SAINT FRANÇOIS DE SALES - ÉVÊQUE ET DOCTEUR DE L'ÉGLISE

24 JANVIER

   Voici venir au berceau du doux Fils de Marie l'angélique évêque François de Sales, digne d'y occuper une place distinguée pour la suavité de sa vertu, l'aimable enfance de son cœur, l'humilité et la tendresse de son amour. Il arrive escorté de ses brillantes conquêtes: soixante-douze mille hérétiques soumis à l'Église par l'ascendant de sa charité; un Ordre entier de servantes du Seigneur, conçu dans son amour, réalisé par son génie céleste; tant de milliers d'âmes conquises à la piété par ses enseignements aussi sûrs que miséricordieux, qui lui ont mérité le titre de Docteur.
   Dieu le donna à son Église pour la consoler des blasphèmes de l'hérésie qui allait prêchant que la foi romaine était stérile pour la charité; il plaça ce vrai ministre évangélique en face des âpres sectateurs de Calvin; et l'ardeur de la charité de François de Sales fondit la glace de ces cœurs obstinés. Si vous avez des hérétiques à convaincre, disait le savant cardinal du Perron, vous pouvez me les envoyer; si vous en avez à convertir, adressez-les à M. de Genève.
   François de Sales parut donc, au milieu de son siècle, comme une vivante image du Christ ouvrant ses bras et convoquant les pécheurs à la pénitence, les errants à la vérité, les justes au progrès vers Dieu, tous à la confiance et à l'amour. L'Esprit divin s'était reposé sur lui dans sa force et dans sa douceur: c'est pourquoi, en ces jours où nous avons célébré la descente de cet Esprit sur le Verbe incarné au milieu des eaux du Jourdain, nous ne saurions oublier une relation touchante de notre admirable Pontife avec son divin Chef. Un jour de la Pentecôte, à Annecy, François était debout à l'autel, offrant l'auguste Sacrifice; tout à coup une colombe qu'on avait introduite dans la Cathédrale, effrayée des chants et de la multitude du peuple, après avoir voltigé longtemps, vint, à la grande émotion des fidèles, se reposer sur la tête du saint Évêque: symbole touchant de la douceur de l'amour de François, comme le globe de feu qui parut, au milieu des Mystères sacrés, au-dessus de la tête du grand saint Martin, désignait l'ardeur du feu qui dévorait le cœur de l'Apôtre des Gaules.
   Une autre fois, en la Fête de la Nativité de Notre-Dame, François officiait aux Vêpres, dans la Collégiale d'Annecy. Il était assis sur un trône dont les sculptures représentaient cet Arbre prophétique de Jessé, qui a produit, selon l'oracle d'Isaïe, la branche virginale, d'où est sortie la fleur divine sur laquelle s'est reposé l’Esprit d'amour. On était occupé au chant des Psaumes, lorsque, par une fente du vitrail du chœur, du côté de l'Épître, une colombe pénètre dans l'Église. Après avoir voleté quelque temps, de l'historien, elle vint se poser sur l'épaule du saint Évêque, et de là sur ses genoux, d'où les ministres assistants la prirent. Après les Vêpres, François, jaloux d'écarter de lui l'application favorable que ce symbole inspirait naturellement à son peuple, monta en chaire, et s'empressa d'éloigner toute idée d'une faveur céleste qui lui eût été personnelle, en célébrant Marie qui, pleine de la grâce de l'Esprit-Saint, a mérité d'être appelée la colombe toute belle, en laquelle il n'y a pas une tache.
   Quand on cherche parmi les disciples du Sauveur le type de sainteté qui fut départi à notre admirable Prélat, l'esprit et le cœur ont tout aussitôt nommé Jean, le disciple bien-aimé. François de Sales est comme lui l'Apôtre de la charité; et la simplesse du grand Évangéliste pressant un innocent oiseau dans ses mains vénérables, est la mère de cette gracieuse innocence qui reposait au cœur de l'Évêque de Genève. Jean, par sa seule vue, par le seul accent de sa voix, faisait aimer Jésus; et les contemporains de François disaient: O Dieu! si telle est la bonté de l’Évêque de Genève, quelle ne doit pas être la vôtre!
   Ce rapport merveilleux entre l'ami du Christ et François de Sales se révéla encore au moment suprême, lorsque le jour même de saint Jean, après avoir célébré la sainte Messe et communié de sa main ses chères filles de la Visitation, il sentit cette défaillance qui devait amener pour son âme la délivrance des liens du corps. On s'empressa autour de lui; mais déjà sa conversation n'était plus que dans le ciel. Ce fut le lendemain qu'il s'envola vers sa patrie, en la fête des saints Innocents, au milieu desquels il avait droit de reposer éternellement, pour la candeur et la simplicité de son âme. La place de François de Sales, sur le Cycle, était donc marquée en la compagnie de l'Ami du Sauveur, et de ces tendres victimes que l'Église compare à un gracieux bouquet d'innocentes roses; et s'il a été impossible de placer sa mémoire à l'anniversaire de sa sortie de ce monde, parce que ces deux jours sont occupés par la solennité de saint Jean et celle des Enfants de Bethléem, du moins la sainte Église a-t-elle pu encore placer sa fête dans l'intervalle des quarante jours consacrés à honorer la Naissance de l'Emmanuel.
   C'est donc à cet amant du Roi nouveau-né qu'il appartient de nous révéler les charmes de l'Enfant de la crèche. Nous chercherons la pensée de son cœur, pour en nourrir le nôtre, dans son admirable correspondance, où il rend avec tant de suavité les sentiments pieux qui débordaient de son cœur, en présence des mystères que nous célébrons.
Vers la fin de l'Avent 1619, il écrivait à une religieuse de la Visitation, pour l'engager à préparer son cœur à la venue de l'Époux céleste: « Ma très chère fille, voilà le tant petit aimable Jésus qui va naître en notre commémoration, ces fêtes-ci prochaines; et puisqu'il naît pour nous visiter de la part de son Père éternel, et que les pasteurs et les rois le viendront réciproquement visiter au berceau, je crois, qu'il est le Père et l'Enfant tout ensemble de cette Sainte Marie de la Visitation.
   « Or sus, caressez-le bien; faites-lui bien l'hospitalité avec toutes nos sœurs, chantez-lui bien de beaux cantiques, et surtout adorez-le bien fortement et doucement, et en lui sa pauvreté, son humilité, son obéissance et sa douceur, à l'imitation de sa très sainte Mère et de saint Joseph; et prenez-lui une de ses chères larmes, douce rosée du ciel, et la mettez sur votre cœur, afin qu'il n'ait jamais de tristesse que celle qui réjouit ce doux Enfant; et quand vous lui recommanderez votre âme, recommandez-lui quant et quant la mienne, qui est certes toute vôtre.
   « Je salue chèrement la chère troupe de nos sœurs, que je regarde comme de simples bergères veillant sur leurs troupeaux, c'est-à-dire sur leurs affections; qui, averties par l'Ange, vont faire l'hommage au divin Enfant, et pour gage de leur éternelle servitude, lui offrent le plus beau de leurs agneaux, qui est leur amour, sans réserve ni exception. »
La veille de la Naissance du Sauveur, saisi par avance des joies de la nuit qui va donner son Rédempteur à la terre, François s'épanche déjà avec sa fille de prédilection, Jeanne-Françoise de Chantal, et la convie à goûter avec lui les charmes de l'Enfant divin et à profiter de sa visite.
   « Le grand petit Enfant de Bethléem soit à jamais les délices et les amours de notre cœur, ma très chère mère, ma fille! Hélas! comme il est beau, ce pauvre petit poupon! Il me semble que je vois Salomon sur son grand trône d'ivoire, doré et ouvragé, qui n'eut point d'égal es royaumes, comme dit l'Écriture: et ce roi n'eut point de pair en gloire ni en magnificence. Mais j'aime cent fois mieux voir le cher enfançon en la crèche, que de voir tous les rois en leurs trônes.
   « Mais si je le vois sur les genoux de sa sacrée Mère ou entre ses bras, ayant sa petite bouchette, comme un petit bouton de rose, attachée au lis de ses saintes mamelles, ô Dieu! je le trouve plus magnifique en ce trône, non seulement que Salomon dans le sien d'ivoire, mais que jamais même ce Fils éternel du Père ne le fut au ciel; car si bien le ciel a plus d'être visible, la Sainte Vierge a plus de perfections invisibles; et une goutte du lait qui flue virginalement de ses sacrés sucherons, vaut mieux que toutes les affluences des cieux. Le grand saint Joseph nous fasse part de sa consolation, la souveraine Mère de son amour: et l'Enfant veuille à jamais répandre dans nos cœurs ses mérites!
   « Je vous prie, reposez le plus doucement que vous pourrez auprès du petit céleste enfant: il ne laissera pas d'aimer votre cœur bien-aimé tel que vous l'avez, sans tendreté et sans sentiment. Voyez-vous pas qu'il reçoit l'haleine de ce gros bœuf et de cet âne qui n'ont sentiment ni mouvement quelconque? Comment ne recevra-t-il pas les aspirations de notre pauvre cœur, lequel, quoique non tendrement pour le présent, solidement néanmoins et fermement, se sacrifie à ses pieds pour être à jamais serviteur inviolable du sien, et de celui de sa sainte Mère, et du grand gouverneur du petit Roi? »
   La nuit sacrée s'est écoulée, apportant avec elle la Paix aux hommes de bonne volonté; François cherche encore le cœur de la fille que Jésus lui a confiée, pour y verser toutes les douceurs qu'il a goûtées dans la contemplation du mystère d'amour.
   « Hé, vrai Jésus! que cette nuit est douce, ma très chère fille! Les cieux, chante l'Église, distillent de toutes parts le miel; et moi, je pense que ces divins Anges, qui résonnent en l'air leur admirable cantique, viennent pour recueillir ce miel céleste sur les lis où il se trouve, sur la poitrine de la très douce Vierge et de saint Joseph. J'ai peur, ma chère fille, que ces divins Esprits ne se méprennent entre le lait qui sort des mamelles virginales, et le miel du ciel qui est abouché sur ces mamelles. Quelle douceur de voir le miel sucer le lait!
   « Mais je vous prie, ma chère fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons Anges, de vous et de moi, se trouvèrent en la chère troupe de musiciens célestes qui chantèrent en cette nuit? O Dieu! s'il leur plaisait d'entonner derechef, aux oreilles de notre cœur, cette même céleste chanson, quelle joie! quelle jubilation! Je les en supplie, afin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux cœurs de bonne volonté.
   « Revenant donc d'entre les sacrés Mystères, je donne ainsi le bonjour à ma chère fille: car je crois que les pasteurs encore, après avoir adoré le céleste poupon que le ciel même leur avait annoncé, se reposèrent un peu. Mais, ô Dieu! Que de suavité, comme je pense, à leur sommeil! Il leur était avis qu'ils oyaient toujours la sacrée mélodie des Anges qui les avaient salués si excellemment de leur cantique, et qu'ils voyaient toujours le cher Enfant et la Mère qu'ils avaient visités.
   « Que donnerions-nous à notre petit Roi, que nous n'ayons reçu de lui et de sa divine libérait lité? Or sus, je lui donnerai donc, à la sainte Grand'Messe, la très uniquement fille bien-aimée qu'il m'a donnée. Hé! Sauveur de nos âmes, rendez-la toute d'or en charité, toute de myrrhe en mortification, toute d'encens en oraison; et puis recevez-la entre les bras de votre sainte protection; et que votre cœur dise au sien: Je suis ton salut aux siècles des siècles. » Parlant ailleurs à une autre épouse du Christ, il l'exhorte, en ces termes, à se nourrir de la douceur du nouveau-né:
   « Que jamais votre âme, comme une abeille mystique, n'abandonne ce cher petit Roi, et qu'elle fasse son miel autour de lui, en lui, et pour lui; et qu'elle le prenne sur lui, duquel les lèvres sont toutes détrempées de grâce, et sur lesquelles, bien plus heureusement que l'on ne vit sur celles de saint Ambroise, les saintes avettes, amassées en essaim, font leurs doux et gracieux ouvrages. »
Mais il faut bien s'arrêter; écoutons cependant encore une dernière fois notre séraphique Pontife nous raconter les charmes du très saint Nom de Jésus, imposé au Sauveur dans les douleurs de la Circoncision; il écrit encore à sa sainte coopératrice:
   « O Jésus, remplissez notre cœur du baume sacré de votre Nom divin, afin que la suavité de son odeur se dilate en tous nos sens, et se répande en toutes nos actions. Mais pour rendre ce cœur capable de recevoir une si douce liqueur, circoncisez-le, et retranchez d'icelui tout ce qui peut être désagréable à vos saints yeux. O Nom glorieux! que la bouche du Père céleste a nommé éternellement, soyez à jamais la superscription de notre âme, afin que, comme vous êtes Sauveur, elle soit éternellement sauvée! O Vierge sainte, qui, la première de toute la nature humaine, avez prononcé ce Nom de salut, inspirez-nous la façon de le prononcer ainsi qu'il est convenable, afin que tout respire en nous le salut que votre ventre nous a porté. « Ma très chère fille, il fallait écrire la première lettre de cette année à Notre-Seigneur et à Notre-Dame; et voici la seconde par laquelle, ô ma fille, je vous donne le bon an, et dédie notre cœur à la divine bonté. Que puissions-nous tellement vivre cette année, qu'elle nous serve de fondement pour l'année éternelle! Du moins ce matin, sur le réveil, j'ai crié à vos oreilles: vive Jésus! et eusse bien voulu épandre cette huile sacrée sur toute la face de la terre.
   « Quand un baume est bien fermé dans une fiole, nul ne sait discerner quelle liqueur c'est, sinon celui qui l'y a mise; mais quand on a ouvert la fiole, et qu'on en a répandu quelques gouttes, chacun dit: C'est du baume. Ma chère fille, notre cher petit Jésus était tout plein du baume de salut; mais on ne le connaissait pas jusqu'à tant qu'avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair; et lors on a connu qu'il est tout baume et huile répandue, et que c'est le baume de salut. C'est pourquoi saint Joseph et Notre-Dame, puis tout le voisinage, commencent à crier: Jésus, qui signifie Sauveur.
   « Plaise à ce divin poupon de tremper nos cœurs dans son sang, et les parfumer de son saint Nom, afin que les roses des bons désirs que nous avons conçus, soient toutes pourprées de sa teinture, et toutes odorantes de son onguent! »
   Lisons maintenant le court récit de la vie de François de Sales, dans les Offices de l'Église.
   François, né de parents nobles et vertueux, au château de Sales, d'où sa famille a reçu son surnom, fit présager dès ses plus tendres années, par l'innocence et la gravité de ses mœurs, quelle serait un jour sa sainteté. Dans sa jeunesse, il fut instruit dans les sciences libérales; bientôt après, il se rendit à Paris, où il s'adonna à la Philosophie et à la Théologie; et, afin que rien ne manquât à la culture de son esprit, il reçut, à Padoue, avec de grands applaudissements, le bonnet de docteur en l'un et l'autre Droit. Il renouvela, dans l'église de Lorette, le vœu de perpétuelle virginité qu'il avait fait à Paris; et jamais ni les artifices du démon, ni les attraits des sens, ne purent le détourner de la résolution qu'il avait prise au sujet de cette vertu.
   Il refusa une grande charge dans le Sénat de Savoie, et s'engagea dans la cléricature. Ordonné prêtre et fait Prévôt de l'Église de Genève, il remplit si parfaitement les devoirs de cette charge, que Granier, son Évêque, le destina pour travailler, par la prédication de la parole de Dieu, à la conversion des Calvinistes du Chablais, et autres lieux voisins de Genève. Ayant reçu cet office avec allégresse, il y eut à souffrir les plus rudes tribulations de la part des hérétiques, qui souvent le cherchèrent pour lui donner la mort, le poursuivirent de différentes calomnies, et lui dressèrent grand nombre d'embûches. Mais, au milieu de tant de périls et de combats, son inébranlable constance brilla toujours; et, aidé du secours de Dieu, on rapporte qu'il ramena à la foi catholique soixante-douze mille hérétiques, parmi lesquels on en compte plusieurs qui étaient distingués parleur noblesse et leur science.
   Après la mort de Granier, qui l'avait choisi pour coadjuteur, il lut consacré évêque, et répandit de tous côtés les rayons de sa sainteté, par son zèle pour la discipline ecclésiastique, son amour pour la paix, sa miséricorde envers les pauvres, et par toute sorte de vertus. Pour l'accroissement du culte divin, il institua un nouvel Ordre de religieuses sous le nom de la Visitation Sainte-Marie, et sous la règle de saint Augustin, à laquelle il ajouta des Constitutions admirables par la sagesse, la discrétion et la douceur. Il a éclairé l'Église par des écrits remplis d'une doctrine céleste, dans lesquels il enseigne un chemin sûr et facile pour arriver à la perfection chrétienne. Enfin, âgé de cinquante-cinq ans, comme il retournait de France à Annecy, après avoir célébré la Messe à Lyon, le jour de Saint-Jean l'Évangéliste, il fut atteint d'une maladie mortelle; et, le jour suivant, il monta au ciel, l'an de notre Seigneur mil six cent vingt-deux. On transporta son corps à Annecy, et on l'ensevelit honorablement dans l'église des religieuses dudit Ordre. Il éclata aussitôt par des miracles; le Pape Alexandre VII, après en avoir constaté la vérité selon les règles, le mit au nombre des Saints, en assignant, pour sa fête, le vingt-neuvième jour de janvier; et le Souverain Pontife Pie IX, de l'avis de la Congrégation des Sacrés Rites, a déclaré Docteur de l'Église universelle.
   Le Pape Alexandre VII voulut composer lui-même la Collecte pour l'Office et la Messe du saint Prélat. Récitons-la en union avec l'Église.

Dom Prosper Guéranger