par Saint-Thomas d'Aquin / LA CHAÎNE D'OR
À travers les quatre chaînes d’or, saint Thomas d’Aquin est aussi le plus grand compilateur de son temps. Non seulement il ajoute de son propre génie, mais il utilise et synthétise tout ce que la sainteté et la théologie ont produit depuis le commencement de l’Église. Il en ressort un formidable commentaire, moderne.
![]()
S. Chrys. (hom. 3 sur S. Jean.) Tandis que tous les  autres Évangélistes commencent par l’incarnation du Sauveur, saint Jean, sans  s’arrêter à sa conception, à sa naissance, à son éducation, aux progrès  successifs de ses premières années, raconte immédiatement en ces termes la  génération éternelle : « Au commencement était le Verbe. » — S. Augustin. (Liv. des 83 quest.)  Le mot grec λόγος signifie également en latin raison et verbe, mais ici la  signification de verbe est préférable, parce qu’elle exprime mieux les rapports,  non-seulement avec le Père, mais avec les créatures qui ont été faites par la  puissance opérative du Verbe. La raison, au contraire, même quand elle n’agit  pas, s’appelle toujours raison.
    S. Augustin. (Traité 3 sur S. Jean.) L’usage journalier  de la parole, lui fait perdre de son prix à nos yeux, et nous en faisons peu de  cas, à cause de la nature passagère du son dont elle est revêtue. Or, il est  une parole dans l’homme lui-même qui reste dans l’intérieur de son âme, car le  son est produit par la bouche. La parole véritable, à laquelle convient  particulièrement ce nom, est celle que le son vous fait entendre, mais ce n’est  pas le son lui-même. — S. Augustin.  (de la Trinité, 15, 10.) Celui qui peut comprendre la parole non-seulement  avant que le son de la voix la rende sensible, mais avant même que l’image des  sons se présente à la pensée, peut voir déjà dans ce miroir et sous cette image  obscure quelque ressemblance du Verbe dont il est dit : « Au  commencement était le Verbe. » En effet, lorsque nous énonçons ce que nous  savons, le verbe doit nécessairement naître de la science que nous possédons,  et ce verbe doit être de même nature que la science dont il est l’expression.  La pensée qui naît de ce que nous savons est un verbe qui nous instruit intérieurement,  et ce verbe n’est ni grec, ni latin, il n’appartient à aucune langue. Mais  lorsque nous voulons le produire au dehors, nous sommes obligés d’employer un  signe qui eu soit l’expression. Le verbe qui se fait entendre an dehors est  donc le signe de ce verbe qui demeure caché à l’intérieur, et auquel convient  bien plus justement le nom de verbe. Car ce qui sort de la bouche, c’est la  voix du verbe, et on ne lui donne le nom de verbe ou de parole, que par son  union avec la parole intérieure, qui est son unique raison d’être.
    S. Basile. (hom. sur ces par.) Le Verbe dont parle ici l’Évangéliste  n’est pas un verbe humain ; comment, en effet, supposer au commencement  l’existence du verbe humain, alors que l’homme fut créé le dernier de tous les  êtres ? Ce Verbe qui était au commencement, n’est donc point le verbe  humain, ce n’est point non plus le verbe des anges ; car toute créature  est postérieure à l’origine des siècles, et a reçu du Créateur le principe de  son existence. Élevez-vous donc ici à la hauteur de l’Évangéliste, c’est le  Fils unique qu’il appelle le Verbe.
    S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean.) Mais pourquoi saint  Jean nous parle-t-il immédiatement du Fils, sans rien dire du Père ? C’est  que le Père était connu de tous les hommes, sinon comme Père, du moins comme  Dieu ; le Fils unique, au contraire, n’était pas connu. Voilà pourquoi l’Évangéliste  s’applique dès le commencement à en donner la connaissance à ceux qui ne  l’avaient pas. Disons plus, le Père lui-même est compris dans tout ce qu’il dit  du Fils. C’est pour cette raison qu’il lui donne le nom de Verbe. Il veut  enseigner que le Verbe est le Fils unique de Dieu, il détruit donc par avance  toute idée d’une génération charnelle, en montrant que ce Verbe a été engendré  de Dieu d’une manière incorruptible. Une seconde raison pour laquelle il lui  donne ce nom, c’est que le Fils de Dieu devait nous faire connaître ce qui  concerne le Père. Aussi ne l’appelle-t-il pas simplement Verbe, mais il le  distingue de tous les autres verbes, en ajoutant l’article. L’Écriture a  coutume d’appeler verbe ou parole les lois et les commandements de Dieu ;  mais le Verbe dont il est ici question est une substance, une personne, un être  qui est né du Père par une naissance exempte de corruption et de douleur.
    S. Basile. (hom. précéd.) Mais pourquoi est-il le  Verbe ? parce que sa naissance est sans douleur, parce qu’il est l’image  de celui qui l’a engendré, qu’il le reproduit tout entier en lui-même, sans  aucune division, et en possédant comme lui toute perfection. — S. Augustin. (de la Trin., 15, 13.)  De même qu’il existe une grande différence entre notre science et celle de  Dieu, le verbe qui est le produit de notre science est aussi bien différent du  Verbe de Dieu qui est né de l’essence même du Père ; comme si je disais  qu’il est né de la science du Père, de la sagesse du Père, ou ce qui est plus  expressif encore, du Père, qui est science, du Père, qui est sagesse. Le Verbe  de Dieu, Fils unique du Père, est donc semblable et égal à son Père en toutes  choses ; car il est tout ce qu’est le Père, il n’est cependant pas le  Père, parce que l’un est le Fils, et l’autre le Père. Le Fils connaît tout ce  que connaît le Père, puisqu’il reçoit du Père la connaissance en même temps que  l’être. Connaître et exister sont ici une seule et même chose ; et ainsi  le Fils n’est point pour le Père le principe de la connaissance, parce qu’il  n’est pas pour lui le principe de l’existence. C’est donc en s’énonçant  lui-même, que le Père a engendré le Verbe qui lui est égal en toutes choses ;  car il ne se serait pas énoncé dans toute son intégrité et dans toute sa  perfection, si son Verbe lui était inférieur ou supérieur en quelque chose.  N’hésitons pas à considérer quelle distance sépare de ce Verbe divin notre  verbe intérieur, dans lequel nous trouvons cependant quelque analogie avec lui.  Le verbe de notre intelligence ne reçoit pas immédiatement sa forme définitive,  c’est d’abord une idée vague qui s’agite dans l’intérieur de notre âme, et qui  est le produit des différentes pensées qui se présentent successivement à notre  esprit. Le verbe véritable n’existe, que lorsque de ces pensées qui s’agitent  et se succèdent dans notre âme, naît la connaissance qui donne à son tour  naissance au verbe, et ce verbe ressemble en tout à cette connaissance ; car  la pensée doit nécessairement avoir la même nature que la connaissance dont  elle est le produit. Qui ne voit quelle différence extrême dans le Verbe de  Dieu, qui possède la forme et la nature de Dieu sans l’avoir acquise par ces  divers essais de formation, sans qu’il puisse jamais la perdre, et qui est  l’image simple et consubstantielle du Père ? C’est la raison pour laquelle  l’Évangéliste l’appelle le Verbe de Dieu, plutôt que la pensée de Dieu ;  il ne veut pas qu’on puisse supposer en Dieu une chose qui soit soumise au  changement, ou au progrès du temps ; qui commence à prendre une forme  qu’elle n’avait pas auparavant, et qu’elle peut perdre un moment après en  retombant dans les vagues agitations de l’intelligence. — S. Augustin. (serm. 38 sur les par.  du Seig.) C’est qu’en effet le Verbe de Dieu est la forme qui n’a jamais été  soumise à la formation, c’est la forme de toutes les formes, la forme immuable,  exempte de vicissitudes, de décroissance, de toute succession, de toute étendue  mesurable, la forme qui surpasse toutes choses, qui existe en toutes choses,  qui est le fondement sur lequel reposent toutes choses, et le faîte qui les  couvre et les domine.
    S. Basile. (hom. précéd.) Notre verbe extérieur a quelque  ressemblance avec le Verbe de Dieu. Notre verbe, en effet, reproduit la  conception de notre esprit, car nous exprimons par la parole ce que notre  intelligence a préalablement conçu. Notre cœur est comme une source, et la  parole que nous prononçons est comme le ruisseau qui sort de cette source.
    S. Chrys. (hom. précéd.) Remarquez ici la prudence  spirituelle de l’Évangéliste. Il savait que les hommes avaient de tout temps  rendu des honneurs divins à l’être qu’ils reconnaissaient exister avant toutes  les créatures et qu’ils appelaient Dieu. C’est donc par cet être qu’il commence  en lui donnant le nom de principe, et bientôt celui de Dieu : « Dans  le principe était le Verbe. » — Origène.  Ce nom de principe ou de commencement a plusieurs significations. Il peut  signifier le commencement d’un chemin ou d’une longueur quelconque, comme dans  ces paroles : « Le commencement de la bonne voie est de faire la  justice. » (Pr 16, 5.) Il signifie encore le principe ou commencement de  la génération, comme dans ces paroles du livre de Job : « Il est le  commencement des créatures de Dieu ; et l’on peut, sans rien dire  d’extraordinaire, affirmer que Dieu est le commencement ou le principe de  toutes choses. Pour ceux qui regardent la matière comme éternelle et incréée,  elle est le principe de tous les êtres qui ont été tirés de cette matière  préexistante. Le mot principe a encore une signification plus particulière,  comme lorsque saint Paul dit que le Christ est le principe de ceux qui ont été  faits à l’image de Dieu. (Col 1) Il y a encore le commencement ou le principe  de la discipline et de la morale chrétienne, et c’est dans ce sens que le même  Apôtre dit aux Hébreux : « Lorsqu’on raison du temps, vous devriez  être maîtres, vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers  commencements do la parole de Dieu. » (Hé 5, 12.) Le mot principe a  lui-même deux sens différents, il y a le principe considéré dans ses rapports  avec nous. Ainsi le Christ est par nature le principe de la sagesse, on tant  qu’il est la sagesse et le Verbe de Dieu ; et il est pour nous ce môme principe  en tant que Verbe fait chair. Parmi tontes ces significations différentes du  mot principe, nous pouvons choisir ici celle qui exprime le principe  agissant ; car le Christ créateur est comme le principe en tant qu’il est  la sagesse, et le Verbe dans le principe, est la même chose que le Verbe dans  la sagesse ; car le Sauveur est la source d’une infinité de biens. De même  donc que la vie était dans le Verbe, ainsi le Verbe était dans le principe,  c’est-à-dire dans la sagesse. Considérez, si d’après cette signification, il  est possible d’entendre le principe, dans ce sens que c’est suivant les règles  de cette sagesse, et les idées exemplaires qu’elle renferme, que toutes choses  ont été faites. Ou bien encore, comme le Père est le principe du Fils, le  principe des créatures et de tous les êtres, il faut entendre ces  paroles : « Dans le principe était le Verbe, » dans ce sens que  le Verbe qui était le Fils, était dans le principe, c’est-à-dire dans le Père.  — S. Augustin. (de la  Trin., 6, 2.) Ou bien encore, ces paroles : « Au commencement, »  dans le principe, signifient : « Avant toutes choses. » — S. Basile. (hom. précéd.) Le  Saint-Esprit a prévu que des envieux et les détracteurs de la gloire du Fils  unique chercheraient à détruire par leurs sophismes la foi des fidèles en  disant : S’il a été engendré, on ne peut pas dire qu’il était, et avant  d’être engendré, il n’était pas. C’est pour fermer par avance la bouche à ces  blasphémateurs, que l’Esprit saint dit : « Au commencement était le  Verbe. »
    S. Hil. (de la Trin., 2.) Tous les temps sont dépassés,  tous les siècles sont franchis, toutes les années disparaissent ; imaginez  tel principe que vous voudrez, vous ne pouvez circonscrire celui-ci dans les  limites du temps, il existait avant tout les temps.
    S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean.) Lorsqu’un homme monte  sur un navire, tant qu’il est près du rivage, il voit se dérouler devant lui  les ports et les cités, mais dès qu’il est avancé en pleine mer, il perd de vue  ces premiers objets, sans que ses yeux puissent s’arrêter sur aucun point.  Ainsi l’Évangéliste, en nous élevant au-dessus de toutes les créatures, laisse  notre regard comme suspendu et sans objet, et ne lui permet d’entrevoir ni  aucunes bornes dans les hautes régions où il l’a transporté, ni aucunes limites  où il puisse se fixer, car ces paroles : « Au commencement, »  expriment à la fois l’Être infini et éternel.
    S. Augustin. (serm. 38 sur les par. du Seign.) On fait cette  objection : S’il est Fils, donc il est né. Nous l’avouons. Ils  ajoutent : S’il est né un Fils au Père, il était Père avant la naissance  de son Fils. La foi rejette cette conclusion. Mais, poursuit-on, expliquez-moi  donc comment le Père a pu avoir un Fils, qui fut coéternel au Père dont il est  né, car le fils naît après son père pour lui succéder après sa mort. Ils vont  chercher leurs comparaisons dans les créatures, il nous faut donc aussi trouver  des comparaisons à l’appui des vérités que nous défendons. Mais comment pouvoir  trouver dans toute la création un être coéternel, alors qu’aucune créature  n’est éternelle ? Si nous pouvions trouver ici-bas deux êtres absolument  contemporains, l’un qui engendre, l’autre qui est engendré, nous pourrions  avoir une idée de l’éternité simultanée du Père et du Fils. La sagesse nous est  représentée dans l’Écriture comme l’éclat de la lumière éternelle et comme  l’image du Père. Cherchons dans ces deux termes une comparaison qui, à l’aide  de deux choses existant simultanément, puisse nous donner l’idée de deux êtres  coéternels. Personne n’ignore que l’éclat de la lumière vient du feu ;  supposons donc que le feu est le père de cet éclat, dès que j’allume une lampe,  le feu et la lumière existent simultanément. Donnez-moi du feu sans lumière, et  je vous concéderai que le Père n’a point eu de Fils. L’image doit son existence  au miroir, cette image se produit dès qu’un homme se regarde dans un miroir,  mais celui qui se regarde dans un miroir existait avant de s’en approcher.  Prenons encore comme objet de comparaison une plante ou un arbuste nés sur le  bord des eaux, est-ce que leur image ne naît pas simultanément avec eux ?  Si donc cet arbuste existait toujours, l’image de l’arbuste aurait la même  durée. Or, ce qui vient d’un être est vraiment né de lui ; l’être qui a  engendré peut donc toujours avoir existé avec celui qui est né de lui. Mais on  me dira : Je comprends que le Père soit éternel, et que le Fils lui soit  coéternel, mais de la même manière que je comprends l’éclat du feu moins  brillant que le feu lui-même, ou comme l’image de l’arbuste qui se produit dans  les eaux, moins réelle et moins parfaite que l’arbuste lui-même. Non, l’égalité  est parfaite et absolue. Je ne le crois point, me réplique-t-on, parce que vos  comparaisons ne sont pas justes. Peut-être, cependant, trouverons-nous dans les  créatures des choses qui nous feront comprendre comment le Fils est coéternel  au Père, sans lui être inférieur, mais ce ne sera pas dans un seul objet de  comparaison. Joignons donc ensemble deux comparaisons différentes, celle qu’ils  donnent eux-mêmes et celle que nous apportons. Ils ont emprunté leur  comparaison aux êtres qui sont postérieurs par le temps à ceux qui leur donnent  naissance, par exemple, à l’homme qui naît d’un autre homme ; mais  cependant ces deux hommes ont une même nature. Nous trouvons donc dans cette naissance  l’égalité de nature, mais nous n’y trouvons pas l’égalité d’existence. Au  contraire, dans cette autre comparaison empruntée à l’éclat du feu et à l’image  de l’arbuste, vous ne trouvez pas l’égalité de nature, mais l’égalité de temps.  Vous trouvez donc réunies en Dieu les propriétés qui sont disséminées dans  plusieurs créatures, et vous les trouvez réunies, non pas comme elles sont dans  les créatures, mais avec la perfection qui convient au Créateur.
    Actes du Concile d’Éphèse. L’Écriture appelle le Fils, tantôt le Fils du  Père, tantôt le Verbe, tantôt l’éclat de la lumière éternelle, et elle emploie  tour à tour ces divers noms en parlant du Christ, pour les opposer aux  blasphèmes de l’hérésie. Votre fils est de même nature que vous ; l’Écriture,  pour vous montrer que le Père et le Fils ont une même nature, appelle le Fils,  qui est né du Père, son Fils unique. Mais comme la naissance d’un fils rappelle  l’idée de souffrance et de douleur qui accompagnent inséparablement la  génération humaine, la sainte Écriture appelle le Fils de Dieu le Verbe, pour  éloigner toute idée de souffrance de la génération divine. Et encore, tout père  est incontestablement plus âgé que son fils, mais il n’en est pas de même pour  la nature divine, et c’est pour cela qu’elle appelle le Fils unique du Père,  l’éclat de la lumière éternelle. En effet, la lumière naît du soleil, mais elle  ne lui est point postérieure. Le nom d’éclat de la lumière éternelle vous  montre donc que le Fils est coéternel au Père, le nom de Verbe vous prouve l’impassibilité  de sa naissance, et le nom de Fils, sa consubstantialité avec le Père.
    S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean). On objecte  encore : Ces paroles : « Au commencement, » ne signifient  pas simplement et nécessairement l’éternité, car n’est-il pas dit de la création  du ciel et de la terre : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la  terre ? » Mais qu’a de commun cette expression : « Il  était, » avec cette autre : « Il fit ? » Lorsqu’on dit  d’un homme : « Il est » cette expression marque le temps  présent ; lorsqu’on l’applique à Dieu, elle signifie celui qui existe  toujours et de toute éternité. De même l’expression : « Il  était, » appliquée à notre nature, signifie le temps passé, mais lorsqu’il  s’agit de Dieu, elle exprime son éternité. —Origène.  (hom. 2. sur div. sujets.) Le verbe être a une double signification, tantôt il  exprime les différentes successions de temps, lorsqu’il se conjugue avec  d’autres verbes ; tantôt il exprime la nature de la chose dont on parle  sans aucune succession de temps, c’est pour cela qu’il est appelé verbe  substantif. — S. Hil.  (De la Trin., 2.) Jetez donc un regard sur le monde, comprenez ce qui est écrit  du monde : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Ce  qui est créé reçoit donc l’existence au commencement, et ce qui se trouve  renfermé dans le principe qui lui donne l’existence se trouve également  renfermé dans les limites du temps. Or, ce simple pécheur, sans lettres, sans  science, s’affranchit des bornes du temps, remonte avant tous les siècles et  s’élève au-dessus de tout commencement. Car ce qui était, c’est ce qui est, ce  qui n’est circonscrit par aucune durée, et qui était au commencement ce qu’il  est, bien plutôt qu’il n’était fait. — Alcuin.  C’est donc contre ceux qui alléguaient la naissance temporelle du Christ, pour  enseigner qu’il n’avait pas toujours existé, que l’Évangéliste commence son  récit par l’éternité du Verbe : « Au commencement était le  Verbe. »
    Et le Verbe était en Dieu.
    S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean.) C’est surtout le  propre de Dieu d’être éternel et sans commencement, c’est ce que l’Évangéliste  a établi tout d’abord, mais de peur qu’on ne vînt à conclure de ces  paroles : « Au commencement était le Verbe, » que le Verbe n’a  pas été engendré, il ajoute aussitôt pour repousser cette idée : « Et  le Verbe était en Dieu. » — S. Hil.  (De la Trin., 2.) Il est dans le Père sans aucun commencement, il n’est point  soumis à la succession du temps, mais il a un principe de son existence. — S. Basile. (hom. précéd.) Il  s’exprime encore de la sorte contre ceux qui osaient blasphémer que le Verbe  n’était pas. Où donc était le Verbe ? Il n’était pas dans un lieu, car ce  qui ne peut être circonscrit, ne peut être soumis aux lois de l’espace. Mais où  était-il donc ? Il était en Dieu. Or, ni le Père, ni le Fils, ne peuvent  être contenus dans aucun espace.
    Origène.  Il est utile de faire remarquer que nous lisons dans l’Écriture, que le verbe  ou la parole a été faite ou adressée à quelques-uns, par exemple à Osée, à  Isaïe, à Jérémie ; mais le Verbe n’est pas fait en Dieu comme une chose  qui n’existe pas en lui. C’est donc d’un être qui est éternellement en lui, que  l’Évangéliste dit : « Et le Verbe était avec Dieu, » paroles qui  prouvent que, même au commencement le Fils n’a jamais été séparé du Père. — S. Chrys. (hom. 3 sur  S. Jean.) Il ne dit pas : Il était en Dieu, mais : « Il  était avec Dieu, » nous montrant ainsi son éternité comme personne  distincte. — Théophile.  L’erreur de Sabellius se trouve détruite par ces paroles. Cet hérétique  enseignait que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne formaient qu’une seule  personne, qui se manifestait tantôt comme le Père, tantôt comme le Fils, et  tantôt comme le Saint-Esprit ; mais quoi de plus fort pour le confondre que  ces paroles : « Et le Verbe était en Dieu ? » car l’Évangéliste  déclare ouvertement que le Fils est différent du Père, qu’il désigne ici par le  nom de Dieu.
    Et le Verbe était Dieu.
    S. Hil. (De la Trin., 2.) Vous me direz : Le Verbe,  c’est le son de la voix l’énoncé des choses, l’expression des pensées. Le Verbe  était dans le principe avec Dieu, parce que la parole, expression de la pensée,  est éternelle, lorsque celui qui pense est éternel lui-même. Mais comment le  Verbe était-il au commencement, lui qui n’est ni avant, ni après le  temps ; je ne sais même s’il peut exister dans le temps ? Lorsque les  hommes parlent, leur parole n’existe pas avant qu’ils ouvrent la bouche, et  lorsqu’ils ont fini de parler, elle n’existe plus ; au moment même où ils  arrivent à la fin de leurs discours, le commencement a cessé d’exister ;  Mais si vous avez admis, tout ignorant que vous êtes, ces premières  paroles : « Au commencement était le Verbe, » pourquoi demander  ce que signifient les suivantes : « Et le Verbe était avec Dieu. »  Est-ce que vous pouviez supposer qu’en Dieu le Verbe était l’expression d’une  pensée cachée, ou bien Jean aurait-il ignoré la différence qui existe entre ces  deux termes : Être et assister ? Ce qui était au commencement vous  est présenté comme étant, non pas dans un autre, mais avec un autre. Faites  donc attention au nom et à la nature qu’il donne au Verbe : « Et le  Verbe était Dieu. » Il n’est plus question du son de la voix, de  l’expression de la pensée ; ce verbe est un être subsistant et non pas un  son, c’est une substance, une nature et non une simple expression, ce n’est pas  une chose vaine, c’est un Dieu. —S. Hil.  (De la Trin., 7.) L’Évangéliste lui donne le nom de Dieu sans aucune addition  étrangère qui puisse être matière à difficulté. Il a bien été dit à  Moïse : « Je t’ai établi le dieu de Pharaon. » (Ex 7, 1.) Mais  on voit immédiatement la raison de cette dénomination dans le mol qui  l’accompagne : « de Pharaon, » c’est-à-dire, que Moïse a été  établi le dieu de Pharaon, pour s’en faire craindre et prier, pour le châtier  et pour le guérir ; mais il y a une grande différence entre ces deux  choses : Être établi le dieu de quelqu’un et être véritablement Dieu. Je  me rappelle encore un autre endroit des Écritures où nous lisons :  « J’ai dit : Vous êtes des dieux. » (Ps 81) Mais il est facile  de voir que ce nom n’est donné ici que par simple concession ; et ces  paroles : « J’ai dit, » expriment bien plutôt une manière de  parler que la réalité du nom qui est donné. Au contraire, lorsque j’entends ces  paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » je comprends que ce  n’est point une simple dénomination, mais une véritable démonstration de sa  divinité.
    S. Basile. (homél. précéd.) C’est ainsi que l’Évangéliste  réprime les calomnies et les blasphèmes de ceux qui osent demander :  Qu’est-ce que le Verbe ? Il répond : « Et le Verbe était  Dieu. » — Théophile. On  peut encore donner une autre liaison de ces paroles avec ce qui précède.  Puisque le Verbe était avec Dieu, il est évident qu’il y avait deux personnes  distinctes, n’ayant toutes deux qu’une seule et même nature ; c’est ce  qu’affirmé l’Évangéliste : « Et le Verbe était Dieu, »  c’est-à-dire, que le Père et le Fils n’ont qu’une même nature, comme ils n’ont  qu’une même divinité. — Origène.  Ajoutons que le Verbe ou la parole que Dieu adressait aux prophètes, les  éclairait, de la lumière de la sagesse ; au contraire, le Verbe qui est  avec Dieu, reçoit de Dieu la nature divine, et voilà pourquoi saint Jean a fait  précéder ces paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » de ces  autres : « Et le Verbe était avec Dieu ou en Dieu. » — S. Chrys. (hom. 4 sur  S. Jean.) Et il n’est pas Dieu dans le sens de Platon, qui l’appelle  tantôt une certaine intelligence, tantôt l’âme du monde, toutes choses  complètement étrangères à sa nature divine. Mais on nous fait cette  objection : Le Père est appelé Dieu avec addition de l’article, et le Fils  sans l’article. Que dit en effet l’apôtre saint Paul ? « Du grand  Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. » (Tite, 2, 13.) Et dans un autre  endroit : « Qui est Dieu au-dessus de toutes choses ? » (Rm  9, 5.) C’est-à-dire, que le Fils est appelé Dieu sans article. Nous répondons  que la même observation peut s’appliquer au Père. En effet, saint Paul écrivant  aux Philippiens, dit : « Qui ayant la forme et la nature de Dieu (έν  μορφή Θεού, sans article), n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation  d’être égal à Dieu. » (Ph 2, 6.) Et dans son Épître aux Romains :  « Grâce et paix soient à vous de la part de Dieu (άπό Θεού, sans article),  notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur. » (Rm 1, 7.) D’ailleurs, il  était parfaitement inutile de mettre ici l’article, alors qu’on l’avait employé  mainte fois dans ce qui précède. Donc le Fils n’est pas Dieu dans un sens plus  restreint, parce que le nom de Dieu qui lui est donné n’est pas précédé de  l’article.