L'EXALTATION DE LA SAINTE CROIX

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14 septembre

La vénération de la Sainte Croix, le 14 septembre, se rattache aux solennités de la dédicace de la basilique de la Résurrection, érigée sur le tombeau du Christ, en 335. Le Christ a offert sur la Croix son sacrifice pour l'expiation des péchés de la multitude ; la Croix est pour le peuple chrétien le signe de l'espérance du Royaume, que le peuple juif célèbre lors de la fête des Tentes. C'est dire de quelle lumière brille la Croix glorieuse de Jésus : objet de mépris, la Croix est devenue « notre fierté ». Si l'arbre planté au paradis originel a produit pour Adam un fruit de mort, l'arbre de la Croix a porté pour nous un fruit de vie, le Christ, « en qui nous avons le salut et la résurrection ».

Sous le règne de l'empereur Héraclius Ier, les Perses s'emparèrent de Jérusalem et y enlevèrent la principale partie de la vraie Croix de Notre-Seigneur, que sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, y avait laissée. Héraclius résolut de reconquérir cet objet précieux, nouvelle Arche d'alliance du nouveau peuple de Dieu. Avant de quitter Constantinople, il vint à l'église, les pieds chaussés de noir, en esprit de pénitence ; il se prosterna devant l'autel et pria Dieu de seconder son courage ; enfin il emporta avec lui une image miraculeuse du Sauveur, décidé à combattre avec elle jusqu'à la mort.

Le Ciel aida sensiblement le vaillant empereur, car son armée courut de victoire en victoire ; une des conditions du traité de paix fut la reddition de la Croix de Notre-Seigneur dans le même état où elle avait été prise. Héraclius, à son retour, fut reçu à Constantinople par les acclamations du peuple ; on alla au-devant de lui avec des rameaux d'oliviers et des flambeaux, et la vraie Croix fut honorée, à cette occasion, d'un magnifique triomphe.

L'empereur lui-même, en action de grâce, voulut retourner à Jérusalem ce bois sacré. Quand il fut arrivé dans la Cité Sainte, il chargea la relique précieuse sur ses épaules ; mais lorsqu'il fut à la porte qui mène au Calvaire, il lui fut impossible d'avancer, à son grand étonnement et à la stupéfaction de tout : « Prenez garde, ô empereur ! lui dit alors le patriarche Zacharie ; sans doute le vêtement impérial que vous portez n'est pas assez conforme à l'état pauvre et humilié de Jésus portant sa Croix. » Héraclius, touché de ces paroles, quitta ses ornements impériaux, ôta ses chaussures, et, vêtu en pauvre, il put gravir sans difficulté jusqu'au Calvaire et y déposer son glorieux fardeau.

Pour donner plus d'éclat à cette marche triomphale, Dieu permit que plusieurs miracles fussent opérés par la vertu de ce bois sacré. À la suite de ces événements fut instituée la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, pour en perpétuer le souvenir.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950.

   Par vous la Croix sainte est honorée et adorée dans toute la terre (Cyrill. Al. Hom. IV, Ephesi habita). » Ainsi, au lendemain du jour où fut vengée à Éphèse la divine maternité, Cyrille d'Alexandrie saluait Notre-Dame. L'éternelle Sagesse a voulu que l'Octave de la naissance de Marie n'eût pas de plus bel ornement que celui qu'elle reçoit aujourd'hui de cette fête du triomphe de la Croix. C'est qu'en effet, la Croix est l'étendard de ces milices de Dieu dont Marie est la Reine; c'est par la Croix qu'elle brise la tête du serpent maudit, et remporte contre l'erreur et les ennemis du nom chrétien tant de victoires.
   Tu vaincras par ce signe. Les siècles où Satan avait eu loisir d'essayer contre l'Église l'épreuve des tortures, touchaient à leur fin; par l'édit de Sardique rendant aux chrétiens la liberté, Galère mourant venait d'avouer l'impuissance de l'enfer. Au Christ maintenant de prendre l'offensive; à sa Croix de revendiquer l'empire. L'année 311 incline vers son terme. Au pied des Alpes, une armée romaine s'apprête à passer des Gaules en Italie; provoqué par Maxence, son rival politique, Constantin qui la commande ne songe qu'à venger son injure. Mais ses soldats, sans le savoir plus que leur chef, sont d'ores et déjà dévolus au vrai Dieu des batailles: le Fils du Très-Haut, devenu comme homme au sein de Marie Roi de ce monde, va se révéler à son premier lieutenant et du même coup montrer à sa première armée l'étendard qui doit la guider à l'ennemi. Au-dessus des légions, dans un ciel sans nuage, la Croix proscrite trois siècles a soudain resplendi; les yeux de tous la voient, faisant du soleil qui penche vers l'horizon son piédestal, avec ces mots en traits de feu qui l'entourent: IN HOC VINCE,Par cela sois vainqueur! Quelques mois plus tard, 27 octobre 312, du haut des sept collines tous les faux dieux dans la stupeur contemplaient, débouchant sur la voie Flaminienne, au-delà du pont Milvius, le labarum au monogramme sacré devenu l'enseigne des armées de l'empire, en attendant la décisive bataille qui, le lendemain, ouvrait au Christ seul Dieu, à jamais Roi, les portes de la Ville éternelle.
   « Salut, ô Croix, redoutable aux ennemis, boulevard de l'Église, force des princes; salut dans ton triomphe! La terre cachait encore le bois sacré, et il se montrait dans le ciel, annonçant la victoire; et un empereur, devenu chrétien, l'arrachait aux entrailles de la terre (Ap. Graec. Menae in profesto Exaltationis). » Ainsi dès hier chantait l'Église grecque, préludant aux joies de ce jour; c'est pour l'Orient, qui ne connaît pas notre fête spéciale du trois Mai, tout l'objet de la solennité présente, à savoir: la défaite des idoles par le signe du salut manifesté à Constantin et à son armée, la découverte de la sainte Croix quelques années après dans la citerne du Golgotha.
Mais une autre solennité, dont la mémoire annuelle demeure fixée par le Ménologe au treize Septembre, vint en l'année 335 compléter heureusement les souvenirs attachés à ce jour; ce fut la dédicace des sanctuaires élevés par Constantin sur le Calvaire et le Saint Sépulcre, à la suite des découvertes sans prix qu'avait dirigées la sagace piété de sa mère sainte Hélène. Dans le siècle même de ces événements, une pieuse voyageuse, sainte Silvia, croit-on, la sœur de Rufin ministre de Théodose et d'Arcadius, atteste que l'anniversaire de cette dédicace se célébrait avec les honneurs des fêtes de Pâques et de l'Épiphanie; on y voyait un concours immense d'évêques et de clercs, de moines et de séculiers de tout sexe et de toute province: et la raison en est, dit-elle, que la Croix fut trouvée ce jour-là; motif qui fit choisir ledit jour pour celui de la consécration primitive, afin qu'une même date réunît l'allégresse et de cette consécration et de ce souvenir (Peregrinatio Silviae, in fine).
   Pour n'avoir point eu présent à la pensée ce voisinage immédiat de la Dédicace de l'Anastasie, ou Église de la Résurrection, précédant la fête de la sainte Croix, plusieurs n'ont pas compris le discours prononcé en cette fête, deux siècles et demi après Silvia, parle saint patriarche de Jérusalem, Sophronius: « C'est le jour de la Croix; qui ne tressaillirait? c'est le triomphe de la Résurrection; qui ne serait dans la joie? Jadis, c'était la Croix qui marchait la première; maintenant, la Résurrection se fait l'introductrice de la Croix. Résurrection et Croix: trophées de notre salut (Sophron. in Exaltat, venerandae Crucis)! » Et le Pontife se complaisait à développer les instructions qui résultaient d'un pareil rapprochement.
   C'était, semble-t-il, le temps où l'affinité des deux grands mystères amenait en quelque manière notre Occident à les rapprocher de même sorte; sans abandonner la mémoire de la Croix au présent jour, la piété des Églises latines introduisait dans les splendeurs du Temps pascal une première fête de l'instrument du salut, détachant à cette fin du quatorze Septembre le souvenir de l'Invention du bois rédempteur. Par une heureuse compensation, la solennité présente voyait alors son caractère de triomphe puiser un éclat nouveau dans les événements contemporains qui font, ainsi qu'on va le voir, l'objet principal des lectures historiques de ce jour en la Liturgie Romaine.
   Un siècle auparavant, saint Benoît fixait à cette date de l'année le point de départ de la carrière de pénitence connue sous le nom de Carême monastique (S. P. Benedict. Reg. XLI), et qui s'étend jusqu'à l'ouverture de la période quadragésimale proprement dite, où l'armée entière des chrétiens rejoint les phalanges du cloître dans le labeur de l'abstinence et du jeûne. « La Croix se rappelle à notre souvenir: quel homme, dit saint Sophronius, ne se crucifiera pas lui-même? L'adorateur sincère du bois sacré est celui qui soutient son culte de ses œuvres (Sophron. Ubisupra). »
   Lisons la Légende ci-dessus annoncée.
   Sur la fin de l'empire de Phocas, Chosroès, roi des Perses, ayant occupé l'Égypte et l'Afrique, s'empara aussi de Jérusalem où il massacra des milliers de chrétiens. La Croix du Seigneur, dont sainte Hélène avait enrichi le Calvaire, fut par lui emportée en Perse. Héraclius cependant succédait à Phocas. Réduit aux dernières extrémités par les calamités de la guerre, il demandait la paix, sans pouvoir, aux plus dures conditions, l'obtenir de Chosroès qu'enflaient ses victoires. C'est pourquoi, s'absorbant dans le jeûne et la prière, il se tourne vers Dieu, implorant secours en son péril extrême; avis lui est donné du ciel de rassembler des troupes; il les mène à l'ennemi, et défait trois généraux de Chosroès avec leurs armées.
   Abattu par ces revers, et fuyant vers le Tigre qu'il s'apprête à passer, Chosroès associe au trône son fils Médarsès. Mais Siroès l'aîné, furieux de l'injure, dresse des embûches à son père et à son frère, les arrête dans leur fuite et les tue peu après; ce qu'étant accompli, il obtint d'être reconnu roi par Héraclius, sous certaines clauses dont la première portait restitution de la Croix du Seigneur. Quatorze ans après qu'elle était tombée au pouvoir des Pères, la Croix fut donc reconquise; Héraclius, venant à Jérusalem, la reporta en grande pompe sur ses propres épaules à la montagne où le Sauveur l'avait portée.
   A cette occasion, eut lieu un insigne miracle bien digne de mémoire. Car Heraclius, couvert comme il l'était d'ornements d'or et de pierreries, ne put franchir la porte qui conduisait au Calvaire; plus ses efforts pour avancer étaient grands, plus il semblait retenu sur place. D'où stupeur d'Héraclius et de la multitude. Mais l'évêque de Jérusalem, Zacharie , prenant la parole: Considérez, dit-il, empereur, que cette parure de triomphe, en portant la Croix, ne rappelle pas assez peut-être la pauvreté et l'humilité de Jésus-Christ. Heraclius alors, dépouillant ses habits luxueux, nu-pieds, et vêtu comme un homme du peuple, fit sans difficulté le reste de la route, et replaça la Croix au Calvaire, dans le même lieu d'où les Perses l'avaient enlevée. La fête de l'Exaltation de la sainte Croix, qui se célébrait tous les ans en ce jour, acquit dès lors un éclat nouveau, en mémoire de ce que cette Croix sainte fut de la sorte rétablie par Heraclius à l'endroit où on l'avait d'abord dressée pour le Sauveur.
   La victoire ainsi consignée dans les fastes de l'Église ne fut pas, ô Croix, votre dernier triomphe; et les Perses non plus ne furent pas vos derniers ennemis. Dans le temps même de la défaite de ces adorateurs du feu, se levait le Croissant, signe nouveau du prince des enfers. Par la sublime loyauté du Dieu dont vous êtes l'étendard et qui, venu sur terre pour lutter comme nous, ne se dérobe devant nul ennemi, l'Islam aussi allait avoir licence d'essayer et d'user contre vous sa force: force du glaive, unie à la séduction des passions. Mais là encore, dans le secret des combats de Satan et de l'âme comme sur les champs de bataille éclairés du grand jour de l'histoire, le succès final était assuré à la faiblesse et à la folie du Calvaire.
   Vous fûtes, ô Croix, le ralliement de notre Europe en ces expéditions sacrées qui empruntèrent de vous leur beau titre de Croisades, et portèrent si haut dans l'Orient infidèle le nom chrétien. Tandis qu'alors elles refoulaient au loin la dégradation et la ruine, elles préparaient pour plus tard à la conquête de continents nouveaux l'Occident resté par vous la tête des nations.
   Campagnes immortelles dont les soldats, grâce à vos rayons, brillent aux premières pages du livre d'or de la noblesse des peuples. Aujourd'hui même, ces ordres nouveaux de chevalerie qui prétendent grouper en eux l'élite de l'humanité ne voient-ils pas en vous l'insigne le plus élevé du mérite et de l'honneur? Suite toujours du mystère de cette fête; exaltation, jusqu'en nos temps amoindris, de la Croix sainte qui dans les siècles antérieurs était passée de l'enseigne des légions au sommet du diadème des empereurs et des rois.
   Il est vrai que sur la terre de France des hommes sont apparus, qui se donnent pour tâche d'abattre le signe sacré partout où l'avaient honoré nos pères. Problème étrange que cette invasion des valets de Pilate au pays des croisés; problème pourtant qui s'explique, aujourd'hui qu'on a surpris l'or juif soldant leurs exploits. Ceux-là, dit des Juifs saint Léon dans l'Office de ce jour, ceux-là, dans l'instrument du salut, ne peuvent voir que leur crime (Homélie du III° Noct. de la fête, ex Léon. Serm. VIII de Pass.); et leur conscience troublée soudoie pour renverser la Croix sainte les mêmes hommes qu'ils payaient jadis pour la dresser.

   Hommage encore, que la coalition de tels ennemis! O Croix adorée, notre gloire, notre amour ici-bas, sauvez-nous quand vous apparaîtrez dans les cieux, au jour où le Fils de l'homme, assis dans sa majesté, jugera l'univers.

Dom Prosper Guéranger 

 

 

HOMÉLIE DE S. ANDRÉ DE CRÈTE

La croix, gloire et exaltation du Christ



Nous célébrons la fête de la Croix, de cette Croix qui a chassé les ténèbres et ramené la lumière. Nous célébrons la fête de la Croix et, avec le Crucifié, nous sommes portés vers les hauteurs, nous laissons sous nos pieds la terre et le péché pour obtenir les biens du ciel. ~ Quelle grande chose que de posséder la Croix : celui qui la possède, possède un trésor. ~ Je viens d’employer le mot de trésor pour désigner ce qu’on appelle et qui est réellement le meilleur et le plus magnifique de tous les biens ; car c’est en lui, par lui et pour lui que tout l’essentiel de notre salut consiste et a été restauré pour nous.

En effet, s’il n’y avait pas eu la Croix, le Christ n’aurait pas été crucifié, la vie n’aurait pas été clouée au gibet, et les sources de l’immortalité, le sang et l’eau qui purifient le monde, n’auraient pas jailli de son côté, le document reconnaissant le péché n’aurait pas été déchiré, nous n’aurions pas reçu la liberté, nous n’aurions pas profité de l’arbre de vie, le paradis ne se serait pas ouvert. ~ S’il n’y avait pas eu la Croix, la mort n’aurait pas été terrassée, l’enfer n’aurait pas été dépouillé de ses armes. ~

La Croix est donc une chose grande et précieuse. Grande, parce qu’elle a produit de nombreux biens, et d’autant plus nombreux que les miracles et les souffrances du Christ ont triomphé davantage. C’est une chose précieuse, parce que la Croix est à la fois la souffrance et le trophée de Dieu. Elle est sa souffrance, parce que c’est sur elle qu’il est mort volontairement ; elle est son trophée, parce que le diable y a été blessé et vaincu, et que la mort y a été vaincue avec lui ; les verrous de l’enfer y ont été brisés, et la Croix est devenue le salut du monde entier. ~

La Croix est appelée la gloire du Christ, et son exaltation. On voit en elle la coupe désirée, la récapitulation de tous les supplices que le Christ a endurés pour nous. Que la Croix soit la gloire du Christ, écoute-le nous le dire lui-même : Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire. Et encore : Toi, Père, glorifie-moi de la gloire que j’avais auprès de toi avant le commencement du monde. Et encore : Père, glorifie ton nom. Alors, du ciel vint une voix qui disait : Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. Cela désignait la gloire qu’il devait obtenir sur la Croix. ~

Que la Croix soit aussi l’exaltation du Christ, tu l’apprends lorsqu’il dit lui-même : Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. Tu vois : la Croix est la gloire et l’exaltation du Christ.