ÉLOGE DE SAINT PAUL

par Saint-Jean Chrysostome

SOMMAIRE

QUATRIÈME HOMÉLIE

Analyse. —  La quatrième homélie traite de la vocation de saint Paul à l'apostolat, de la fidélité avec laquelle il a répondu à sa vocation, des causes du progrès de la foi dans le monde, malgré l'obscurité et la faiblesse de celui qui l'annonçait. — Elle est terminée par un morceau fort éloquent sur le courage et le succès de l'Apôtre dans la prédication de l'Evangile.

 

 



Le bienheureux Paul, qui nous rassemble aujourd'hui, et qui a illuminé la terre, fut aveuglé pour quelque temps, à l'époque de sa vocation; mais la cécité de Paul a été l'illumination du monde, comme ses yeux voyaient mal, Dieu fit bien de le frapper de cécité pour ensuite lui rendre une vue meilleure; en même temps Dieu lui démontrait sa puissance; il lui donnait une figure de l'avenir dans l'affliction présente; il lui enseignait, de plus, quel devait être le mode de sa prédication; qu'il fallait chasser loin de lui tous ses premiers goûts, et le suivre en fermant les yeux. De là, les paroles dont Paul se sert lui-même, pour proclamer cette vérité: Si quelqu'un d'entre vous pense être sage selon le monde, qu'il devienne fou pour devenir sage (I Cor. III, 18); la droite vue ne pouvait pas lui être donnée, sans qu'il eût auparavant perdu ses fausses lumières, chassé de son âme les pensées particulières qui ne sont propres qu'à troubler, et tout confié à la foi. Mais que personne, à ces paroles, n'aille croire que ce fut là une vocation forcée; il pouvait retourner à l'état dont il était sorti. Beaucoup d'hommes ont vu de plus grands miracles, et sont retournés sur leurs pas; nous en avons des exemples dans le Nouveau Testament et dans l'Ancien: témoin Judas, Nabuchodonosor, Elymas le mage, Simon, Ananie et Sapphira, tout le peuple des Juifs, excepté Paul. Les yeux levés vers la pure lumière, il poursuivit sa course, et s'envola au ciel. Voulez-vous savoir pourquoi il fut aveuglé? entendez-le lui-même: Vous avez appris que j'ai vécu autrefois dans le judaïsme, que je persécutais à outrance l'Église et que je la ravageais; que je me signalais dans le judaïsme, au-dessus de plusieurs de ma nation et de mon âge, ayant un zèle démesuré pour les traditions de mes pères. (Gal. I, 13,14) Indomptable, impétueux, il avait besoin d'un frein également énergique pour ne pas être emporté par la fougue de ses désirs, au point de mépriser les paroles qu'on lui adressait. Voilà pourquoi Dieu réprime ces emportements; il commence par apaiser les flots de cette colère orageuse en le frappant de cécité; et alors il s'entretient avec lui; il lui montre son ineffable sagesse, l'incomparable perfection de sa science; il veut que Paul apprenne à connaître celui qu'il combat, celui dont il ne pourrait supporter non-seulement les vengeances, mais même les bienfaits. Car ce n'est pas l'obscurité qui a produit les ténèbres de ses yeux, c'est le trop vif éclat de la lumière qui l'a aveuglé. Et pourquoi, me dit-on, Dieu ne l'a-t-il pas aveuglé plus tôt? Pas de curiosité indiscrète! consentez à reconnaître que la providence du Dieu incompréhensible sait choisir ses moments. C'est ce que Paul manifeste par ces paroles: Lorsqu'il a plu à Dieu, qui m'a choisi dès le ventre de ma mère, et qui m'a appelé par sa grâce, de me révéler son Fils. (Gal. I, 15, 16) Donc, ne recherchez rien davantage, puisque Paul s'exprime ainsi. C'était le temps, c'était le moment convenable, lorsque tant de scandales s'élevaient au milieu des peuples. Au reste apprenons de lui que jamais ni personne avant lui, ni lui-même, par son esprit propre, n'a trouvé le Christ, mais que c'est le Christ qui s'est manifesté. De là dans l'Evangile: Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (Joan. XV, 16); car pourquoi ne croyait-il pas en voyant les morts ressuscités au nom de Jésus-Christ? En voyant les boiteux marcher, les démons prendre la fuite, les paralytiques recouvrer leurs forces, il ne recueillait aucun fruit de ces spectacles; il n'ignorait pas ces miracles, lui, si curieux de ce qui concernait les apôtres. Lorsque Etienne était lapidé, Paul était là, il voyait le visage du martyr pareil au visage d'un ange, et il ne lui servait à rien de le voir. Comment se fait-il qu'il ne profitait pas de ce spectacle? C'est qu'il n'était pas encore appelé.
En entendant ces paroles n'allez pas croire que la vocation soit une contrainte; Dieu n'exerce aucune contrainte; il nous laisse la liberté de nos volontés, même après la vocation. Il s'est révélé aux Juifs et il l'a fait dans le temps convenable, mais ils n'ont pas voulu le recevoir à cause de la gloire qu'ils attendaient des hommes. Mais un infidèle me dira: qui prouve qu'il a appelé Paul du haut du ciel et que Paul a été persuadé? pourquoi ne m'a-t-il pas appelé moi aussi? Nous lui répondrons: croyez-vous, oui ou non, que Paul a été appelé? Si vous le croyez, cela suffit: voilà un signe miraculeux que Dieu a fait paraître pour vous. Si vous ne croyez pas que Dieu l'a appelé du haut du ciel, à quoi bon demander: pourquoi ne m'a-t-il pas appelé, moi aussi? Si vous croyez que Dieu l'a appelé, encore une fois c'en est assez, vous avez un miracle. Ayez donc la foi: Eh! vous aussi, Dieu vous appelle du haut du ciel, si vous avez une âme disposée à l'obéissance; si, au contraire, votre âme se révolte et se pervertit, la voix même descendue du ciel ne suffira pas pour vous sauver. Combien de fois les Juifs n'ont-ils pas entendu une voix d'en-haut, sans devenir fidèles? Combien n'ont-ils pas vu de signes dans le Nouveau Testament, dans l'Ancien, sans devenir meilleurs? Dans l'Ancien Testament, après des prodiges sans nombre, ils ont adoré le veau qu'ils avaient fait; cependant, la courtisane de Jéricho, sans avoir vu aucun miracle, a montré une foi admirable à l'égard des espions de Josué. Et dans cette terre de la promesse, quand des signes, apparaissaient, ces Juifs restaient plus insensibles que les pierres: au contraire, les habitants de Ninive, rien qu'à la vue de Jonas, crurent, se convertirent (Jon. III), éloignèrent d'eux la colère divine. Dans le Nouveau Testament, en présence même du Christ, le larron, qui le voyait crucifié, l'adora. Les Juifs, qui l'avaient vu ressuscitant les morts, le garrottèrent et l'attachèrent à la croix.
Et que s'est-il passé de notre temps? Le feu jaillissant des fondements du temple de Jérusalem, n'a-t-il pas consumé les constructeurs, et ruiné ainsi une sacrilège entreprise? Cependant ils ne se sont pas convertis; ils n'ont pas renoncé à leur aveuglement. Combien d'autres prodiges après celui-là sans autan de profit pour les spectateurs? Exemple: la foudre tombant sur le toit du temple d'Apollon, l'oracle de ce démon forçant le souverain d'alors à changer le sépulcre du martyr trop rapproché de lui il ne pouvait pas, disait-il, parler quand il voyait cette châsse à ses côtés; la châsse, en effet, était dans le voisinage. Ensuite, l'oncle de cet empereur, pour avoir outragé les vases sacrés, mourut mangé des vers; et le préposé du trésor impérial, pour un autre outrage à l'Eglise, vit son corps crever tout à coup par le milieu et périt misérablement. Les fontaines de nos pays, jusque-là plus abondantes que les fleuves, ont tout à coup refoulé leurs flots en arrière, et pris la fuite, prodige sans exemple avant les sacrifices et les libations du monarque qui en a souillé la contrée. Mais à quoi bon rappeler la famine sévissant partout dans les cités, avec un empereur impie, la mort de cet empereur dans le pays des Perses, son égarement avant sa mort, son armée laissée au milieu des barbares comme dans les mailles d'un filet, le retour de cette armée, merveilleux, incroyable? Quand ce monarque sacrilège fut tombé d'une manière si misérable, un autre, celui-là un homme pieux, reçut l'empire et aussitôt tous les malheurs cessèrent, et les soldais pris dans ces filets, qui n'espéraient plus le retour, les voilà, avec la permission de Dieu, délivrés de leurs ennemis, opérant leur retour en toute sécurité. Ces prodiges ne suffisent-ils pas pour attirer à la piété? N'en avons-nous pas constamment sous les yeux de plus merveilleux encore? Est-ce que la croix que l'on prêche ne voit pas tous les peuples accourir? N'est-ce pas une mort ignominieuse qu'on annonce et tous volent à la nouvelle? Est-ce que des milliers de malheureux n'ont pas été mis en croix? Est-ce qu'avec le Christ deux brigands n'ont pas été suppliciés? N'est-il pas vrai qu'il y a eu un grand nombre de sages? un grand nombre d'hommes puissants? cependant quel nom fut jamais si glorieux que celui de Jésus? et que parlé-je de sages et de puissants? est-ce qu'il n'y a pas eu des empereurs illustres? Qui donc, parmi eux, a conquis la terre en si peu de temps? Ne me parlez pas de la variété, de l'infinie diversité des hérésies: tous publient le même Christ, s'ils n'en parlent pas tous sainement; tous l'adorent, ce Christ de la Palestine, qui a été mis en croix sous Ponce-Pilate. Ce prodige ne vous paraît-il pas une démonstration plus claire même que la voix descendue du ciel? Pourquoi donc ne s'est-il trouvé aucun empereur aussi puissant que l'a été le Christ, et cela, malgré des obstacles sans nombre? car les empereurs lui ont fait la guerre, les tyrans lui ont livré des batailles, tous les peuples se sont soulevés contre lui, et cependant nous n'avons pas été vaincus, au contraire notre gloire est devenue plus éclatante.
D'où vient donc, répondez-moi, une si merveilleuse puissance? C'était un mage, dira-t-on. C'est donc le seul mage qui se soit agrandi ainsi? Vous ne pouvez pas ignorer que les Perses, les Indiens ont eu des mages en foule, qu'ils en ont aujourd'hui encore; personne n'en parle. Cet imposteur de Tyane, ce magicien, dit-on, lui aussi a brillé. Où donc, à quel moment? Dans un coin de la terre, pendant quelques instants bien courts, et il s'est éteint bien vite, et il est mort sans laisser d'église, de peuple, rien qui y ressemble. Et que parlé-je de mages et de sorciers disparus? D'où vient que tous les dieux ont perdu leur culte, et celui de Dodone, et celui de Claros, que tous ces édifices, ces ateliers d'esclavage sont dans le silence, obstrués, sans voix? D'où vient que non-seulement ce crucifié, mais que les ossements de ceux qu'on a égorgés pour lui, remplissent les démons d'épouvante? D'où vient qu'au seul nom de la croix, ils reculent en bondissant? Il fallait rire; il n'y a rien de bien brillant, de bien respectable dans une croix; au contraire, c'est une honte, une ignominie. C'est une mort infligée comme châtiment; c'est une mort, la pire de toutes, maudite chez les Juifs, infâme chez les Grecs. D'où vient la terreur que la croix inspire aux démons, si ce n'est de la puissance du Crucifié? Redouter la croix pour elle-même, c'est un sentiment tout à fait incompatible avec la nature d'êtres divins; mais, de plus, avant le Christ et après lui, des suppliciés en grand nombre ont été crucifiés; avec le Christ, deux furent mis en croix. Eh bien, supposez qu'on invoque le nom du larron mis en croix, ou de tel ou de tel crucifié, croyez-vous que le démon prendra la fuite? Nullement, il en rira. Mais si vous ajoutez, de Jésus de Nazareth, les esprits méchants se sauvent comme on s'échappe du feu. Que pourra-t-on objecter? D'où vient à Jésus son pouvoir? C'était un séducteur, dites-vous. Mais ses préceptes ne nous le montrent pas ainsi; et d'ailleurs, des séducteurs ont paru souvent au milieu des hommes. Direz-vous que c'était un mage? Mais ce n'est pas là ce que ses dogmes témoignent, et il y a eu souvent des mages en grand nombre. Que c'était un sage? Mais le monde n'a jamais manqué de sages. Qui donc, parmi eux, a possédé un pareil pouvoir? Personne, jamais, n'en a même approché. D'où il est évident que ce n'est ni comme mage, ni comme séducteur, mais au contraire comme correcteur de ceux qui l'étaient; comme vraiment Dieu, et fort d'une puissance invincible, que c'est par là qu'il a triomphé de tout, qu'il a inspiré au fabricant de tentes, à Paul, la vertu, toute la vertu que témoignent les actions de sa vie. Un homme de la place publique, dont l'industrie s'appliquait aux cuirs, a eu le pouvoir de ramener les Romains, les Perses, les Indiens, les Scythes, les Ethiopiens, les Sauromates, les Parthes, les Mèdes, les Saracènes, en un mot, le pouvoir de ramener tout le genre humain à la vérité, en moins de trente ans. D'où vient, répondez-moi, que cet artisan du marché, cet ouvrier d'atelier, qui tenait d'ordinaire un tranchet, est devenu un si grand philosophe, et qu'il a enseigné aux autres la philosophie, aux peuples, aux villes, aux contrées; ce qu'il a fait, non par la force de la rhétorique, tout au contraire, avec la plus grossière ignorance du langage. Ecoutez-le, disant sans rougir: Si je suis peu instruit pour la parole, il n'en est pas de même pour la science. (II Cor. XI, 6) Et il était sans fortune. C'est en effet ce qu'il dit lui-même: Jusqu'à cette heure, nous souffrons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements. (I Cor. IV, 11) Que parlé-je de fortune, quand il manquait souvent de la nourriture nécessaire, quand il n'avait même pas de quoi se couvrir? Que sa profession n'avait rien de relevé, c'est son disciple qui nous l'apprend par ces mots: Il demeurait chez Aquilas et Priscille, parce que leur métier était le sien; ils faisaient des tentes. (Act. XVIII, 3) Il n'avait donc pas l'illustration de la naissance; c'est évident, par l'industrie qu'il exerçait. Il n'était pas davantage d'une patrie, d'une nation illustre. Eh bien, malgré tout, il n'eut qu'à s'avancer, il n'eut qu'à se montrer, pour déconcerter ses ennemis, pour les confondre entièrement, et, comme le feu tombant sur la paille ou le foin, il brûla l'empire des démons; à sa volonté il transforma tout.
Et il ne faut pas admirer seulement qu'un homme, dans ces conditions, eut un si grand pouvoir, mais aussi que le plus grand nombre de ses disciples, furent des pauvres, des gens sans habileté, sans instruction, des indigents, obscurs et fils de gens obscurs.  C'est ce qu'il publie lui-même, et il ne rougit pas quand il parle de leur pauvreté, bien plus quand il demande des secours pour eux. Je m'en vais, dit-il, à Jérusalem porter des aumônes aux saints. (Rom. XV, 25) Autre passage: Que chacun de vous mette à part, chez soi, le premier jour de la semaine, ce qu'il aura amassé, afin qu'on n'attende pas mon arrivée pour recueillir les aumônes. (I Cor. XVI, 2) Ce qui prouve que le plus grand nombre de ses disciples étaient des gens sans habileté, c'est ce qu'il écrit aux Corinthiens: Considérez votre vocation, il y en a peu de sages selon la chair; vous êtes sortis de gens obscurs, il y en a peu de nobles, dit-il (I Cor. I, 26); et non-seulement ils ne sont pas nobles, mais tout à fait de basse naissance. Car, dit-il, Dieu a choisi les faibles selon le monde, ce qui n'existe pas, pour détruire ce qui existe. (Ibid, 27, 28) Mais s'il était sans habileté, sans instruction, il possédait au moins, à un certain degré, le talent qui persuade?
Nullement. C'est encore ce qu'il montre par ces paroles: Je suis venu vers vous, sans les discours élevés des orateurs ou des sages, vous apportant mon témoignage. Car je n'ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous, que Jésus-Christ et celui-ci crucifié, et je n'ai point employé en vous parlant les discours persuasifs de la sagesse humaine. (I Cor. II, 1, 2, 4) Ce qui était publié suffisait de soi-même pour tout attirer. Mais écoutez ce qu'il dit lui-même à ce sujet: Les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse; pour nous, nous publions le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Grecs. (I Cor. I, 22, 23) Mais il jouit de toute sécurité dans sa prédication? Au contraire il ne respira jamais à l'abri des dangers. J'ai toujours été dans un état de faiblesse, dit-il, et de crainte et de tremblement auprès de vous. (I Cor, II, 2) Ce qui ne lui arrivait pas à lui seul, mais, en même temps, à ses disciples. Rappelez, dit-il, en votre mémoire, ces premiers jours, où, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats au milieu de diverses afflictions, ayant été, d'une part, exposés en public, aux injures et aux mauvais traitements, et de l'autre, ayant été compagnons de ceux qui ont ainsi souffert. Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés. (Hébr. X, 32-34) Il écrit aux Thessaloniciens: Vous avez souffert de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ceux-ci de la part des Juifs qui ont tué le Seigneur, et leurs propres prophètes, et qui nous ont persécutés; qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes. (I Thess. II, 14, 15) Et aux Corinthiens il écrivait encore: Car, à mesure que les souffrances de Jésus-Christ s'augmentent en vous, et que vous devenez comme les compagnons de sa passion, de même vous participez à ses consolations (II Cor. 1, 5); et aux Galates: Vous avez tant souffert en vain, dit-il, si toutefois ce n'est qu'en vain. (Gal. III, 4)
Eh bien! quand le prédicateur n'était qu'un homme sans habileté, pauvre, obscur, quand la doctrine qu'il publiait n'avait rien d'attrayant, n'était qu'un scandale, quand les auditeurs eux-mêmes étaient des pauvres, des gens faibles, des gens de rien, quand les dangers succédaient continuellement aux dangers, quand les périls menaçaient également maîtres et disciples, quand celui qu'on annonçait était un crucifié, qu’elle pouvait être la raison du triomphe? N'est-il pas évident que c'est la puissance ineffable de Dieu? Cette parfaite évidence se prouve par la considération même de ce qu'étaient les adversaires. En effet, quand du côté opposé, vous trouvez réunis tous les contraires de ce que nous venons de dire, quand vous voyez conspirer contre la nouvelle doctrine, la richesse, la noblesse, un grand empire, toutes les ressources de l'éloquence, la plus complète liberté d'action, une superstition puissante et raffinée, toujours prête à étouffer toute nouveauté qui tendrait à se faire jour, en un mot quand vous voyez la plus formidable puissance humaine qui se puisse imaginer, vaincue par la faiblesse même, où trouver, dites-moi, la cause d'un tel prodige? Bannissez donc des pensées fausses, décidez-vous chaque jour pour la vérité; adorez la puissance du crucifié. Si quelqu'un vous disait qu'un roi, avec une bonne armée, des troupes bien rangées en bataille, n'a pu vaincre des barbares, mais qu'un homme pauvre, nu, tout seul, n'ayant pas même un javelot, pas même un vêtement, n'a eu qu'à se présenter pour mettre en déroute tous ces bataillons que le roi, avec des armes et tout un appareil de guerre, n'avait pu vaincre, vous crieriez au prodige. Eh bien, ce qui est arrivé à saint Paul n'est pas moins prodigieux. Si vous voyiez d'une part, un roi, un conquérant, après avoir creusé des fossés autour d'une ville, amené des machines devant les murailles, réuni tout ce qui assure le succès en pareil cas, échouer néanmoins dans l'attaque de la place; si vous voyiez d'autre part un homme, qui s'avancerait le corps nu, qui ne ferait usage que de ses mains, prendre non une, ni deux, ni vingt, mais des milliers de villes, les prendre, dis-je, au pas de course, avec tous leurs habitants, vous n'expliqueriez pas ces conquêtes par une force humaine. Evidemment c'est ce qu'il faut penser au sujet de saint Paul. Car si Dieu à permis que des brigands aussi fussent mis en croix, qu’avant les temps du Christ, on vit paraître des imposteurs, c'était pour que la comparaison montrât même aux moins clairvoyants l'excellence de la vérité, c'était pour faire éclater le divin privilège qui le distingue, l'immense intervalle entre eux et lui. Rien n'a pu obscurcir sa gloire, ni la communauté des traitements, ni la parité des circonstances. Si l'on prétend que c'est la croix que les démons redoutent, et non la puissance du crucifié, voici qui ferme la bouche à ceux qui parlent de cette manière: les deux voleurs en même temps crucifiés. Si le caprice des événements a tout fait, pourquoi Theudas et Judas, qui, dans les mêmes circonstances, ont tenté la même entreprise, après avoir opposé un grand nombre de signes à la vérité, ont-ils été anéantis? Je vous le répète, Dieu a permis ces choses pour démontrer surabondamment ce qui est de lui. Il a permis les faux prophètes en même temps que les prophètes, les faux apôtres en même temps que les apôtres, pour vous apprendre que rien ne peut obscurcir ce qui est de lui.
Vous faut-il un autre genre de preuves pour vous démontrer ce qu'il y a d'admirable dans cette prédication qui renverse la raison de l'homme; vous montrerai-je que les ennemis qui l'ont combattue, l'ont glorifiée, agrandie? Notre Paul avait des ennemis qui dans le dessein de lui nuire, prêchaient l'Evangile dans Rome. Ils voulaient irriter Néron, l'ennemi de Paul, et ils se faisaient, eux aussi, prédicateurs, afin que la parole en se propageant, les disciples en devenant plus nombreux, excitassent la fureur du tyran; ils voulaient irriter la bête féroce. C'est précisément ce que Paul écrivait aux Philippiens: Je veux bien que vous sachiez, mes frères, que ce qui m'est arrivé a plutôt servi au progrès de l'Evangile, de sorte que plusieurs de nos frères, se rassurant par mes liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer la parole de Dieu sans crainte. Il est vrai que quelques-uns prêchent par un esprit d'envie et de contention, et que les autres le font par une bonne volonté; les uns prêchent par un esprit de jalousie, avec une contention qui n'est pas pure, croyant me causer de l'affliction dans mes liens; les autres prêchent par charité, sachant que j'ai été établi pour la défense de l’Evangile. Mais qu'importe, pourvu que de toute manière, soit par occasion, soit par un vrai zèle, Jésus-Christ soit annoncé. (Philipp. I, 12, 14, 15, 16, 17, 18) Voyez-vous combien il y en avait qui prêchaient par un esprit de contention? Malgré tout, même par ses ennemis, la vérité triomphait.
Il y avait encore d'autres obstacles. Non-seulement les lois anciennes n'étaient pas des auxiliaires, c'étaient des adversaires qui faisaient la guerre à la doctrine; ajoutez à cela la perversité, l'ignorance des calomniateurs: ils ont pour roi, disait-on, ce Christ. Ce qu'ils redoutaient, ce n'était pas cette royauté d'en-haut, pouvoir terrible, sans bornes; ils prétendaient que les Apôtres voulaient établir une tyrannie sur la terre, et les calomnies se répétaient, et la lutte était publique, et individuelle, et particulière; publique, en effet il semblait que l’état allait périr, que les lois étaient bouleversées; particulière, car chaque famille était divisée, déchirée. Le père faisait la guerre à ses enfants, le fils reniait son père, les femmes leurs maris, les maris leurs femmes, les filles leurs mères, les parents leurs parents, les amis leurs amis, c'était la guerre sous toutes ses formes, la guerre partout, s'insinuant dans les maisons, divisant les membres de la même famille, bouleversant les sénats, jetant la confusion dans les tribunaux; les moeurs, les usages de la patrie ne se retrouvaient plus, les fêtes, le culte des démons, rien ne subsistait plus de ce que les anciens législateurs avaient regardé comme devant être conservé avant tout, avec le plus grand soin. En même temps la haine ombrageuse de la tyrannie traquait partout les chrétiens. Et l'on ne dira pas que si les Grecs persécutaient les apôtres, l'Evangile n'avait rien à craindre des Juifs, ennemis bien plus dangereux et remuants; ils lui reprochaient la destruction de leur propre loi. Il ne cesse pas, disaient-ils, de proférer des paroles de blasphèmes contre le lieu saint et contre la loi. (Act. VI, 13) Partout éclatait l'incendie, dans les maisons, dans les villes, dans les campagnes, dans les déserts, chez les Grecs, chez les Juifs, chez les princes, chez les sujets, au milieu des parents, sur la terre, sur la mer, dans les palais des empereurs; la fureur irritait la fureur; c'était partout une rage universelle, plus terrible que celle des bêtes féroces; et le bienheureux Paul, intrépide au milieu de tant de brasiers ardents où il s'élance, ferme au milieu des loups, attaqué de toutes parts, non-seulement n'est pas écrasé, mais encore c'est lui qui ramène tout dans les voies de la vérité. Vous dirai-je d'autres combats non moins terribles? les combats contre les faux apôtres, et, ce qui était pour lui l'affliction la plus cruelle, la faiblesse de ses propres disciples; un grand nombre de fidèles se laissaient corrompre, et Paul suffit encore à triompher de ces désastres. Comment, par quelle puissance? Nos armes ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu pour renverser les obstacles, détruisant les raisonnements humains et toute hauteur qui s’élève contre la science de Dieu. (II Cor. X, 4, 5) Voilà qui changeait, qui transformait tout à la fois. Et comme on voit la flamme s'allumer, consumer peu à peu les épines, s'accroître et purifier les champs, ainsi le discours de Paul, avec plus d'impétuosité que la flamme, emportait tout: le culte des démons, les fêtes, les assemblées, les moeurs reçues des pères, les lois corruptrices, les fureurs des peuples, les menaces des tyrans, les complots domestiques, les oeuvres ténébreuses des faux apôtres; disons mieux, comme aux rayons du soleil qui se lève, les ténèbres s'enfuient, les bêtes fauves se cachent et se retirent dans leurs tanières, les brigands s'éloignent, les assassins rentrent au plus vite dans leurs cavernes, les pirates disparaissent, les profanateurs des tombeaux s'écartent, libertins, voleurs, misérables artisans d'escalade et d'effraction, tous se cachent et s'évanouissent, redoutant la lumière qui les accuserait, car voici que tout est clair et brillant, et la terre, et la mer, et les rayons d'en-haut illuminent tout, les flots, les montagnes, les continents, les villes; de même quand apparut ce héraut de la vérité, quand Paul répandait partout la lumière, l'erreur prenait la fuite, la vérité revenait; les graisses des sacrifices et leur fumée, et les cymbales, et les tambours, et les ivresses, et les orgies, et les fornications, et les adultères, et toutes les cérémonies impossibles à nommer, que les idolâtres pratiquaient dans leurs temples, cessèrent: tout fut consumé, comme la cire que le feu liquéfie, comme la paille que la flamme brûle. La flamme brillante de la vérité monta resplendissante et s'éleva dans les airs jusqu'au ciel; les efforts mêmes pour l'éteindre la faisaient jaillir, les obstacles ajoutaient à son élan: ni les périls n'en retardaient l'irrésistible essor et la célérité, ni la tyrannie des vieilles coutumes, ni la puissance des moeurs de la patrie, ni la force des lois, ni la difficulté même de pratiquer l'Evangile, nul obstacle ne pouvait prévaloir. Et cependant voulez-vous comprendre toute la force des éléments qu'on avait contre soi? menacez les païens, je ne dis pas des dangers, de la mort, de la faim, mais d'un léger dommage dans leur fortune, vous les verrez tout de suite tout changer. Mais les défenseurs de l'Evangile sont mutilés, exterminés de toutes parts, on leur fait partout la guerre, de mille manières, et l'Evangile fleurit de plus en plus. Et à quoi bon parler des païens de nos jours, hommes vils et méprisés? Evoquons plutôt ceux qui furent admirés, les philosophes illustres, Platon, Diagoras, le philosophe de Clazomène, et tous les autres, et vous comprendrez alors la force de la prédication. Car, après la ciguë de Socrate, les uns se retirèrent à Mégare, dans la crainte d'avoir le même sort; d'autres perdirent leur patrie et leur liberté, sans avoir pu rien conquérir qu'une seule femme, à la cause de la philosophie. Le sage de Cittium, malgré le système de morale et de gouvernement qu'il laissa dans ses écrits, finit de même. Et cependant ils n'avaient à surmonter ni obstacles, ni dangers, le talent ne leur manquait pas, ils avaient l'éloquence, les richesses, la gloire de leur patrie; cependant ils n'eurent aucun résultat. Car tel est le caractère de l'erreur; sans que rien la trouble, elle se dissipe; tel est le caractère de la vérité, quelle que soit la foule de ses adversaires, elle s'élève. Et c'est ce que proclame la simple réalité des faits accomplis: il n'est besoin ni de discours, ni de paroles quand on entend la voix du monde entier, des villes, des campagnes, de la terre, de la mer, des contrées habitées, des contrées désertes, des cimes des montagnes. Car Dieu n'a pas oublié le désert dans la dispensation de ses bienfaits; il l'a au contraire comblé de tous les biens qu'il nous a apportés en descendant du ciel, et qu'il nous a transmis par la langue de Paul et par la grâce qui le remplissait. Le zèle de l'Apôtre l'ayant rendu digne d'un tel présent, l'abondance de la grâce resplendit en lui, et la plus grande partie des merveilles que nous avons racontées, s'accomplit par sa parole.
Donc puisqu'il est vrai que Dieu a honoré la race des hommes au point de juger un homme digne de produire, à lui seul, de si grandes choses, soyons pleins de zèle, imitons-le, faisons tous nos efforts pour nous rendre semblables à lui, nous aussi, et n'allons pas croire que ce soit chose impossible. Car je ne cesserai pas de répéter ce que j'ai dit bien souvent, que son corps ressemblait au nôtre, que sa nourriture était comme la nôtre, son âme comme la nôtre, mais sa volonté était forte, son désir, ardent, c'est par là qu'il est devenu ce qu'il a été. Donc pas de découragement, de désespoir. Préparez vos âmes, et il n'y a aucun empêchement à ce que vous receviez la même grâce. Dieu ne fait pas acception des personnes; le même Dieu l'a formé et vous appelle; comme il fut son Seigneur, il est aussi le vôtre; comme il l'a glorifié, il veut aussi vous couronner vous-mêmes. Offrons-nous donc à Dieu et purifions-nous, afin d'obtenir, nous aussi, l'abondance des mêmes dons, et ensuite les mêmes biens, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire avec la puissance, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

 

HAUT DE PAGE