SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

28 JANVIER

   Saluons aujourd'hui l'un des plus sublimes et des plus lumineux interprètes de la Vérité divine. L'Église l'a produit bien des siècles après l'âge des Apôtres, longtemps après que la parole des Ambroise, des Augustin, des Jérôme et des Grégoire, avait cessé de retentir; mais Thomas a prouvé que le sein de la Mère commune était toujours fécond; et celle-ci, dans sa joie de l'avoir mis au jour, l'a nommé le Docteur Angélique. C'est donc parmi les chœurs des Anges que nos yeux doivent chercher Thomas; homme par nature, sa noble et pure intelligence l'associe aux Chérubins du ciel; de même que la tendresse ineffable de Bonaventure, son émule et son ami, a introduit ce merveilleux disciple de François dans les rangs des Séraphins. La gloire de Thomas d'Aquin est celle de l'humanité, dont il est un des plus grands génies; celle de l'Église, dont ses écrits ont exposé la doctrine avec une lucidité et une précision qu'aucun Docteur n'avait encore atteintes; celle du Christ lui-même, qui daigna de sa bouche divine féliciter cet homme si profond et si simple d'avoir expliqué dignement ses mystères aux hommes. En ces jours qui doivent nous ramener à Dieu, le plus grand besoin de nos âmes est de le connaître, comme notre plus grand malheur a été de ne l'avoir pas assez connu. Demandons à saint Thomas « cette lumière sans tache qui convertit les âmes, cette doctrine qui donne la sagesse même aux enfants, qui réjouit le cœur et éclaire les yeux (Psalm. XVIII) ». Nous verrons alors la vanité de tout ce qui est hors de Dieu, la justice de ses préceptes, la malice de nos infractions, la bonté infinie qui accueillera notre repentir.
   Lisons maintenant quelques-uns des titres du Docteur Angélique à l'admiration et à la confiance des fidèles.
   Admirable ornement du monde chrétien et lumière de l'Église, le bienheureux Thomas naquit de Landolphe, comte d'Aquin, et de Théodora de Naples, tous deux de noble extraction. Il montra, encore au berceau, quelle devait être l'ardeur de sa dévotion envers la Mère de Dieu; car ayant trouvé un papier sur lequel on avait écrit la Salutation angélique, il le retint dans sa main fermée malgré les efforts de sa nourrice, et sa mère l'ayant arraché de force, il le redemanda par pleurs et par gestes, jusqu'à ce qu'on le lui rendît, ce qui étant fait, il l'avala. Il fut confié à l'âge de cinq ans aux soins des moines Bénédictins du Mont-Cassin. De là, il fut envoyé à Naples pour faire ses études; et, étant encore adolescent, il entra dans l'Ordre des Frères-Prêcheurs. Cette résolution ayant excité le mécontentement de sa mère et de ses frères, on le fit partir pour Paris. Durant le voyage, il fut enlevé par ses frères qui l'entraînèrent dans le château-fort de Saint-Jean. On s'y prit de diverses manières pour le détourner de sa sainte résolution, jusqu'à envoyer près de lui une femme de mauvaise vie, afin d'ébranler sa constance. Thomas la mit en fuite avec un tison. Après cette victoire le saint jeune homme, s'étant mis à genoux devant une croix, fut saisi d'un sommeil durant lequel il sentit ceindre ses reins par les Anges; et, depuis ce temps, il fut exempt des révoltes de la chair. Ses sœurs étaient venues aussi au château dans l'intention de le détourner de son pieux dessein; il leur persuada de mépriser les embarras du siècle, et d'embrasser les exercices d'une vie toute céleste.
   On l'aida à s'échapper du château par une fenêtre, et on le ramena à Naples. Ce fut de là que Frère Jean le Teutonique, Maître général de l'Ordre des Frères-Prêcheurs, le conduisit à Rome, puis à Paris, où il étudia la philosophie et la théologie sous Albert le  Grand. Élevé au degré de Docteur dès l'âge de vingt-cinq ans, il expliqua publiquement, et avec une grande réputation, les écrits des philosophes et des théologiens. Jamais il ne se livra à la lecture ou à la composition sans avoir prié. Pour obtenir l'intelligence des passages difficiles de l'Écriture sainte, il joignait le jeûne à la prière. Il avait même coutume de dire à Frère Réginald, son compagnon, que ce qu'il savait, il l'avait moins acquis par son étude et son travail qu'il ne l'avait reçu du Ciel. Un jour qu'il priait avec ardeur à Naples devant un crucifix, il entendit cette voix: « Tu as bien écrit de moi, Thomas: quelle récompense en désires-tu recevoir?» A quoi il répondit: « Point d'autre que vous-même, Seigneur.  »
   Il lisait assidûment les traités des Pères, et il n'y avait pas de genre de livres qu'il n'eût étudié avec soin. Ses écrits sont d'une telle importance par leur nombre, leur variété et la facilité avec laquelle les choses difficiles y sont expliquées, que sa doctrine abondante et pure, merveilleusement conforme aux vérités révélées, est très propre à détruire les erreurs de tous les temps. Appelé à Rome par le Souverain Pontife Urbain IV, il composa par son ordre l'office de la fête du Corps du Seigneur. Il refusa les dignités qu'on lui Offrit, même l'archevêché de Naples qui lui était proposé par Clément IV. Il prêchait constamment la parole de Dieu; en s'acquittant de cette fonction, un des jours de l'Octave de Pâques, dans l'Église de Saint- Pierre, il guérit d'une perte de sang une femme qui toucha le bas de sa robe. Comme il se rendait au Concile de Lyon par ordre du Bienheureux Grégoire X, il tomba malade dans l'abbaye de Fosse-Neuve, où, malgré son infirmité, il donna l'explication du Cantique des cantiques. Ce fut là qu'il mourut, âgé de cinquante ans, l'an du salut mil deux cent soixante-quatorze, aux nones de mars II éclata, même après sa mort, par des miracles, lesquels étant prouvés, Jean XXII le mit au nombre des Saints, en mil trois cent vingt-trois; son corps fut ensuite transporté à Toulouse par l'ordre du Bienheureux Urbain V. Comparé aux esprits angéliques non moins pour son innocence que pour son génie, il a mérité le titre de Docteur Angélique, qui lui fut confirmé par l'autorité de saint Pie V. Enfin Léon XIII, agréant avec grande joie les prières et les vœux de presque tous les évêques du monde catholique: pour éloigner le fléau de tant de systèmes, philosophiques principalement, qui s'écartent de la vérité, pour le progrès des sciences et la commune utilité du genre humain, de l'avis de la Congrégation des Rites Sacrés, l'a par Lettres Apostoliques déclaré et institué céleste Patron de toutes les Écoles Catholiques.

Dom Prosper Guéranger