Le poète Jean Mambrino a écrit ce distique : « Il faut toute la montagne/pour entendre le criquet » ! (dans : Le mot de passe)
En Chalosse il faudrait le traduire par : « Que cau tot lo pinhadar/enta entèner le grilhon » (il faut toute la forêt pour entendre le grillon).
Ces vers me semblent très évocateurs pour notre lecture/écoute des Écritures, de la Parole de Dieu. Trop souvent nous sommes bloqués dans notre compréhension des Écritures par l’arbre qui cache la forêt. Or ce qui nous permet de goûter la Parole de Dieu, c’est d’entendre le chant du grillon caché dans ses pages… Pour cela il faut une écoute/lecture large, stéréophonique… c’est à dire globale : entendre le motif répété dans tous les pupitres, donné par chaque instrument, comme un leit-motiv. Oui, il faut toute la Parole de Dieu, tout le pignada (la forêt landaise) pour goûter un chapitre, un verset, pour entendre le chant du grillon.
Notons au passage que c’est là un principe d’interprétation qui vaut tout autant pour Proust ou n’importe quel auteur ancien ou moderne. Pour goûter pleinement telle phrase de À la recherche du temps perdu, il est bon d’avoir en tête Du côté de chez Schwan, À l’ombre des jeunes filles en fleur et Le temps retrouvé…
Or la Bible est autrement plus complexe que l’univers sorti du cabinet de Proust. C’est dire que pour éviter tout fondamentalisme, toute lecture partielle et partiale, il est nécessaire de découvrir la clef, le motif qui parcours toute la Bible, toute la Révélation. Cette clef, c’est le Christ. « Connaître les Écritures c’est connaître le Christ ! » disait St Jérôme (qui traduisit la Bible en latin, la fameuse Vulgate, à la demande du pape Damase, au V° s) ; il disait aussi « clavis crucis » : la clef des Écritures c’est la Croix (à l’époque les clefs avaient en gros une forme de croix). Car la croix est la clef pour comprendre qui est Jésus de Nazareth : « Christus in passione monstratur ! » C’est dans la Passion que se manifeste vraiment qui est le Christ !
Plus fondamentalement c’est le mystère pascal, motif clef de la Bible, qui peut nous permettre de revivre l’expérience spirituelle de Cléophas et de son compagnon, un compagnon d’autant moins anonyme qu’il peut être chacun d’entre nous sur nos chemins d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures » (Lc 24, 32) ?
De fait, toutes les énigmes de la Bible juive s’éclairent lorsque nous les décryptons à la lumière du Christ. C’est pourquoi nous apprendrons de lui à lire les Écritures, puis à sa suite nous aborderons la méthode de lecture de l’Église de l’âge apostolique mais aussi de notre Église actuelle, afin de savoir, dans une troisième partie, lire et relier la Parole de Dieu et notre propre vie.
« Il vient à Nazareth où il a été nourri. Il entre, selon son habitude, le jour du sabbat à la synagogue. Il se lève pour lire les Écritures. On lui remet le livre du prophète Isaïe. Il déroule le Livre et trouve le lieu où il est écrit : » L’Esprit du Seigneur est sur moi, par ce qu’il m’a consacré pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres… pour proclamer de la part du Seigneur une année de Grâce ! » Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : » Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » » Lc 4, 16-18.19-21 (cf. Is 61, 1-2)
Jésus a donc bien lu les Écritures, la Loi et les Prophètes, et nous en avons ici le reportage « journalistique » de Luc, ou mieux encore cette page est comme l’icône du Christ lisant les Écritures ! Il ressort déjà de ce passage que le Christ Jésus lui-même par sa présence accomplit les Écrits du prophète Isaïe. Il est donc l’aujourd’hui de la Parole de Dieu. On peut aussi noter qu’il modifie le texte d’Isaïe qui annonçait une année de vengeance, alors que pour Jésus c’est une année de grâce qui s’ouvre maintenant.
C’est que nous alors voir de plus près dans le point suivant.
On se rappelle la réponse de Jésus au scribe qui lui demande quel est le premier commandement ; c’est en Luc 10, 26 : « Qu’est-il écrit dans la Loi, comment lis-tu ? »
Dans l’Évangile de Matthieu, il a lu en Maître de la Loi, et non en scribe : « Il vous a été dit… moi je vous dis… » (Mt 5, 21-22) Il se positionne face aux Écritures, non en simple lecteur, en scribe besogneux, ou même en Rabbin répétiteur, mais en Auteur, avec Auctoritas (c’est l’origine du mot auteur), comme il est dit en conclusion du Sermon sur la Montagne : « Quand Jésus achève ces paroles, les foules sont frappées par son enseignement car il les enseigne comme ayant autorité et non comme les scribes ». (Mt 7, 28-29)
Matthieu, dans le fameux discours sur la Montagne, nous présente ainsi Jésus, réinterprétant, quasiment réécrivant la Thora, alors qu’il commence en affirmant que pas un seul iota, pas un seul trait de la Loi ou des Prophètes ne passerait que tout soit accomplit (cf Mt 5, 17-18). Jésus est donc maître des Écritures, car il est la Parole de Dieu, le Verbe de Dieu, et l’on pourrait même ajouter que le Christ Jésus fut l’Acteur de l’accomplissement des Écritures en sa Passion !
En effet pour quelle raison Jésus a-t-il lu les Écrits des prophètes ?
Bien sûr, comme tout jeune juif de son temps il a été instruit dans la connaissance des Écritures. Mais ce rapport à l’Écriture Sainte chez lui n’a pas été uniquement notionnel, il a cherché à y comprendre sa mission. On le voit par exemple dans l’Évangile de Jean lors de l’épisode de Cana (au ch. 2). Jésus comprend que son œuvre d’évangélisation et de Rédemption commence lorsqu’il réalise (Jn 2, 4), par la demande de Marie qui le presse d’intervenir, que l’heure est arrivée. Il s’est alors compris comme le Messie-Époux, annoncé par les prophètes (Isaïe, Osée, le Cantique). Jésus lit les Écritures pour savoir s’il doit agir, mais il les re-lie avec les événements de sa vie, pour comprendre l’heure de Dieu !
Plus loin dans l’évangile de Jean, nous le voyons discuter avec les juifs qui lui reprochent d’avoir guéri un paralytique un jour de sabbat. Il leur répond avec conviction que ce n’est pas simplement Jean-Baptiste qui a témoigné de lui, mais le Père :
« Le Père qui m’a envoyé, lui, m’a rendu témoignage. Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face,et vous ne laissez pas sa parole demeurer en vous, puisque vous ne croyez pas en celui que le Père a envoyé. Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez y trouver la vie éternelle ; or, ce sont les Écritures qui me rendent témoignage, et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie !… Ne pensez pas que c’est moi qui vous accuserai devant le Père. Votre accusateur, c’est Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est à mon sujet qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles ? » (Jn 5, 37-47)
Où Jésus voit-il le témoignage du Père, sinon dans les Écritures ? Pour se comprendre lui-même, Jésus a lu les Écritures…
Dans ce sens il faudrait citer aussi la fameuse controverse de Jésus avec les Pharisiens à Jérusalem, où le Ps. 109 (110, 1) vient de nouveau appuyer son argumentaire sur son identité :
« Prenant la parole, comme les Pharisiens se trouvaient réunis, Jésus disait en enseignant dans le Temple, Jésus leur posa cette question : « Quelle est votre opinion au sujet du Christ ? De qui est-il le fils ? » Ils lui dirent : « De David. » « Comment donc, dit-il, David parlant sous l’inspiration l’appelle-t-il Seigneur ? » » … Comment peut-on dire que le Christ est fils de David ? « C’est David lui-même en effet qui a dit par l’Esprit Saint, au livre des Psaumes, dans ce texte :
« Le Seigneur a dit à mon Seigneur :
Siège à ma droite
jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis
dessous tes pieds ;
jusqu’à ce que de tes ennemis
je t’aie fait un marchepied. »
« Si David en personne l’appelle Seigneur, comment dès lors peut-il être son fils ? »
Nul ne fut capable de lui répondre un mot. Et à partir de ce jour personne n’osa plus l’interroger.
Et la masse du peuple l’écoutait avec plaisir. » (Mt 22, 41-46)
Dans cette controverse avec les théologiens de son temps, Jésus a donc recours à une prophétie tirée des Écritures, ici à un psaume messianique et royal, dont il propose une interprétation audacieuse mais qui fait autorité sur son auditoire, et induit qu’il est le Messie annoncé dans ce psaume et même davantage qu’il est au dessus du Roi-Prophète David… qu’il est « Seigneur », ce qui est une auto-revendication de divinité, totalement insupportable pour le judaïsme.
Pour autant il faut savoir que le judaïsme lui même pensait aussi que toute l’Écriture annonçait le Messie, le Christ, Fils de David : « Tout ce que David a dit dans le psautier, il l’a dit en visant et lui-même et tout Israël et tous les temps. » (Rabbi Jehuda, dans le Midrash Tehillim oder Hagaddische Erklärung der Psalmen, Éd. S. Buer, trad. A. WUENSCHE, Trèves, Bd. I, 141)
Pour le Judaïsme, toute la Bible et spécialement le psautier parle du Messie, le fils de David, le Roi à venir, toute l’Écriture fait entendre le chant du grillon.
Un autre passage d’Isaïe sera ainsi revendiqué par Jésus, dans le même sens, peut de temps auparavant, lors de son entrée fracassante au Temple, il cite Is 56, 7 : « Il est écrit : « Ma maison sera appelée maison de prière » », et ce faisant il s’identifie comme le propriétaire de ce Temple, en s’attribuant le sens de cette prophétie !
À cet épisode on peut rattacher l’interprétation que Jésus donne d’un autre psaume messianique qui lui parle particulièrement, le psaume 117 (118). Par exemple en Lc 20, 17 : « La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » ! (Ps 117, 22) Verset qu’il cite pour expliquer son propre destin, son rejet par les autorités de son peuple. Ce psaume appartient au rituel de la fête des tentes, en voici quelques versets significatifs : « Clameur de joie et de victoire sous les tentes des justes » (v. 15) ; « Rameaux en main formez vos cortèges »(v. 27) Ce psaume portait alors une interprétation messianique, christologique : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » (v. 26). Voilà pourquoi il est utilisé par les fidèles lors de l’arrivée du Christ à Jérusalem à « Rameaux » (Lc 19, 38).
Mais plus largement c’est toute l’Écriture qui peut être convoquée pour signifier son être et sa mission rédemptrice, comme lorsque Jésus oppose à ceux qui lui demandent un signe, le seul signe de Jonas : « Alors quelques-un des scribes et des Pharisiens prirent la parole et lui dire : « Maître, nous désirons que tu nous fasse voir un signe ». Il leur répondit : « Génération mauvaise et adultère ! Elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, (Jon.2, 1) de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuit. » » (Mt 12,38-40)
Cet argument qui nous semble sibyllin parlait aux contemporains de Jésus, et il était aussi compréhensif aux pères de l’Église jusqu’aux graveurs de la « Bible des Pauvres » (XV° s) qui selon la tradition iconographique médiévale ont mis en parallèle de façon claire le signe de Jonas avalé et rejeté par le monstre marin et le signe de la passion-Résurrection de Jésus.
Ainsi Jésus lit les Écritures pour mieux se connaître lui-même dans le témoignage de son Père, pour connaître sa propre identité, pour comprendre sa mission.
Lorsque Jésus décide de monter à Jérusalem pour le dernier acte, c’est après avoir compris que selon les Écrits, un prophète ne pouvait mourir hors de Jérusalem (Lc 13, 33). C’est après avoir lu les poèmes du serviteurs souffrant du « II° Isaïe » (En Isaïe nous trouvons esquissés les traits d’un mystérieux personnage, un Serviteur de Dieu, son Élu, qui par ses souffrances sauvera la multitude : 1° oracle : Is 42, 1-7 ; 2 ° oracle : Is 49, 1-9 ; 3° oracle : Is 50, 4-11 ; 4° oracle : Is 52, 13-53, 12) qu’il répercute lors des trois annonces de sa Passion. Dans les prophéties du Serviteur souffrant, du Messie rédempteur, Jésus accueille sa mission, sa Passion :
« Prenant avec lui les douze, il leur dit : « Voici que nous montons à Jérusalem, et que va s’accomplir tout ce qui se trouve écrit par les Prophètes pour le Fils de l’homme. Car il sera livré aux païens, et bafoué et outragé, et couvert de crachats, et après l’avoir fouetté, on le tuera, et le troisième jour il ressuscitera » » (Lc 18, 31-34).
Lors du dernier repas, il partage avec les disciples le pain, mais aussi sa propre compréhension des Écritures, pour les préparer à sa passion imminente dans laquelle il lit l’avènement du Plan du salut :
« Ce n’est pas de vous tous que je parle. Moi, je sais quels sont ceux que j’ai choisis, mais il faut que s’accomplisse l’Écriture : « Celui qui mange le pain avec moi m’a frappé du talon » (Ps 40, 10). Je vous dis ces choses dès maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez que moi, JE SUIS. » (Jean 13, 18-19)
Enfin, jusque sur la Croix Jésus citera l’Écriture, en Lc 23, 46 : « En tes mains je remets mon Esprit » (Ps 30, 6) et d’après Mt 27, 46 (et Mc) le Ps 21 (22) : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui renvoie trait pour trait à sa passion dans sa première partie (v. 1 à 22) mais en sa deuxième partie (v. 22 à 32) à la résurrection !
D’ailleurs, c’est exactement cela que rappellera Jésus aux disciples d’Emmaüs : « Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. » (Lc 24, 25-27)
Puis juste après, aux apôtres réunis au Cénacle, il déclara :
« « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour » » (Lc 24, 44-46)
À la lumière de tous ces textes, nous voyons clairement que c’est sa propre lecture des poèmes du serviteur souffrant d’Isaïe, entendu comme le Messie, qui lui permettait d’appréhender sa propre passion comme le passage obligé pour l’accomplissement du dessein rédempteur de son Père.
Tout cela nous le savons par les Évangiles écrits et transmis par l’Église, mais aussi par la Lecture que l’Église apostolique a fait de la Bible hébraïque. Aussi nous faut-il maintenant regarder plus précisément ce qu’il en est de cette lecture de l’Écriture par les premiers chrétiens, de cette relecture « christologique ».
Nous savons comment se sont constitués les Écrits du Nouveau Testament. Ils sont nés à partir de ce que l’on nomme le Kérygme ou proclamation de l’Annonce Pascale : Christ est Ressuscité : « Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit. » (Mt 28, 1-7) Nous chantons cette formule kérygmatique en grégorien tout du long du temps pascal dans le Regina Caeli : « Ressurexit sicut dixit » !
Resurrexit : Oui, les témoins de sa Résurrection l’ont annoncé, et c’est déjà l’événement extraordinaire, unique ! Et au fond les Évangiles, et tout le NT, ne sont que le formidable écho, le développement de ce cri « primal » des saintes femmes sortant du tombeau ! Mais ce qui n’est pas moins important pour faire sens, c’est la suite : sicut dixit, « comme il l’avait dit ». C’est-à-dire, comme le Verbe de Dieu incarné l’avait dit lors de son enseignement avant sa Passion, mais aussi comme il l’avait dit depuis toujours, depuis la Genèse jusqu’à Malachie. C’est le sens de la formule : selon les Écritures (kata tas graphas) si souvent répétée dans le Nouveau-Testament. Ce sicut dixit est déjà un premier acte de relecture ! Et il y en a d’autres plus explicites.
Un des textes majeurs de cette « relecture » ecclésiale de la Bible juive est le premier discours de l’Apôtre Pierre au jour de la Pentecôte (Act 2, 22-36). Il faut citer ce passage un peu longuement. Il rapporte comme un résumé de l’histoire de Jésus, et le relie au livre des Psaumes :
« Hommes d’Israël, écoutez les paroles que voici. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : « Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance : tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence. » (Ps 15, 8-11) Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait « juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. » (Ps 131, 11) Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez. David, en effet, n’est pas monté au ciel, bien qu’il dise lui-même : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds. » (Ps 109, 1) Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »
En quelques versets Pierre fait une application christologique du psaume 15 (16), du psaume 131 (132) et du psaume 109 (110). Ce dernier Psaume étant, pour la première génération chrétienne, une des clefs d’interprétation, d’identification de Jésus comme Christ (déjà cité en Mt 22, 44 comme nous l’avons vu plus haut), comme nous le voyons aussi par son utilisation par St Paul (1 Co 15, 25 ; Eph 1, 20) et par l’Épître aux Hébreux (en 1, 13). C’est donc la Résurrection qui établit Jésus comme Messie, et le manifeste comme Seigneur !
L’Église apostolique prend très au sérieux cette déclaration attribuée au Messie dans le psaume 49, pour comprendre le destin de Jésus, comme Messie Sauveur, comme nous le lisons en He 10, 5-10 : « Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit :
« Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu mas formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. » (Ps 39, 7) »
Tout au long des Actes des Apôtres et des premiers écrits chrétiens ce processus de relecture christologique des Écritures et surtout des psaumes est rapporté par Luc. Mais c’est encore une fois dans la Passion-Résurrection que le Christ est manifesté comme tel.
Cette conscience ecclésiale s’applique tout particulièrement à la Passion de Jésus, qu’elle inscrit dans le plan divin de la Rédemption. Ainsi lors de sa première comparution devant le Sanhédrin (la plus haute instance juive) Pierre reprendra à son compte, à la suite de son Maître l’application à Jésus, comme Messie, du psaume 117, 22 : « Alors Pierre, rempli de l’Esprit Saint, leur déclara : « Chefs du peuple et anciens… Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. (cf. Ps 117, 22) En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » » (Act 4, 8-12)
Un peu plus loin c’est le Psaume 2 qui permettra à Pierre de relire les événements tragiques de la mort de Jésus et leur signature messianique : « Par l’Esprit Saint, tu as mis dans la bouche de notre père David, ton serviteur, les paroles que voici : « Pourquoi ce tumulte des nations, ce vain murmure des peuples ? Les rois de la terre se sont dressés, les chefs se sont ligués entre eux contre le Seigneur et contre son Christ » (Ps 2, 1-2) ? Et c’est vrai : dans cette ville, Hérode et Ponce Pilate, avec les nations et le peuple d’Israël, se sont ligués contre Jésus, ton Saint, ton Serviteur, le Christ à qui tu as donné l’onction ; ils ont fait tout ce que tu avais décidé d’avance dans ta puissance et selon ton dessein. » (Act 4, 26-28)
Ce psaume 2 (psaume royal d’intronisation messianique) est encore cité par Paul, avec les mêmes références au psaume 15 que Pierre, pour expliquer comment la Résurrection de Jésus, l’établit dans la Gloire du Père : « Et nous, nous vous annonçons cette Bonne Nouvelle : la promesse faite à nos pères, Dieu l’a pleinement accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus, comme il est écrit au psaume deux : « Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ps 2, 7) De fait, Dieu l’a ressuscité des morts sans plus de retour à la condition périssable, comme il l’avait déclaré en disant : Je vous donnerai les réalités saintes promises à David, celles qui sont dignes de foi. C’est pourquoi celui-ci dit dans un autre psaume : « Tu donneras à ton fidèle de ne pas voir la corruption. » (cf. Ps 15, 10) » (Act 13, 32-35).
Enfin l’Église, dès les temps apostoliques, a conscience en lisant ce psaume, emblématique d’une certaine compréhension de la Rédemption, qu’il s’applique au Christ Jésus en son Incarnation Rédemptrice. On en trouve un autre exemple par l’enseignement du diacre Philippe à l’eunuque éthiopien en Act 8, 26-35 : « Un Éthiopien […] qui était venu adorer à Jérusalem, s’en retournait et, assis sur son char, il lisait le prophète Isaïe. […] Philippe, accourant, entendit l’Éthiopien qui lisait Isaïe le prophète, et il dit : « Est-ce que tu comprends ce que tu lis ? » Il dit : « Et comment le pourrais-je, si personne ne me guide ? » […] Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : « Comme une brebis, il a été amené à l’abattoir, et comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n’ouvre pas la bouche. Dans l’humiliation son jugement a été levé. Sa génération, qui la racontera ? Car sa vie est enlevée de la terre. » (Is 53, 7-8) Prenant, la parole l’eunuque dit à Philippe : « Je t’en prie ; de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelque autre ? » Philippe, ouvrant la bouche et partant de cette Écriture, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. »
Nous retrouvons ici la référence si importante pour les tout premiers chrétiens de ces poèmes-oracles du Serviteur souffrant d’Isaïe, que nous avons déjà rencontrés mentionnés par Jésus comme identifiant pour admettre et comprendre la Passion.
Voilà pourquoi tout au long des récits de la Passion nous avons ces mentions : « pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif » » Jn 19, 28-29 (allusion au Ps 69, 22) C’est en effet la certitude de la résurrection qui a permis aux Apôtres de regarder en face la Passion, et c’est ainsi, à partir de ce récit de la Passion-Résurrection, que se sont construit les Évangiles : d’abord par l’annonce de la Résurrection puis par le récit de la Passion, selon les Écritures ! Enfin le récit de sa vie et ses discours, voire le récit de son enfance chez Luc ou Matthieu.
Pour ce type de relecture de la vie de Jésus à la lumière de l’Ancien Testament, il faut mentionner tout particulièrement l’Évangile de Matthieu qui, s’adressant à des judéo-chrétiens, n’a de cesse de convoquer les Écritures.
Matthieu a été placé exprès par les anciens à la charnière entre les deux Testaments, car c’est le plus hébraïque de tous les écrits du NT. Depuis sa fameuse généalogie qui relie le Christ à ses ancêtres juifs, jusqu’à sa Passion pleine d’allusions à la « Passion » de David au II° Samuel 15-19, l’Évangéliste Matthieu passe son temps à citer les Prophètes et la Loi tout au long de son récit et des discours de Jésus. Il suffit de faire l’expérience d’une lecture rapide des trois premiers chapitres, mais aussi du sermon sur la montagne, pour être frappé par le nombre impressionnant de citations du premier Testament, en effet selon les propos même de Jésus rapportés par Matthieu : « Ne croyez pas que je suis venu renverser la Loi ou les Prophètes, je ne suis pas venu renverser mais accomplir… Pas un iota ou un seul petit trait ne passera de la Loi que tout ne soit arrivé. » (Mt 5, 17-18)
Ste Hildegarde de Bingen, célèbre moniale bénédictine du XII° s., récemment promue docteur de l’Église, a cette formule très évocatrice : « Nova Lex de veteri Lege texta est », « La Loi nouvelle a été tissé avec [les fils de] la Loi ancienne » (Hildegarde de bingen, Liber divinorum operum, PL 197, 1010 A ; trad. Le livre des œuvres divines, Albin Michel, Paris). En effet, surtout chez Matthieu le texte de la Loi nouvelle est tissé avec les fils de la Loi ancienne.
Mais cela est vrai de tant d’écrits du Nouveau Testament ! Combien de citations de l’Ancien Testament dans l’argumentaire quelque peu rabbinique de St Paul, ou dans l’Épître aux Hébreux, dans les lettres de st Pierre, ou dans l’Apocalypse.
Les auteurs inspirés du Nouveau Testament, nous ont donné le portrait d’un Jésus de Nazareth, le Messie Crucifié au Miroir des Écritures !
Pourquoi ? Pour que l’on croie véritablement à l’accomplissement des promesses divine de sauver l’humanité ! Tous les détails, cités aux longs des Écrits du Nouveau Testament, ne sont pas à prendre au pied de la lettre, de façon fétichiste, mais ils sont autant d’agrafes pour convoquer chacun des livres de l’Ancienne Loi dans cette cohérence des Écritures, dans cette unité du Projet de Dieu. C’est là le sens de l’article du Credo de Nicée-Constantinople « Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le troisième jour,conformément aux Écritures. » On peut noter que l’expression « conformément aux Écritures » si elle est formellement attachée à la résurrection, vaut pour toute la Geste du Christ, depuis son Incarnation jusqu’à son Ascension à la droite du Père.
C’est principalement par la liturgie qu’aujourd’hui se réalise cette relecture ecclésiale des Écritures, notamment grâce au lectionnaire de la liturgie de la Messe (surtout dominical), avec les parallèles proposés entre première lecture et évangile. Mais plus profondément c’est l’acte liturgique qui est relecture actualisante des Mirabilia Dei (des merveilles de Dieu), de la grande geste salvatrice de Dieu, comme le dit magnifiquement Charles Péguy dans « Le Mystère des saints Innocents » :
« Ainsi ma liturgie romaine se noue à ma prédication centrale et cardinale.
Et à ma prophétie judéenne.
Et la chaîne est juive et romaine, en passant par un gond, par une articulation.
Par une origine centrale.
Tout est annoncé par ma prophétie juive.
Tout au centre, tout au cœur est réalisé, tout est consommé par mon Fils.
Tout est consommé, tout est célébré par ma liturgie romaine.
Le prophète juif prédit.
Mon Fils dit.
Et moi je redis. »
Mais il faudrait donner cent et mille exemples tirés de la liturgie des Heures. Tout au long des textes liturgiques de l’Office se déploie un véritable jeu poétique et théologique suscité par les associations et les rapprochements de thèmes et de figures, notamment (surtout en chant grégorien) entre les antiennes (qui sont principalement tirées du Nouveau Testament) et les psaumes, ou entre les lectures et les répons, voire même à l’intérieur des Répons (où le refrain proviendra par exemple de l’AT et le verset du NT ou l’inverse).
c’est ce que nous voyons dans l’exemple suivant d’un Répons prévu pour la fête du Christ Roi. Le refrain est une citation un peu glosée d’Ap 14, 14 et 19, 16 (avec le rajout d’un membre de phrase : et cum eo sanctorum milia : et avec lui les multitudes des saints) ; tandis que le verset est tiré d’un oracle du prophète Habacuq (2, 3) qui fait allusion à une vision qui ne manquera pas d’arriver.
« Voici que le Seigneur apparaîtra sur une née éclatante, et avec lui les multitudes des saints ; et un nom sera écrit sur son manteau et sur sa cuisse : Roi des rois et Seigneur des seigneurs. V/ Il apparaîtra à la fin et ne faillira pas ; s’il tarde, attends-le, car il viendra sûrement. »
Ici, la liturgie lit cette prophétie comme accomplie dans la manifestation du Fils de l’homme à la fin des temps sur les nées du Ciel pour juger le monde, tel que le présente le livre de l’Apocalypse.
Comme on le voit, la « méthode » de relecture des Écritures qu’enseigne la liturgie, n’est que le prolongement de la lecture biblique elle-même dans sa propre méthode et c’est celle des Pères de l’Église. Mais cela demanderait un exposé à part entière (cf. en particulier le classique Bible et liturgie de Jean Daniélou).
C’est l’Esprit saint promis par le Christ qui nous rappelle tout ce qui relève du Christ : « Le « Paraclet », l’Esprit, le Saint, qu’enverra le Père en mon Nom, lui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que moi je vous ai dit ! » (Jn 14, 25-26) Le Saint Esprit est la Mémoire vive de l’Église, c’est lui qui vient par l’Épiclèse dans les Sacrements, pour actualiser l’Acte Sauveur du Christ, mais c’est lui aussi qui vient par l’Épiclèse de la Prière (notamment la petite bénédiction du prêtre au diacre lorsqu’il va lire l’Évangile) sur le Corps des Écritures pour que nous entrions par la Foi dans le Mystère du Salut qui y est exprimé et dans son intelligence : « Lorsque viendra le Paraclet, que moi je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui provient du Père, c’est lui qui témoignera à mon sujet. » (Jn 15, 26)
Si les Écritures témoignent du Christ, c’est dans l’invocation de l’Esprit Saint, dans la prière, dans la Foi de l’Église, pas d’abord dans l’exégèse scientifique, historico-critique!
Bien sûr nous n’avons qu’à nous glisser dans la « méthode » du Christ lui-même et de l’Église pour lire les Écritures. Mais il faut pointer la figure de Marie, Mater et Magistra, pour notre propre lecture de l’Écriture ! Je ne donnerai que deux lieux où Marie nous enseigne particulièrement sa lecture des Écritures.
Lc 2, 19 : « Marie conservait toutes ces paroles-évènements et les méditait dans son cœur (tauta symballousa en tè kardia autès) ». Le terme « méditer » rend le verbe symballein, c’est-à-dire étymologiquement « jeter deux éléments », « rapprocher deux réalités ». De là le mot symbole : un symbole rapproche deux réalités, un signe et la réalité signifiée… Marie elle, jetait l’un contre l’autre deux éléments pour les confronter, pour comprendre comment ils fonctionnent ensemble. Marie confrontait l’Écriture, les prophéties, et les événements qu’elle vivait, qui la traversaient : par exemple l’annonce de l’Ange et cette conception miraculeuse ! C’est ce qu’ont compris tous ces peintres (notamment de la Renaissance, comme Matthias Grünewald au revers du Retable d’Issenheim) qui décrivent Marie au moment de l’Annonciation lisant l’Écriture, Isaïe 7 (« la jeune fille concevra »)…
Marie nous apprend ainsi à faire notre lectio divina : confronter les Écritures et les situations que nous vivons ! Elle nous apprend la lecture symbolique des Écritures !
Il y a un autre moment où Marie, de façon particulière, nous apprend à lire les Écritures, et à travers elles, à contempler. C’est au pied de la Croix ! Là elle nous apprend à déchiffrer dans le signe de la Croix l’Avènement de Dieu (sa venue, son Adventum, son Épiphanie dans nos vies). N’est-ce pas au lieu de nos croix, concrètes, que Dieu était le plus présent à notre cœur, par la prière et le déchiffrement – fut-ce au travers des larmes – de la Parole de Dieu ?!
Un texte de Paul Claudel orchestre magnifiquement cette lecture symphonique des Écritures :
« De Marie au pied de la croix l’Évangile [Jn 19, 25] nous dit seulement qu’elle se tenait debout. Stabat ! Elle se tenait debout, non pas physiquement seulement. C’est l’âme qui se tenait debout, pleine de force, de puissance, d’intelligence, d’amour, et toute droite ! pleinement éveillée et regardante ! Eh quoi, la Femme Forte, la Mère de Dieu, la forme de l’Église, était-ce le moment pour elle de s’abandonner et de fléchir ? Ces trois heures qu’elle avait à passer en face de son Fils, de ce fils qui maintenant solidement attaché à la croix par les quatre membres ne pouvait plus lui échapper, est-ce qu’elle allait Lui en dérober un seul moment ? Est-ce que c’était l’occasion de s’affaisser et de s’évanouir et de faire aucun retour sur elle-même ? Est-ce qu’il y a à perdre aucun moment de ce sacrifice où elle a sa place et sa fonction stipulées ? Elle en a à prendre pour mille ans, pour ces mille ans mystiques qui embrassent tout le règne de l’Agneau [Ap 20, 4-6]. Quand elle entend ce fils, ce fils de sa chair et de son âme s’écrier triomphalement, épouvantablement, que c’est fait et que tout est consommé [Jn 19, 30] ! C’est le moment pour elle de tressaillir, de vibrer de la base au faîte, ce n’est pas celui de pleurer ! Que la terre tremble, que le soleil se voile, que le rideau du temple se déchire du haut en bas, mais Marie reste debout, elle n’est pas ébranlée. Elle voit, elle sait, elle regarde, elle témoigne, elle donne, elle accepte, elle approuve. Ecce ancilla Domini [Lc 1, 38] ! La voici cette fois pour de bon, une fois de plus, la servante du Seigneur !
Notre Mère Marie sur le Calvaire, elle a autre chose à faire que de pleurer, elle a à recevoir au nom de toute l’Église qui vient d’être en sa personne instituée, sa leçon de catéchisme. O gens trop bêtes et lents à croire, dira plus tard le Christ aux disciples d’Emmaüs [Lc 24, 25] à tout ce qu’ont dit les prophètes, ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela afin d’entrer dans Sa gloire ? L’enseignement qu’Il a donné minutieusement et comme ligne à ligne à ces hommes épais, c’est à livre ouvert et tous les voiles déchirés qu’il l’administre à la Femme Forte. Elle qui depuis si longtemps conférait toutes choses dans son cœur [Lc 2, 19] : Me voici, ecce adsum [Is 58, 9] ! La fusion s’est opérée ! Voici la page tournée qui éclaire tout, comme cette grande feuille illustrée sur le missel que connaissent les prêtres quand ils se préparent à lire le canon, car n’est-il pas dit qu’à la tête de tout le Livre il est écrit de Moi [Ps 39, 7] ? La voici, éclatante et peinte en rouge, la grande page qui sépare les deux Testaments ! Tout ce que la Vierge a appris sur les genoux d’Anne, tous les rouleaux de Moïse et des prophètes qui sont aménagés dans sa mémoire, toutes ces générations depuis Adam qu’elle contient dans son sein [Ps 88, 51], la promesse d’Abraham et de David, la sagesse de Salomon et de Daniel, le désir incandescent d’Élie et de Jean-Baptiste et de tous ces peuples en prières dans les limbes, tout cela sous le rayon vivificateur de la Grâce dans son cœur s’est mis à respirer, à comprendre, à regarder et à savoir ! Tout s’est mis en mouvement, on se réunit de toutes parts, élevez-vous, portes éternelles [Ps 23, 7] ! Toutes les portes s’ouvrent à la fois, toutes les oppositions se dissipent, toutes les contradictions se résolvent ! Elle se sert pour voir de tout ce que les générations avec elle ont de regard ! Marie voit tout ! Elle contemple ! Elle est en face de cette Élévation de trois heures ! N’a-t-il pas dit que quand Il serait élevé Il tirerait tout à Lui [Jn 12, 32] ? Et comment Sa Mère ne serait-elle pas la première qui serait attirée ? Quand c’est le Christ Lui-même non seulement qui dit la messe, mais qui la fait, ce n’est pas le moment pour elle de faire attention à elle-même, d’avoir des distractions. Elle est donc là, elle est complantée en face de la croix, elle est présente de tout ce qui en elle est capable de comparution et de présence. Et à toutes les messes qui seront dites jusqu’à la fin du monde, une seule messe en ce sacrifice du Calvaire, puisque le Christ y est, Marie est là également pour regarder. » (P. Claudel, L’épée et le miroir, pp. 73-75. « Nulle page, peut-être, ne prouve mieux que, à notre époque, la grande littérature mariale n’est pas morte. » H. de Lubac, Méditation sur l’Église, n. 120)
Voilà ce qu’avait compris de la lecture chrétienne des Écritures un de nos grands écrivain récent…
Il faut toute la Forêt des Écritures pour entendre le chant du grillon, du Christ ! « Il faut toute la montagne pour entendre le criquet ». Il faut rassembler, symboliser toutes les Écritures pour percevoir le chant d’amour du Christ, qui nous dévoile alors le dessein salvifique de son Père !
Lisons, relisons, relions les Écritures, toutes ensembles et chacune. Elles nous enseignent une seule chose : l’unité de la Révélation, l’unité de l’inspiration de tous ces textes si divers qu’ils peuvent apparaître comme un fatras, plus qu’une bibliothèque organique !
La Clef pour goûter la Bible est fondamentalement Christologique.
La méthode pour la comprendre est Ecclésiale.
L’attitude d’écoute qui nous est nécessaire est celle de Marie, et peut-être plus encore (mais c’est au fond cela que nous dit Marie à Cana) elle est sponsale : il nous faut lire les Écritures et les écouter comme la fiancée déchiffre, dévore, embrasse, la lettre du Fiancé ! C’est la logique même de tout récit, comme le fait remarquer Paul Bauchamp dans L’un et l’autre Testament I. Tout récit fonctionne sur le désir, et l’éros du désir de la conclusion, de la chute finale, de la morale de l’histoire. Ainsi tout récit fonctionne sur le désir, et nous conduit à des noces, à une étreinte, à la communion ! Toute la Bible veut nous conduire à cette communion avec l’Époux divin !
Désirons entendre ce chant du Christ dans le champs des Écritures, ou comme le grillon dans le pignada !
Alors nous pourrons à notre tour transmettre ce cri : Resurrexit sicut dixit !
Source: abbayedemaylis.org