SAINTE SCHOLASTIQUE - VIERGE

10 février

   La sœur du Patriarche des moines d'Occident vient nous réjouir aujourd'hui de sa douce présence; la fille du cloître apparaît sur le Cycle à côté de la martyre! toutes deux épouses de Jésus, toutes deux couronnées, parce que toutes deux ont combattu et ont remporté la palme. L'une l'a cueillie au milieu des rudes assauts de l'ennemi, dans ces heures formidables où il fallait vaincre ou mourir; l'autre a dû soutenir durant sa vie entière une lutte de chaque jour, qui s'est prolongée, pour ainsi dire, jusqu'à la dernière heure. Apolline et Scholastique sont sœurs; elles sont unies à jamais dans le cœur de leur commun Epoux.
   Il fallait que la grande et austère figure de saint Benoît nous apparût adoucie par les traits angéliques de cette sœur que, dans sa profonde sagesse, la divine Providence avait placée près de lui pour être sa fidèle coopératrice. La vie des saints présente souvent de ces contrastes, comme si le Seigneur voulait nous faire entendre que bien au-dessus des régions de la chair et du sang, il est un lien pour les âmes, qui les unit et les rend fécondes, qui les tempère et les complète. Ainsi, dans la patrie céleste, les Anges des diverses hiérarchies s'unissent d'un amour mutuel dont le souverain Seigneur est le nœud, et goûtent éternellement les douceurs d'une tendresse fraternelle.
   La vie de Scholastique s'est écoulée ici-bas, sans laisser d'autre trace que le gracieux souvenir de cette colombe qui, se dirigeant vers le ciel d'un vol innocent et rapide, avertit le frère que la sœur le devançait de quelques jours dans l'asile de l'éternelle félicité. C'est à peu près tout ce qui nous reste sur cette admirable Epouse du Sauveur, avec le touchant récit dans lequel saint Grégoire le Grand nous a retracé l'ineffable débat qui s'éleva entre le frère et la sœur, trois jours avant que celle-ci fût conviée aux noces du ciel. Mais que de merveilles cette scène incomparable ne nous révèle-t-elle pas! Qui ne comprendra tout aussitôt l'âme de Scholastique à la tendre naïveté de ses désirs, à sa douce et ferme confiance envers Dieu, à l'aimable facilité avec laquelle elle triomphe de son frère, en appelant Dieu même à son secours? Les anciens vantaient la mélodie des accents du cygne à sa dernière heure; la colombe du cloître bénédictin, prête à s'envoler de cette terre, ne l'emporte-t-elle pas sur le cygne en charme et en douceur?
   Mais où donc la timide vierge puisa-t-elle cette force qui la rendit capable de résister au vœu de son frère, en qui elle révérait son maître et son oracle? qui donc l'avertit que sa prière n'était pas téméraire, et qu'il pouvait y avoir en ce moment quelque chose de meilleur que la sévère fidélité de Benoît à la Règle sainte qu'il avait donnée, et qu'il devait soutenir par son exemple? Saint Grégoire nous répondra. « Ne nous étonnons pas, dit ce grand Docteur, qu'une sœur qui désirait voir plus longtemps son frère, ait eu en ce moment plus de pouvoir que lui-même sur le cœur de Dieu; car, selon la parole de saint Jean, Dieu est amour, et il était juste que celle qui aimait davantage se montrât plus puissante que celui qui se trouva aimer moins. »
   Sainte Scholastique sera donc, dans les jours où nous sommes, l'apôtre de la charité fraternelle. Elle nous animera à l'amour de nos semblables, que Dieu veut voir se réveiller en nous, en même temps que nous travaillons à revenir à lui. La solennité pascale nous conviera à un même banquet; nous nous y nourrirons de la même victime de charité. Préparons d'avance notre robe nuptiale; car celui qui nous invite veut nous voir habiter unanimes dans sa maison (Psalm. LXVII).
   La sainte Eglise nous fait lire aujourd'hui la narration que saint Grégoire a consacrée à la dernière entrevue du frère et de la sœur.

Du second livre des Dialogues de saint Grégoire Pape

   Scholastique était sœur du vénérable Père Benoît. Consacrée au Seigneur tout-puissant dès son enfance, elle avait coutume de venir visiter son frère une fois chaque année. L'homme de Dieu descendait pour la recevoir dans une maison dépendante du monastère, non loin de la porte. Scholastique étant donc venue une fois, selon sa coutume, son vénérable frère descendit vers elle avec ses disciples. Ils passèrent tout le jour dans les louanges de Dieu et les pieux entretiens; et, quand la nuit fut venue, ils prirent ensemble leur repas. Comme ils étaient encore à table, et que le temps s'écoulait vite dans leur entretien sur les choses divines, la vierge sacrée adressa cette prière à Benoît: « Je te prie, mon frère, de ne me pas abandonner cette nuit, afin que nous puissions jusqu'au matin parler encore des joies de la vie céleste. » Le saint lui répondit: « Que dis-tu là, ma sœur? Je ne puis en aucune façon passer la nuit hors du monastère. » Dans ce moment, le ciel était si pur qu'il n'y paraissait aucun nuage. La servante de Dieu, ayant entendu le refus de son frère, appuya sur la table ses doigts entrelacés; et, cachant son visage dans ses mains, elle s'adressa au Seigneur tout-puissant. Au moment où elle releva la tête, des éclairs, un violent coup de tonnerre, une pluie à torrents, se déclarèrent tout à coup: au point que ni le vénérable Benoit, ni les frères qui étaient avec lui ne purent mettre le pied hors du lieu où ils étaient.

   La pieuse servante de Dieu, pendant qu'elle avait tenu sa tête appuyée sur ses mains, avait versé sur la table un ruisseau de larmes; il n'en avait pas fallu davantage pour charger de nuages le ciel serein jusqu'à cette heure. Après la prière de la sainte, l'orage ne s'était pas fait longtemps attendre; mais cette prière et les torrents de pluie qu'elle amenait s'étaient si parfaitement rencontrés ensemble, que, au même instant où Scholastique levait sa tête de dessus la table, le tonnerre grondait déjà: en sorte qu'un même instant vit la sainte faire ce mouvement, et la pluie tomber du ciel. L'homme de Dieu, voyant que ces éclairs, ces tonnerres, cette inondation ne lui permettaient plus de rentrer au monastère, en fut contristé, et exhala ainsi ses plaintes: « Que le Dieu tout-puissant te pardonne, ma sœur! Que viens-tu défaire? » Elle répondit: « Je t'ai adressé une demande, et tu n'as pas voulu m'écouter: j'ai eu recours à mon Dieu, et il m'a exaucée. Maintenant sors, si tu peux, laisse-moi, et retourne à ton monastère. » Mais le saint était dans l'impossibilité de sortir de la maison, et lui qui n'avait pas voulu y rester volontairement, demeura contre son gré. Ainsi, les deux saints passèrent la nuit entière dans les veilles, et reprenant leurs pieux entretiens sur la vie spirituelle, ils se rassasièrent à loisir par l'échange des sentiments qu'ils éprouvaient.

   Le lendemain, la vénérable Mère retourna à son monastère, et l'homme de Dieu reprit le chemin de son cloître. Trois jours après, étant dans sa cellule, et ayant élevé ses yeux en haut, il vit l'âme de sa sœur, qui venait de briser les liens du corps, et qui, sous la forme d'une colombe, se dirigeait vers les hauteurs mystérieuses du ciel. Ravi de joie pour la gloire dont elle était entrée en possession, il rendit grâces au Dieu tout-puissant par des hymnes et des cantiques, et annonça aux frères le trépas de Scholastique. Il les envoya aussitôt au lieu qu'elle avait habité, afin qu'ils apportassent le corps au monastère, et qu'il fût déposé dans le tombeau qu'il s'était préparé pour lui-même. Il arriva ainsi que ceux dont l'âme avait toujours été unie en Dieu ne furent point séparés par la mort, leurs corps n'ayant eu qu'un même tombeau.

Dom Prosper Guéranger

 

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

La fête de cette colombe de virginale pureté se trouve déjà dans l’Antiphonaire de la basilique vaticane du XIIe siècle, et doit certainement sa popularité à saint Grégoire le Grand, qui, dans le deuxième Livre des Dialogues, décrit les derniers instants de la sainte avec une candeur charmante. Au ixe siècle, du temps de Léon IV, tandis qu’à Subiaco les héritiers monastiques de la tradition bénédictine dédiaient à sainte Scholastique, sœur du patriarche saint Benoît, leur principal monastère, les Romains ne voulurent pas leur être inférieurs dans la dévotion envers leur sainte concitoyenne, et près de la diaconie de Saint-Vite sur l’Esquilin ils lui érigèrent un temple qui devint par la suite la propriété de l’abbaye de Saint-Érasme sur le Coelius.

Près des Thermes d’Agrippa s’élève encore un oratoire du XVIe siècle, dédié à saint Benoît et à sainte Scholastique.

La messe est celle du Commun des vierges, Dilexísti, sauf la première collecte qui mentionne la colombe, forme sous laquelle saint Benoît vit, de sa tour sur le mont Cassin, l’âme innocente de sa sœur prendre son vol vers le ciel.

Le répons-graduel, tiré du psaume 44, est le suivant : « Dans la splendeur et la gloire avancez et chevauchez pour la vérité et pour la justice, car votre droite vous fera voir des choses merveilleuses. ». La vierge est comparée ici à une guerrière parfaitement armée, qui combat la sainte bataille de la vérité et de la justice. Vérité et justice signifient ici la fidélité à Dieu dans l’accomplissement du vœu de chasteté, raison pour laquelle la vierge, aidée de la grâce divine, est supérieure au monde séducteur, au démon perfide, et même à la faiblesse de son sexe !

Voilà la splendide victoire que le Christ remporte au moyen de la Vierge, son épouse. Le psaume-trait, qui est comme un mystique chant nuptial, est tiré du psaume qui a fourni aussi le répons : « Écoutez, ma fille, regardez, prêtez l’oreille, car le roi s’est épris de votre beauté. Les riches du peuple vous honorent par des présents. Parmi ses bien-aimées, il y a des filles de rois. Après elles sont conduites au Roi les vierges ses amies ; elles se présentent dans la joie et l’allégresse, elles font leur entrée dans le palais du Roi. »

Le verset d’offertoire est emprunté au psaume 44, et il est en partie identique au trait : « Parmi ses bien-aimées sont des filles de rois. La reine siège à ta droite parée de l’or d’Ophir. » Cet or pur, qui orne les vêtements de la reine mystique, symbolise l’intention droite, grâce à laquelle les actions les plus indifférentes et les plus humbles de la vie quotidienne deviennent dignes de la vie éternelle quand elles sont dirigées à la plus grande gloire de Dieu.

Saint Grégoire le Grand, nous racontant le dernier colloque de sainte Scholastique avec son frère, dit qu’à cette occasion elle fut plus puissante que lui sur le cœur de Dieu, car, tandis que saint Benoît tenait pour la discipline et la justice, elle, au contraire, s’inspirait plus haut encore : de l’amour ; plus potuit, quia plus amavit. Retenons cette belle phrase de saint Grégoire, et utilisons-la dans notre vie spirituelle.

 

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

Elle entra au ciel sous la forme d’une colombe.

Sainte Scholastique était la sœur chérie de saint Benoît, le Père des moines. Elle se consacra, comme son frère, au Seigneur, dès sa jeunesse. Nous n’avons que peu de détails sur la vie de cette sainte vierge. Le pape saint Grégoire le Grand nous a laissé, dans le deuxième livre de ses Dialogues, un récit charmant de la dernière entrevue du frère et de la sœur (voir Lectures de Matines, plus haut).

La messe. — La messe est du Commun des vierges Dilexísti . — C’est celle des messes du commun qui présente le plus d’unité, c’est une vraie messe de fiançailles. L’Église est l’Épouse sans tache du Seigneur, et elle se présente sous l’aspect de la vierge sainte que nous fêtons ; celle-ci, de son côté, est notre modèle. Cette image de l’Épouse se retrouve dans toutes les parties de la messe. A l’Introït, nous chantons le cantique nuptial. Notre marche vers l’église est un cortège nuptial, Scholastique marche en avant et nous la suivons. Représentons-nous l’entrée solennelle de l’Évêque se dirigeant, en habits pontificaux, vers l’autel. Pendant ce temps, chantons tout le Ps. 44, le cantique nuptial : le Christ est l’Époux royal, l’Église – Scholastique — est la royale Épouse. Dans l’Épître, tous les fidèles sont considérés comme la fiancée du Christ. Le Christ est un fiancé jaloux, il ne veut partager avec personne la possession de sa fiancée, qui doit lui être présentée comme une vierge pure. — Le chant nuptial se continue à travers les autres parties de la messe. Quand le diacre, dans ses ornements de fête, se rend processionnellement avec le livre l’Évangile (c’est-à-dire le Christ) vers l’ambon, nous avons, de nouveau, devant nos yeux, l’image du cortège nuptial. Puis, vient le chant de l’Évangile, avec la parabole significative des cinq vierges sages (les cinq vierges folles forment seulement une sombre antithèse). Ces vierges sages qui accompagnent l’Époux, nous représentent (les acolytes avec leurs cierges pendant le chant de l’Évangile nous facilitent cette représentation). A l’Offrande, nous allons, comme les vierges sages, à la rencontre de l’Époux. L’autel est le Christ, nos dons, nos lampes remplies d’huile, sont notre don total au divin Époux. Pendant l’offrande, on chante de nouveau le chant nuptial. Ce chant nous permet une nouvelle représentation. L’autel avec son riche antipendium (d’or et de couleurs variées) nous rappelle la royale Épouse, l’Église, que nous entourons au moment de l’Offrande. Au Saint-Sacrifice (à la Consécration), l’Époux divin paraît, et, au moment de la Communion, nous allons de nouveau, comme les vierges sages, « obviam Christo Domino — au-devant du Christ le Seigneur ». « Voici venir l’Époux » (Remarquons que les chants ne prennent tout leur sens qu’en union avec l’Action de la Messe). Nous chantons pour la quatrième fois le cantique nuptial. Rappelons-nous, toute la journée, que notre âme est l’Épouse du Christ et que les paroles de l’Épître retentissent à nos oreilles : « je suis jaloux pour vous de la jalousie de Dieu. »

Sous l’aspect d’une colombe, l’âme innocente de sainte Scholastique s’envola vers le ciel ; puissions-nous, nous aussi, vivre dans l’innocence et parvenir aux joies éternelles.