12 septembre
Et le nom de la Vierge était Marie (LUC. I, 27). Disons aussi quelque chose de ce nom qui signifie étoile de la mer; il convient pleinement à la Mère de Dieu. Comme l'astre émet son rayon, ainsi la Vierge enfanta son fils; ni le rayon n'amoindrit la clarté de l'étoile, ni l'Enfant la virginité de la Mère. Noble étoile qui s'est levée de Jacob, et dont le rayon illumine le monde, resplendissant aux cieux, pénétrant l'abîme, parcourant toute terre; il échauffe plus les âmes que les corps, il dessèche le vice et féconde la vertu. Oui, donc; Marie est bien l'astre éclatant et sans pareil qu'il fallait au-dessus de la mer immense, étincelante comme elle l'est de mérites, nous éclairant des exemples de sa vie.
« Ô qui que vous soyez qui, dans le flux et reflux de ce siècle, avez conscience de marcher moins sur la terre ferme qu'au milieu des tempêtes et des tourbillons, ne détachez pas les yeux de l'astre splendide si vous ne voulez être englouti par l'ouragan. Si s'élève la bourrasque des tentations, si se dressent les écueils des tribulations, regardez l'étoile, appelez Marie. Si vous êtes ballotté par les flots de la superbe ou de l'ambition, si par ceux de la calomnie ou de la jalousie, regardez l'étoile, appelez Marie. Si la colère, ou l'avarice, ou l'attrait de la chair viennent à soulever la nef de l'âme, tournez vers Marie les yeux. Troublé de l'énormité de vos crimes, honteux de vous-même, tremblant à l'approche du terrible jugement, sentez-vous se creuser sous vos pas le gouffre de la tristesse ou l'abîme du désespoir? Pensez à Marie. Dans les dangers, dans l'angoisse et le doute, pensez à Marie, invoquez Marie.
« Qu'elle soit sur vos lèvres sans cesse, qu'elle soit toujours en votre cœur; imitez-la, pour vous assurer son suffrage. La suivant, vous ne déviez pas; la priant, vous ne désespérez pas; pensant à elle, vous ne sauriez-vous égarer. Soutenu par elle, vous ne tombez pas; couvert par elle, vous ne craignez pas; guidé par elle, nulle lassitude à redouter: celui qu'elle favorise arrive au but sûrement. Et ainsi expérimentez-vous en vous-même le bien-fondé de cette parole que le nom de la Vierge était Marie (Leçons du deuxième Nocturne de la fête, ex Bernard. Homil. II super Missus est). »
Ainsi s'exprime aujourd'hui pour l'Église le dévot saint Bernard. Mais l'explication si pieuse qu'il donne du très saint nom de la Mère de Dieu, n'épuise pas le sens de ce nom béni; complétant l'Abbé de Clairvaux, saint Pierre Chrysologue dit de même dans l'Office de la nuit: « Marie en hébreu signifie Dame ou Souveraine; en effet, l'autorité de son Fils, Dominateur du monde, la constitue Souveraine, de fait et de nom, dès sa naissance (Petr. Chrys. Sermo CXLII, de Annuntiat. Homélie du troisième Nocturne). »
Notre Dame: tel est bien le titre qui lui convient en toutes manières, comme celui de Notre Seigneur à son Fils; base doctrinale de ce culte d’hyperdulie dont les honneurs sont pour elle seule, au-dessous de ce Fils qu'elle adore avec nous, au-dessus des serviteurs que l'angélique et l'humaine natures ont pour fin de donner au Dieu dont elle est la Mère. Au nom de Jésus tout genou fléchit (Philipp. II, 10), au nom de Marie toute tête s'incline; et bien que le premier soit le seul dans lequel nous puissions être sauvés (Act. IV, 12), le Fils ne souffrant pas d'aller jamais sans la Mère, ni le ciel ne sépare leurs deux noms dans ses chants, ni la terre en sa confiance, ni l'enfer dans son épouvante et sa haine.
Il était donc dans l'ordre de la Providence que le culte spécial de l'adorable nom de Jésus, dont Bernardin de Sienne fut au XV° siècle l'apôtre, entraînât comme simultanément celui du nom de la Vierge très sainte. En 1513, une église d'Espagne, celle de Cuenca, célébrait la première, avec approbation du Siège apostolique, une fête particulière en l'honneur de ce dernier, alors que les instances de l'Ordre de saint François n'avaient point encore obtenu privilège semblable en ce qui concernait le nom du Sauveur: la mémoire de ce nom sacré incluse dans la solennité de la Circoncision, au jour où il fut donné par l'ordre du ciel, semblait suffire à la prudente réserve des Pontifes romains. Ainsi, et pour le même motif, en fut-il de nouveau, lorsque les fêtes spéciales des deux noms augustes passèrent du calendrier des églises particulières à celui de l'Église universelle: l'institution définitive de la fête du Très Saint Nom de Marie remonte à l'année 1683, celle de la solennité du Très Saint Nom de Jésus à l'année 1721.
Or, combien Notre Dame justifie son beau nom en participant à l'empire effectif, à la principauté militante du Roi des rois, c'est ce qui ressort des circonstances auxquelles nous devons l'allégresse de ce jour; c'est ce qu'attestent et la ville de Vienne sauvée du Croissant contre toute espérance, et le Vénérable Innocent XI faisant de cette fête le monument de la reconnaissance universelle pour la libératrice de l'Occident. Mais il convient de laisser, sinon le récit, du moins une mention plus explicite de la glorieuse délivrance au douze septembre, dont elle fut l'honneur.
Dom Prosper Guéranger