença à parler d’une voix claire et exposa les Écritures avec une telle profondeur que celui qu’on ne croyait bon qu’à laver la vaisselle et à balayer le couvent, se révéla expert théologien, exégète, orateur et homme spirituel. Aussitôt Frère Gratien lui confia la charge de prédicateur dans la Romagne infestée par l’hérésie cathare. Peu après, François, reconnaissant en lui le Frère qui savait allier science et humilité, lui confia la charge d’enseigner la théologie aux Frères à Bologne, l’appelant « mon évêque », la charge de prêcher et d’enseigner étant réservée aux évêques ou à « des hommes éprouvés par leurs qualités de vie et de doctrine ».
Contre les hérésies, en France et en Italie du Nord. En 1223, le pape Honorius III lança un appel à Louis VIII, roi de France, pour lui demander d’intervenir en Languedoc, où « les hérétiques attaquaient ouvertement l’Église et ruinaient la foi catholique ». Antoine fut donc envoyé dans le Midi de la France pour ramener les croyants à la foi et à la morale de l’Évangile. Il enseigna à Montpellier et à Toulouse ; à Limoges, il fut responsable des communautés de France et le couvent du Puy l’eut comme supérieur. Jean Rigaud, Frère mineur, originaire de Limoges, puis évêque de Tréguier, nous a laissé le récit de nombreux miracles accomplis à Saint-Pierre du Queyroux, Saint-Junien, Solignac et Brive, dans le Limousin. Les grottes de Brive où il menait vie solitaire sont aujourd’hui un lieu de pèlerinage et de spiritualité parmi les plus fréquentés de France. Vers septembre 1224 et mai 1225, à Arles, François, encore vivant, approuva par sa bénédiction son travail de prédicateur et son amour de la Croix. En Provence et en Languedoc, dans le Limousin et en Velay, Antoine fonde nombreux couvents de Frères Mineurs. Les nombreuses conversions qui surviennent en France et en Italie lui valent le surnom de « marteau des hérétiques ». Rentré en Italie, il assiste au Chapitre général de la Pentecôte à Rome en 1227 (après la mort de saint François le 3 octobre 1226). Antoine y fut nommé provincial de l’Italie du Nord. Au cours de ce mandat, à Verceil (Piémont), l’abbé Thomas Gallo nous laissa de lui le portrait d’un mystique qui, « telle une lampe et à l’image de Jean-Baptiste, enflamme et éclaire l’Église de Dieu ».
Le grand Carême de Padoue. Au chapitre général qui eut lieu à Assise pour la Pentecôte 1230, durant lequel il prêcha devant le pape, qui, impressionné par sa connaissance de la Bible, l’appela « écrin, trésor du Testament », Antoine fut déchargé de toute tâche de gouvernement des Frères et reçut l’autorisation de prêcher librement en tous lieux de son choix. Il s’établit à cette occasion à Padoue (Vénétie), au couvent Sainte-Marie, à l’ouest de la ville où il avait séjourné durant son provincialat et noué des liens d’amitié et d’affection avec les habitants. Il occupa l’hiver 1230-1231 à la mise en forme de son œuvre écrite, Les Sermons des dimanches et des fêtes de l’année, mais dut l’interrompre au début du mois de février pour se consacrer entièrement, pendant quarante jours, « avec un zèle infatigable à la prédication, à l’enseignement et au ministère de la confession jusqu’au coucher du soleil, très souvent à jeun ». Ce fut un temps d’activité harassante, dans les églises de la ville, en plein air, devant une assistance qui dépassait parfois les 30 000 personnes de tous âges et de toutes conditions, mais très riche d’« une abondante moisson pour le Seigneur » : pacification d’anciennes rancunes, restitution de biens volés de gré ou de force, libération de pères de famille retenus en prison jusqu’à l’épuisement des dettes de l’usure, ferveur de femmes désirant toucher ou emporter comme relique un morceau de sa bure, conversion de bandits notoires et de femmes publiques…
Père de Padoue et Docteur de l’Église. Antoine connut d’avance le jour de sa mort et annonça du haut d’une colline entourant Padoue, l’honneur dont la ville allait jouir à cause de ses mérites. Épuisé, tourmenté par une hydropisie persistante, il dut se retirer à Camposampiero, à une vingtaine de kilomètres au nord de Padoue, pour recouvrer la santé et reposer son esprit. Tiso, comte du lieu et ami des Frères, construisit entre les branches d’un noyer trois cellules, une, au centre, pour lui et une, de chaque côté, pour ses deux compagnons. Ce fut « sa dernière demeure parmi les mortels ». Car, le vendredi 13 juin de l’an du Seigneur 1231, au cours du repas, il fut atteint d’infarctus et demanda à être ramené dans sa communauté de Padoue. Le voyage, sur un char à bœufs, fut pénible. À l’entrée de la ville, un Frère lui conseilla de s’arrêter au monastère de la Cella chez les Frères qui prêtaient assistance spirituelle aux Clarisses. C’est là que l’âme de Frère Antoine, munie des sacrements de l’Église, après avoir contemplé de ses propres yeux Jésus, son Seigneur (« Je vois mon Seigneur, Il m’appelle à Lui »), « fut absorbée dans l’abîme de la lumière ». « Ô vrai saint serviteur du Très-Haut, conclut son biographe, tu as mérité à la fois de vivre et de voir le Seigneur. Ô âme sainte, que bien que non arrachée par la main du persécuteur, tu as été transpercée par le désir du martyre et l’épée de la souffrance. Nous te prions, digne père : accueille avec bonté ceux qui t’honorent par l’offrande de leur dévotion, et assiste ceux à qui il n’est pas encore permis d’accéder à la face de Dieu. »
Aussitôt, des bandes d’enfants envahirent la ville au cri : « Le père saint est mort ; saint Antoine est mort », et toute la population pleura « le Père de Padoue, son guide et son cocher, qui laissait un peuple d’orphelins ». Durant plusieurs jours, son corps fut l’objet de disputes entre les habitants de Capodiponte (aujourd’hui Arcella), dans la banlieue, puisque le pont séparait ce quartier de la ville et la communauté de Sainte-Marie, qu’Antoine avait choisie de son vivant comme lieu de sa sépulture. Le matin du cinquième jour, un cortège triomphant et une liturgie solennelle, présidée par l’évêque, accompagnèrent sa dépouille à sa dernière demeure. Un lieu que les biographes devaient chanter comme une nouvelle Jérusalem, rassemblent le nouveau peuple de Dieu dispersé, au même titre que la Jérusalem de l’histoire, Rome et Saint-Jacques de Compostelle.
L’accomplissement de nombreux miracles, dès le jour de sa sépulture, suscita très vite un mouvement en faveur de sa canonisation qui eut lieu le 30 mai 1232 par le pape Grégoire IX, moins d’un an après sa mort. Très vite fut projetée la construction d’une grande basilique à Padoue chargée d’accueillir les nombreux pèlerinages et de lui rendre hommage (1238-1310). Trente-et-un ans après, le 8 avril 1263, Frère Bonaventure, docteur en théologie et ministre général de l’Ordre, procéda à la reconnaissance canonique du corps du saint et découvrit, avec émotion, sa langue encore fraîche et intacte. Le culte de saint Antoine se répandra notamment à partir de la Renaissance, en Extrême-Orient et dans le Nouveau monde, dans le sillage des explorateurs portugais. Si la dévotion populaire, très fervente à travers le monde entier, représente souvent le saint comme un franciscain très accueillant que l’on invoque pour retrouver les objets perdus, il ne faut pas oublier qu’il est avant tout un grand théologien et un contemplatif. Le 16 janvier 1946, fête des cinq martyrs du Maroc, Pie XII proclamait saint Antoine de Padoue, « docteur évangélique de l’Église ».
Le « saint aux miracles ».
La sépulture festive d’Antoine fut suivie aussitôt, rapidement, sur le champ, d’un grand nombre de miracles qui confirmaient de la part de Dieu sa sainteté, stimulaient la dévotion, affermissaient la foi et réjouissaient Padoue et l’Église. Les miracles soulevèrent dans un premier temps le mouvement d’enthousiasme qui aboutit à sa canonisation, célébrée le 30 mai 1232, à Spolète, en Ombrie, onze mois et demi seulement après sa mort. Ils se poursuivirent ensuite tout au long des siècles jusqu’à nos jours, faisant d’Antoine le « thaumaturge », le « saint aux miracles » par excellence. Un répons de l’Office liturgique de sa fête, le Si quaeris miracula, « Si tu cherches des miracles… », composé par un Frère de Paris, ancien musicien à la cour du roi, résume bien les prodiges que l’on obtient et la confiance du priant :
Si tu cherches les miracles, la mort, l’erreur, les disgrâces, les tentations, la lèpre s’enfuient, et les malades se relèvent, guéris.
La mer se calme ; les chaînes tombent ; les membres et les choses égarées sont demandées et reçues, autant des jeunes que des vieux.
Les dangers s’estompent ainsi que les difficultés : que ceux qui les ressentent, les Padouans, les racontent.
Mais la splendeur des signes sont les témoignages de la sainteté de sa vie, de son humilité, de sa simplicité, de son innocence, de son amour de la discipline et de la vérité de sa doctrine. Quelques années après, les témoins rendaient compte de la diffusion spontanée et rapide de ce culte en ces termes : « À la vue de si grands prodiges, sa renommée se propagea largement tout autour, attirant des peuples de différentes villes, provinces, langues et royaumes qui rendaient grâces à Dieu, célébraient par des magnifiques louanges les mérites de son saint et déclaraient heureuse la ville de Padoue enrichie de si grands honneurs. » Et son image assumait progressivement les traits du franciscain portant le livre, symbole de sa doctrine ; le lis, symbole de sa loyauté ; le pain, symbole de sa bonté ; l’Enfant Jésus, symbole de sa grande intimité avec Dieu et relié à l’apparition qui, d’après le témoignage du comte Tiso, eut lieu à Camposampiero, et le cœur, symbole de son ardeur pour Dieu et pour l’Église.
« À Jésus, par saint Antoine ».
Quel fut, dès le début, le sens de la dévotion universelle au saint de Padoue ? La réponse est condensée dans l’heureuse formule, lancée par le pape Pie XI, en 1931, à l’occasion du 7e centenaire de sa naissance : « Per Antonium ad Jesum », « Antoine est le chemin qui nous conduit à Jésus ». Il nous y conduit par sa parole, condensée dans les 76 sermons de son Opus evangeliorum, un commentaire des évangiles des dimanches et fêtes de l’année. Il nous y conduit par sa vie, réglée sur la norme de l’Évangile et tout particulièrement sur la loi suprême de l’amour.
Il nous y conduit aussi par ses miracles qui, comme ceux du Christ, sont des « signes » de sa vie agréable à Dieu et de son cœur rempli de pitié pour toutes les misères du monde. Devant un père de famille qui lui demandait la guérison de sa petite fille de quatre ans, paralysée et tourmentée par le mal caduc, Antoine, dit le texte, « admira sa foi », comme Jésus face à la foi du paralytique en Luc V, 20. Bien comprise, la dévotion à saint Antoine, reconnue et authentifiée par l’Église et telle qu’on la pratique dans ses sanctuaires, est donc un appel à la conversion et à la foi, et les grâces de santé, d’éducation, de travail, d’argent et autres mille angoisses quotidiennes que nous lui demandons, s’inscrivent comme des actes de confiance qui évoquent ceux des pauvres et des malades de l’Évangile.
Pauvreté de l’Incarnation et chant de la création.
À l’intention de ceux qui cherchent à se nourrir de sa théologie et de sa spiritualité, Antoine offre la belle image « du Père d’où nous venons, du Fils par lequel nous existons et de l’Esprit dans lequel nous vivons ». Image de la Sainte Trinité dont notre intelligence, notre mémoire et notre volonté portent l’image. Le merveilleux spectacle de la création est la source à laquelle il emprunte les symbolismes des arbres, des fleurs, des couleurs, des parfums et des animaux, afin de rendre son discours accessible aux auditeurs les plus raffinés. Son désir du martyre et la méditation du Fils de Dieu, pauvre et crucifié, et de sa « pauvrette mère », évoquent les accents de tendresse de saint François devant la crèche de Greccio et le martyre de ses stigmates. Enfin, comme le souligne avec force son biographe, Jean Rigaud, la prière d’Antoine était conforme à celle de son maître François qui disait : « la chose la plus désirable pour un religieux est l’assiduité à la prière » et « personne ne peut faire des progrès dans le service de Dieu s’il ne s’efforce d’élever son esprit au Ciel dans un élan de prière incessante ». De même, sa pauvreté qui se contentait du nécessaire et portait le souci de ceux qui pouvaient en manquer, était à l’image de la très-haute pauvreté de son père François.
Antoine, saint mystique.
Thérèse d’Avila voyait en saint Antoine de Padoue avec l’Enfant « un des grands contemplatifs qui ont aimé et gardé auprès d’eux leur ami le plus cher, Jésus Christ ». Parler de mystique à propos d’Antoine de Padoue peut poser question, tellement nous sommes habitués à ne le voir que comme intercesseur. Mais d’où peut venir la confiance en son intercession, sinon de sa profonde vie spirituelle et de ses pratiques contemplatives ?
Le mot « contemplation » revient plus de 300 fois dans ses Sermons et le parcours de son existence est jalonné de moments de haute contemplation, soit par des pratiques religieuses quotidiennes, soit surtout par les moments de vie solitaire qu’il s’aménageait après des périodes de grande activité. L’ermitage d’Olivais, à Coimbra (Portugal), lui apprit les délices de la vie contemplative franciscaine. Montepaolo (Italie) lui servit d’apprentissage de la vie d’ascèse et de prière. Aux Grottes de Brive (France), il découvrait le silence et le charme d’une vie éloignée des bruits des villes. À Camposampiero (Italie), il alla reprendre force et s’élever vers Dieu, après les rudes fatigues du Carême de Padoue.
Ses Sermons nous en laissent percer les accents les plus significatifs. Ils permettent en particulier de tracer un itinéraire allant de l’appel général à la vie mystique jusqu’à son sommet, les noces mystiques de l’âme avec l’Esprit-Saint. Deux symboles en dessinent les étapes fondamentales : la montagne, avec l’échelle des vertus pratiqués par le Christ ; et le désert, lieu de solitude, de colloques intimes avec le Bien-Aimé (cf. Osée II, 14) et de contemplation. Deux facultés y sont pleinement impliquées : l’intellect, pour la connaissance, et le cœur, par l’amour. Comme Bernard, le vocabulaire vibre des sensations de douceur qui évoquent le baiser de la Bien-Aimée des Cantiques. Et si saint François excelle par l’admiration et la louange, Antoine y ajoute le sel de la sagesse et de la discrétion.
Le chantre de Marie.
Saint Antoine a consacré sept sermons à la louange de la Vierge : sa virginité (1), la Nativité (1), l’Annonciation (2), la Purification (2) et l’Assomption (1). Une analyse plus minutieuse repère des traces de Marie dans 49 sermons. Y sont présentes des formules des prières traditionnelles, en usage à l’époque d’Antoine : l’Ave Maria ; le recours à sa protection, écho de sub tuum praesidium ; le Salve regina, où il préfère le titre de domina, « dame » à celui de reine, mais dont il reprend les invocations spes nostra, spes unica, eia ergo, Domina nostra (au lieu d’advocata) et Ave maris stella, combiné avec Alma Redemptoris mater, dans les expressions pervia caeli, porta manes et stella maris.
Malgré l’absence d’une vraie catéchèse, les Sermons de saint Antoine contiennent des véritables perles de spiritualité mariale. Fréquente est la louange, dans le sillage de saint Bernard, à laquelle sont dédiés les quatre sermons pour les fêtes : Nativité, Annonciation, Purification et Assomption. Des expressions plus isolées exaltent les motifs de l’habitation, de l’action de grâce, du trône du Fils de Dieu, et de sa « pauvreté dorée, qui a enveloppé de linges le Fils de Dieu et l’a couché dans une crèche ». La supplique confiante trouve sa plus belle expression dans la mater misericordiae qui nous réconcilie avec son Fils. Enfin, le sermon pour l’Annonciation reprend la louange au nom de Marie : « Nom doux, nom agréable, nom qui réconforte le pécheur et apporte l’espérance. » « Qui est Marie, sinon l’étoile de la mer, le sillage lumineux qui conduit au port ceux qui sont agités dans l’amertume (de ce monde) ? Nom aimable aux anges, terrible aux démons, salutaire aux pécheurs, agréable aux justes. »
Prières à Marie.
Voici quelques échantillons de prières à Marie que saint Antoine nous a légués dans ses écrits.
- À la louange de Marie : « Nous te prions donc, ô Notre Dame, notre espérance. Toi qui es l’étoile de la mer, brille sur nous qui sommes ballottés par la tempête de cette mer du monde, guide-nous vers le port et protège par ta présence notre sortie (de ce monde) afin que nous méritions de quitter en toute sécurité cette prison et de parvenir heureux au bonheur qui n’a pas de fin. »
- Étoile de la mer : « Nous te prions donc, Notre Dame : toi qui es l’étoile du matin, chasse par ta splendeur le nuage de la suggestion diabolique qui couvre la terre de notre esprit ; toi qui es la pleine lune, comble notre vide, dissipe les ténèbres de nos péchés, afin que nous méritions de parvenir à la plénitude de la vie éternelle, à la lumière de la gloire qui ne fera jamais défaut. Avec l’aide de celui qui t’a créée pour que tu sois notre lumière et qui, pour naître de toi, t’a fait naître aujourd’hui. À lui soit l’honneur et la gloire pour les siècles des siècles. Amen. »
- Marie, notre espérance : « Allons donc, Notre Dame, notre unique espoir, nous te supplions : éclaire nos esprits par la splendeur de ta grâce ; purifie-les par la candeur de ta pureté ; réchauffe-les avec la chaleur de ta visite et réconcilie-nous avec ton Fils, pour que nos méritions de parvenir à la splendeur de sa gloire. Avec l’aide de celui qui, en ce jour, par l’annonciation de l’ange, a voulu assumer de toi la chair glorieuse et habiter pendant neuf mois dans ta chambre nuptiale ; à lui honneur et gloire pour les siècles éternels. Amen. »
- Sainte mère de Dieu : « Nous te prions, ô Notre-Dame, noble Mère de Dieu, exaltée au-dessus des chœurs des anges : remplis la coupe de notre cœur de la grâce céleste, fais-le briller de l’or de ta sagesse, raffermis-le avec la puissance de ta force, orne-le avec la pierre précieuse des vertus et répands sur nous l’huile de ta miséricorde, toi l’olive bénie, pour couvrir la multitude de nos péchés, afin que nous méritions d’être élevés à la hauteur de la gloire céleste et être heureux avec les bienheureux. Que nous y aide Jésus-Christ, ton Fils, qui aujourd’hui t’a exaltée au-dessus des chœurs des anges, t’a couronnée du diadème du royaume et t’a placée sur le trône de la lumière éternelle. À lui reviennent l’honneur et la gloire pour les siècles éternels. Et que toute l’Église chante : Amen. Alléluia. »
Saint Antoine de Padoue et les objets perdus.
Qui ne connaît la coutume qui veut qu’on prie saint Antoine pour retrouver un objet perdu ? Cette habitude proviendrait d’une anecdote vécue par le saint en France. À Brive (Corrèze), un jeune moine envieux vola le commentaire sur les Psaumes que saint Antoine venait de rédiger et s’enfuit avec celui-ci. Toute la communauté en fut bouleversée. Frère Antoine pria avec ferveur pour obtenir le remords du moine. Ce dernier revint demander pardon et se prosterner aux pieds du saint. Il devint par la suite un religieux exemplaire. La piété populaire s’empara de cet épisode pour donner à saint Antoine la faculté de retrouver les objets égarés.
Le pain de saint Antoine.
Dans la ville de Padoue, peu après la canonisation de saint Antoine (1232), une maman avait laissé son enfant de 20 mois jouer dans la cuisine. Celui-ci se noya dans un bassin rempli d’eau. Désespérée, la mère supplia à genoux saint Antoine de rendre la vie à son enfant et promit de donner aux pauvres autant de pains que le poids de son enfant si elle était exaucée. Le miracle survint. Ce fut la naissance de l’œuvre des pains de saint Antoine, qui se diffusa un peu partout. En 1890, à Toulon (Var), un incident remit au goût du jour le pain des pauvres. Louise Bouffier, marchande, n’arrivait plus à ouvrir la serrure de son magasin au 41, cours Lafayette. Le serrurier appelé en urgence ne voit pas d’autre solution que d’enfoncer la porte et de la remplacer. Louise Bouffier prie alors saint Antoine et lui promet d’offrir du pain pour les pauvres si sa porte s’ouvre facilement. Soudain, la serrure se débloque d’elle-même ! La marchande tient sa promesse : elle installe une statue du saint au fond de son magasin et recueille les intentions de prières et les dons de tous ceux qui ont une grâce à demander, pour distribuer du pain aux pauvres de la ville, très nombreux dans la ville en cette période de civilisation industrielle. L’œuvre se répand alors dans toute l’Europe méditerranéenne. Elle est recueillie aujourd’hui, entre autre, par la Caritas Saint-Antoine, liée aux Œuvres antoniennes de la basilique de Padoue et à la revue Le Messager de saint Antoine, mensuel diffusé à 600 000 exemplaires dans le monde entier. Dans certaines églises, le prêtre bénit des pains le 13 juin, à la messe dédiée au saint, qui sont distribués avec tous les fidèles, en signe de communion avec les pauvres de notre société.
Benoît XVI nous parle de saint Antoine (audience générale du 10 février 2010).
« Antoine de Padoue est l'un des saints les plus populaires de toute l'Église catholique, vénéré non seulement à Padoue, où s'élève une splendide basilique qui conserve sa dépouille mortelle, mais dans le monde entier. Les images et les statues qui le représentent avec le lys, symbole de sa pureté, ou avec l'Enfant Jésus dans les bras, en souvenir d'une apparition miraculeuse mentionnée par certaines sources littéraires, sont chères aux fidèles.
Antoine a contribué de façon significative au développement de la spiritualité franciscaine, avec ses dons marqués d'intelligence, d'équilibre, de zèle apostolique et principalement de ferveur mystique. Puisse Antoine de Padoue, si vénéré par les fidèles, intercéder pour l’Église entière, et surtout pour ceux qui se consacrent à la prédication. Que les prédicateurs, en tirant leur inspiration de son exemple, aient soin d'unir une solide et saine doctrine, une piété sincère et fervente, une communication incisive.
En cette année sacerdotale, prions afin que les prêtres et les diacres exercent avec sollicitude ce ministère d'annonce et d'actualisation de la Parole de Dieu aux fidèles, en particulier à travers les homélies liturgiques. Que celles-ci soient une présentation efficace de l'éternelle beauté du Christ, comme Antoine le recommandait : « Si tu prêches Jésus, il libère les cœurs durs; si tu l'invoques, il adoucit les tentations amères; si tu penses à lui, il illumine ton cœur; si tu le lis, il comble ton esprit. » »
Le pape François et Antoine de Padoue.
Le 6 décembre 2013, le pape François proposait Frère Antoine en exemple aux membres de la commission théologique internationale :
« Votre mission est dans le même temps fascinante et risquée. Ces deux choses font du bien : l’attrait de la vie, car la vie est belle ; et aussi le risque, car ainsi, nous pouvons aller de l’avant. Cela est fascinant, car la recherche et l’enseignement de la théologie peuvent devenir une véritable voie de sainteté. Mais elle est aussi risquée, car elle comporte des tentations : la sécheresse du cœur, l’orgueil, même l’ambition. Une fois, saint François d’Assise adressa un bref mot à son frère Antoine de Padoue, où il disait entre autres : « Je suis content que tu enseignes la théologie aux frères, du moment que, dans l’étude, tu n’éteins pas l’esprit de sainte oraison et de dévotion. » S’approcher des plus petits aide aussi à devenir plus intelligents et plus sages. »
Source - Notre histoire avec Marie