SAINT FRANÇOIS DE PAULE - CONFESSEUR

11 avril

   Le fondateur d'une milice d'humilité et de pénitence, François de Paule, nous offre aujourd'hui son exemple et son patronage. Sa vie fut toujours innocente; et néanmoins nous le voyons embrasser, dès sa première jeunesse, une pénitence si austère, qu'il semblerait trop sévère de l'exiger des plus grands pécheurs de nos jours. Cependant les droits de la justice divine n'ont rien perdu de leur rigueur: car Dieu ne change pas; et l'offense que lui ont faite nos péchés ne nous sera pas remise, si elle n'est pas réparée. Les saints ont expié toute leur vie et avec la plus grande sévérité des fautes légères; et l'Église a tant de peine à arracher à notre mollesse, en ces jours, quelques œuvres de pénitence mitigées à l’excès!
   Est-ce la foi qui fait défaut dans nos âmes? Est-ce la charité qui languit dans nos cœurs? C'est l'un et l'autre, sans doute; et la cause d'un tel affaiblissement est dans l'amour de la vie présente qui nous fait insensiblement perdre l'unique point de vue que nous devrions considérer: celui de l'éternité. Combien de chrétiens de nos jours sont semblables, dans leurs sentiments, à ce roi de France qui, après avoir obtenu du Pontife Romain que saint François de Paule vînt habiter près de lui, se jeta aux pieds du serviteur de Dieu, en le suppliant de lui prolonger la vie! Louis XI, cependant, était un grand pécheur; mais ce qui le préoccupait n'était pas le désir de faire pénitence de ses crimes; c'était l'espoir d'obtenir du saint quelques jours de plus d'une vie déjà trop longue pour le compte redoutable qui devait la suivre. Cet amour de la vie, nous le portons à un excès pitoyable. On repousse le jeûne et l'abstinence, non parce que l'obéissance à la loi de l'Église mettrait la vie en péril, non parce que la santé en serait compromise: on sait trop bien que les prescriptions du Carême cèdent en présence de semblables motifs; mais on se dispense du jeûne et de l'abstinence, parce que la mollesse dans laquelle on vit rend insupportable jusqu'à l'idée d'une légère privation, d'un dérangement dans les habitudes. On trouve des forces plus que suffisantes pour les affaires, pour les fantaisies même et pour les plaisirs; et quand il s'agit d'accomplir les lois que l'Église n'a portées que dans l'intérêt des âmes et des corps, tout semble impossible; et l'on accoutume la conscience à ne plus même s'inquiéter de ces prévarications annuelles, qui finissent par éteindre dans l'âme du pécheur jusqu'à l'idée de la nécessité où il est de faire pénitence pour être sauvé. 
   Étudions les exemples bien différents que nous donne saint François de Paule, et que l'Église nous propose dans le récit abrégé des œuvres de ce grand serviteur de Dieu.

   François naquit dans une humble condition à Paule, ville de Calabre. Ses parents, longtemps privés d'enfants, l'obtinrent du ciel par leurs prières à Saint-François, et à la suite d'un vœu. Dès sa jeunesse, enflammé d'une divine ardeur, il se retira dans un désert où il passa six ans dans une vie très dure, mais que la méditation des choses célestes lui rendait douce. La renommée de ses vertus se répandit au loin, et beaucoup de personnes l'allaient trouver dans le but de servir Dieu. La charité fraternelle le fit alors sortir de sa solitude; il bâtit une église près de Paule, et jeta là les premiers fondements de son Ordre. 
   Il avait le don de la parole dans un degré merveilleux, et garda une perpétuelle virginité. Son humilité fut si grande qu'il se disait le plus petit de tous, et voulut que ses disciples portassent le nom de Minimes. Son vêtement était grossier; il marchait nu-pieds, et la terre lui servait de lit. Son abstinence fut admirable: il ne mangeait qu'une fois par jour après le coucher du soleil; sa nourriture n'était que du pain et de l'eau, auxquels il n'ajoutait d'autre assaisonnement que celui qui est permis en Carême. Il astreignit par un quatrième vœu ses disciples à suivre cette dernière pratique, pendant toute l'année. 
   Dieu attesta la sainteté de son serviteur par un grand nombre de miracles, dont le plus célèbre est celui que fit François lorsque, repoussé par des matelots, il passa le détroit de Sicile, avec son compagnon, sur son manteau étendu sur les flots. Il fit aussi beaucoup de prédictions par un esprit prophétique. Louis XI, roi de France, souhaita de le voir, et le traita avec beaucoup d'honneur. Enfin, étant arrivé à sa quatre-vingt-onzième année, il mourut à Tours, et se réunit au Seigneur l'an du salut mil cinq cent sept. Son corps, resté sans sépulture durant onze jours, demeura sans corruption, et rendait même une odeur agréable. Le pape Léon X l'a mis au nombre des Saints.
   Apôtre de la Pénitence, François de Paule, votre vie fut toujours sainte; et nous sommes pécheurs. Cependant nous osons, en ces jours, recourir à votre puissant patronage, pour obtenir de Dieu que cette sainte carrière ne se termine pas sans avoir produit en nous un véritable esprit de pénitence, qui serve d'appui à l'espoir que nous avons conçu de notre pardon. Nous admirons les merveilles dont votre vie fut remplie, et cette longévité des Patriarches qui parut en vous, afin que la terre pût jouir plus longtemps du fruit de vos exemples. Maintenant que vous êtes dans la gloire éternelle, souvenez-vous de nous et bénissez le peuple fidèle qui implore votre suffrage. Par vos prières, faites descendre sur nous la grâce de la componction qui animera les œuvres de notre pénitence. Bénissez et conservez le saint Ordre que vous avez fondé. Notre patrie eut l'honneur de vous posséder, ô François! C'est de son sein que votre âme bénie s'éleva vers les cieux, laissant à la piété de nos pères sa dépouille mortelle, qui devint bientôt pour la France une source de faveurs et un gage de votre protection. Mais hélas! ce corps sacré, temple de l'Esprit-Saint, nous ne le possédons plus; la rage des hérétiques le poursuivit, il y a trois siècles, et un bûcher sacrilège le réduisit en cendres. Homme de mansuétude et de paix, pardonnez aux fils ce crime de leurs pères; et, témoin dans les cieux des miséricordes divines, soyez-nous propice, et ne vous souvenez des iniquités anciennes que pour appeler sur la génération présente ces faveurs célestes qui convertissent les peuples, et font revivre chez eux la foi et la piété des anciens jours.

Dom Prosper Guéranger