SAINT MARC – ÉVANGÉLISTE

25 avril

Marc était probablement de la race d'Aaron ; il était né en Galilée. Il semble avoir fait partie du groupe des soixante-douze disciples du Sauveur ; mais il nous apparaît surtout dans l'histoire comme le compagnon fidèle de l'apostolat de saint Pierre. 

C'est sous l'inspiration du chef des Apôtres et à la demande des chrétiens de Rome qu'il écrivit l'Évangile qui porte son nom. Marc cependant ne suivit pas saint Pierre jusqu'à son glorieux martyre ; mais il reçut de lui la mission spéciale d'évangéliser Alexandrie, l'Égypte et d'autres provinces africaines. 

Le disciple ne faillit pas à sa tâche et porta aussi loin qu'il put, dans ces contrées, le flambeau de l'Évangile. Alexandrie en particulier devint un foyer si lumineux, la perfection chrétienne y arriva à un si haut point, que cette Église, comme celle de Jérusalem, ne formait qu'un cœur et qu'une âme dans le service de Jésus-Christ. La rage du démon ne pouvait manquer d'éclater. 

Les païens endurcis résolurent la mort du saint évangéliste et cherchèrent tous les moyens de s'emparer de lui. Marc, pour assurer l'affermissement de son œuvre, forma un clergé sûr et vraiment apostolique, puis échappa aux pièges de ses ennemis en allant porter ailleurs la Croix de Jésus-Christ. Quelques années plus tard, il eut la consolation de retrouver l'Église d'Alexandrie de plus en plus florissante. 

La nouvelle extension que prit la foi par sa présence, les conversions nombreuses provoquées par ses miracles, renouvelèrent la rage des païens. Il fut saisi et traîné, une corde au cou, dans un lieu plein de rochers et de précipices. Après ce long et douloureux supplice, on le jeta en prison, où il fut consolé, la nuit suivante, par l'apparition d'un ange qui le fortifia pour le combat décisif, et par l'apparition du Sauveur lui-même. 

Le lendemain matin, Marc fut donc tiré de prison ; on lui mit une seconde fois la corde au cou, on le renversa et on le traîna en poussant des hurlements furieux. La victime, pendant cette épreuve douloureuse, remerciait Dieu et implorait sa miséricorde. Enfin broyé par les rochers où se heurtaient ses membres sanglants, il expira en disant : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains. »

 
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950.

   Le Lion évangélique qui assiste devant le trône de Dieu, avec l'Homme, le Taureau et l'Aigle, se montre aujourd'hui sur le Cycle. Ce jour a vu Marc s'élancer de la terre au ciel, le front ceint de la triple auréole de l'Évangéliste, de l'Apôtre et du Martyr.
   De même que les quatre grands Prophètes, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel, résument en eux la prédiction en Israël; ainsi Dieu voulait que la nouvelle Alliance reposât sur quatre textes augustes, destinés à révéler au monde la vie et la doctrine de son Fils incarné. Les quatre Évangiles, nous disent les anciens Pères, sont les quatre fleuves qui arrosaient le jardin des délices, et ce jardin était la figure de l'Église à venir. Le premier des quatre oracles de la nouvelle Alliance est Matthieu, qui avant tout autre initia les hommes à la vie et à la doctrine de Jésus: nous verrons poindre son astre en septembre; le second est Marc, qui nous illumine aujourd'hui; le troisième est Luc, dont nous attendrons le lever jusqu'en octobre; le quatrième est Jean, que nous avons connu près de la crèche de l'Emmanuel en Bethléem. Arrêtons-nous à contempler les grandeurs du second.
   Marc est le disciple chéri de Pierre, le brillant satellite du Soleil de l'Église. Son Évangile a été écrit à Rome, sous les yeux du Prince des Apôtres. Le récit de Matthieu avait déjà cours dans l'Église; mais les fidèles de Rome désiraient y joindre la narration personnelle de leur Apôtre. Pierre ne consent pas à écrire lui-même; il engage son disciple à prendre la plume, et l'Esprit-Saint conduit la main du nouvel Évangéliste. Marc s'attache à la narration de Matthieu; il l'abrège, mais en même temps il la complète. Un mot, un trait de développement, viennent attester à chaque page que Pierre, témoin et auditeur de tout, a suivi de près le travail de son disciple. Mais le nouvel Évangéliste passera-t-il sous silence ou cherchera-t-il à atténuer la faute de son maître? Loin de là; l'Évangile de Marc sera plus dur que celui de Matthieu dans le récit du reniement de Pierre. On sent que les larmes amères provoquées par le regard de Jésus dans la maison de Caïphe, n'ont pas encore cessé de couler. Le travail de Marc étant terminé, Pierre le reconnut et l'approuva, les Églises accueillirent avec transport le second récit des mystères du salut du monde, et le nom de Marc devint célèbre par toute la terre.
   Matthieu, qui ouvre son Évangile par la généalogie humaine du Fils de Dieu, avait réalisé le type céleste de l'Homme; Marc remplit celui du Lion; car il débute par le récit de la prédication de Jean-Baptiste, rappelant que le rôle de ce Précurseur du Messie avait été annoncé par Isaïe, quand il avait parlé de la Voix de celui qui crie dans le désert; voix du lion qui ébranle les solitudes par ses rugissements.
   La carrière d'Apôtre s'ouvrit devant Marc lorsqu'il eut écrit son Évangile. Pierre le dirigea d'abord sur Aquilée, où il fonda une insigne Église; mais c'était trop peu pour un Évangéliste.
   Le moment était venu où l'Égypte, la mère de toutes les erreurs, devait recevoir la vérité, où la superbe et tumultueuse Alexandrie allait voir s'élever dans ses murs la seconde Église de la chrétienté, le second siège de Pierre. Marc fut destiné par son maître à ce grand œuvre. Par sa prédication, la doctrine du salut germa, fleurit et produisit le bon grain sur cette terre la plus infidèle de toutes; et l'autorité de Pierre se dessina dès lors, quoique à des degrés différents, dans les trois grandes cités de l'Empire: Rome, Alexandrie et Antioche.
   Sous l'inspiration de Marc, la vie monastique préluda à ses saintes destinées, dans Alexandrie même, par l'institution chrétienne des Thérapeutes. L'intelligence de la vérité révélée prépara de bonne heure, dans ce grand centre des études humaines, les éléments de la brillante école chrétienne qui commença d'y fleurir dès le second siècle. Tels furent les effets de l'influence du disciple de Pierre dans la seconde Église du monde.
   Mais la gloire de Marc fût restée incomplète, si l'auréole du martyre ne fût pas venue la couronner. Les succès de la prédication du saint Évangéliste ameutèrent contre lui les fureurs de l'antique superstition égyptienne. Dans une fête de Sérapis, Marc fut maltraité par les idolâtres, et on le jeta dans un cachot. Ce fut là que le Seigneur ressuscité, dont il avait raconté la vie et les œuvres divines, lui apparut la nuit, et lui dit ces paroles célèbres qui sont la devise de l'antique république de Venise: « Paix soit avec toi, Marc, mon Évangéliste! » A quoi le disciple ému répondit: « Seigneur! » Sa joie et son amour ne trouvèrent pas d'autres paroles. Ainsi Madeleine, au matin de Pâques, avait gardé le silence après ce cri du cœur: « Cher Maître! » Le lendemain, Marc fut immolé par les païens; mais il avait rempli sa mission sur la terre, et le ciel s'ouvrait au Lion, qui allait occuper au pied du trône de l'Ancien des jours la place d'honneur où le Prophète de Pathmos le contempla dans une sublime vision.
   Au IX° siècle, l'Église d'Occident s'enrichit de la dépouille mortelle de Marc. Ses restes sacrés furent transportés à Venise, et sous les auspices du Lion évangélique commencèrent pour cette ville les glorieuses destinées qui ont duré mille ans. La foi en un si grand patron opéra des merveilles dans ces îlots et ces lagunes d'où s'éleva bientôt une cité aussi puissante que magnifique. L'art byzantin construisit l'imposante et somptueuse Église qui fut le palladium de la reine des mers, et la nouvelle république frappa ses monnaies à l'effigie du Lion de saint Marc: heureuse si, plus filiale envers Rome et plus sévère dans ses mœurs, elle n'eût jamais dégénéré de sa gravité antique, ni de la foi de ses plus beaux siècles!

LA PROCESSION DE SAINT-MARC

   Ce jour est remarquable dans les fastes de la Liturgie par la célèbre Procession dite de Saint-Marc. Cette appellation cependant n'est pas exacte, puisque la procession était déjà le 25 avril, avant l'institution de la fête du saint Évangéliste, qui n'avait pas encore son jour spécial dans l'Église romaine au VIe siècle. Le véritable nom de cette Procession est Litanie majeure. Le mot Litanie signifie Supplication, et s'entend d'une marche religieuse durant laquelle on exécute des chants qui ont pour but de fléchir le ciel. Ce mot désigne également le cri que l'on y fait entendre: « Seigneur, ayez pitié! » c'est le sens des deux mots grecs: Kyrie, eleison. Plus tard on a appliqué le nom de Litanies à tout l'ensemble d'invocations qui ont été ajoutées à la suite des deux mots grecs, de manière à former un corps de prière liturgique que l'Église emploie dans certaines circonstances importantes.
   La Litanie majeure, ou grande Procession, est ainsi nommée pour la distinguer des Litanies mineures, ou processions moindres sous le rapport de la solennité ou du concours. On voit par un passage de saint Grégoire le Grand que l'usage de l'Église Romaine était de célébrer chaque année une Litanie majeure, à laquelle tout le clergé et tout le peuple prenaient part, et que cet usage était déjà ancien. Le saint Pontife ne fit autre chose que de fixer au 25 avril cette Procession, et d'indiquer la Basilique de Saint-Pierre pour lieu de la station.
   Plusieurs auteurs liturgistes ont confondu avec cette institution les Processions que saint Grégoire ordonna plusieurs fois dans les calamités publiques, et qui sont totalement distinctes de celle d'aujourd'hui. Celle-ci avait lieu antérieurement, mais sans époque absolument déterminée, et elle n'est redevable à saint Grégoire que de son attribution au 25 avril. C'est donc à ce jour qu'elle est affectée, et non à la solennité de saint Marc établie postérieurement. S'il arrive que le 25 avril tombe dans la semaine de Pâques, la procession a lieu le jour même, à moins que ce jour ne soit celui de Pâques; quant à la fête du saint Évangéliste, elle est alors renvoyée après l'Octave.
   On demandera peut-être pourquoi saint Grégoire a choisi de préférence le 25 avril, pour y établir une Procession et une Station où tout respire la componction et la pénitence, dans une saison de l'année où l'Église est tout entière aux joies de la résurrection du Sauveur. Un savant liturgiste du siècle dernier, le chanoine Moretti, a le premier résolu ce problème. Dans une dissertation érudite il a constaté que l'Église Romaine, au Ve siècle et probablement dès le IVe, célébrait solennellement la journée du 25 avril. La population se rendait en ce jour à la Basilique de Saint-Pierre, afin d'y célébrer l'anniversaire du jour où le Prince des Apôtres, entrant dans Rome, était venu apporter à la ville éternelle la dignité inamissible de capitale suprême de toute la chrétienté. De ce jour commencent en effet les vingt-cinq années, deux mois et quelques jours, que Pierre siégea dans Rome (MORETTI. De festo in honorem principis Apostolorum Romae ad diem XXV Aprilis instituto. Rome, 1742. 4°). Le Sacramentaire léonien contient encore la Messe de cette solennité tombée plus tard en désuétude. Saint Grégoire, le grand organisateur de la Liturgie, ne voulut pas qu'un jour si auguste passât chaque année sans réveiller chez les Romains le souvenir de l'événement qui fait la principale gloire de leur cité, et il ordonna que l'Église de Saint-Pierre fût le rendez-vous de la grande Litanie fixée pour jamais à ce jour. La coïncidence assez fréquente du 25 avril avec l'Octave de la Pâque ne permettait pas d'établir une fête proprement dite pour commémorer l'arrivée de saint Pierre à Rome; saint Grégoire prit donc le seul parti qui restait à prendre pour conserver un si grand souvenir.
   Mais le saint Pontife ne put empêcher le contraste très prononcé qui exista dès lors entre les allégresses du moment présent et les sentiments de pénitence qui doivent accompagner la Procession et la Station de la Litanie majeure, instituées l'une et l'autre dans le but d'implorer la miséricorde divine. Comblés de faveurs de toute espèce en ce saint Temps, inondés des joies pascales, ne nous plaignons pas cependant de la nécessité que la sainte Église nous impose de rentrer pour quelques heures dans les sentiments de componction qui conviennent à des pécheurs comme nous. Il s'agit de détourner les fléaux que les iniquités de la terre ont mérités, d'obtenir, en s'humiliant et en invoquant le crédit de la Mère de Dieu et des Saints, la cessation des maladies, la conservation des moissons; de présenter enfin à la divine justice une compensation à l'orgueil, à la mollesse et aux révoltes de l'homme. Entrons dans ces sentiments, et reconnaissons humblement la part qu'ont nos propres péchés dans les motifs qui ont excité le courroux céleste; et nos faibles supplications, unies à celles de la sainte Église, obtiendront grâce pour les coupables et pour nous qui sommes du nombre.
   Ce jour consacré à la réparation de la gloire divine ne pouvait se passer sans les expiations salutaires dont le chrétien doit accompagner l'offrande de son cœur repentant. L'abstinence de la viande a été exigée de tout temps à Rome en ce jour; et lorsque la Liturgie Romaine eut été établie en France par Pépin et Charlemagne, la grande Litanie du 25 avril se trouvant dès lors en usage chez nous, le même précepte d'abstinence y fut promulgué. Le concile d'Aix-la-Chapelle de 836 ajouta l'obligation de suspendre en ce jour les œuvres serviles, et cette même disposition se retrouve dans les Capitulaires de Charles le Chauve. Quant au jeûne proprement dit, le Temps pascal ne l'admettant pas, il ne semble pas avoir été observé en ce jour, au moins d’une manière générale. Amalaire, au IX° siècle, atteste qu'on ne le pratiquait pas même à Rome de son temps.
   Dans le cours de la Procession, on chante les Litanies des Saints, suivies des nombreux Versets et Oraisons qui les complètent. La Messe de la Station est célébrée selon le rite du Carême, sans Gloria in excelsis et avec la couleur violette. Les fidèles trouveront dans leurs livres d'Église cette Messe ainsi que les Litanies; nous manquons de place pour les insérer ici.
   Mais qu'il nous soit permis de protester contre la négligence d'un grand nombre de chrétiens, de personnes même plus ou moins adonnées à la piété, et que l'on ne voit jamais assister à la Procession de Saint-Marc ni à celles des Rogations. Le relâchement sur ce point est à son comble, surtout dans les villes. Ces mêmes chrétiens ont accueilli cependant avec satisfaction la remise de l'abstinence qui a été obtenue pour certains diocèses; il semble que cette indulgence devrait les rendre d'autant plus empressés à prendre part à l'œuvre de la prière, celle de la pénitence ayant été allégée par la dispense. La présence du peuple fidèle aux Litanies fait partie essentielle de ce rite réconciliateur, et Dieu n'est pas obligé de prendre en considération des prières auxquelles ne s'unissent pas ceux qui sont appelés à les lui offrir. C'est là un des mille points sur lesquels une prétendue dévotion privée a jeté dans l'illusion beaucoup de personnes. A son arrivée dans la ville de Milan, saint Charles Borromée trouva aussi que son peuple laissait le clergé accomplir seul la Procession du 25 avril. Il se fit une loi d'y assister en personne, et il y marchait nu-pieds. Le peuple ne tarda pas à se presser sur les pas de son pasteur.

Dom Prosper Guéranger