Saint André Kim Taegon

Et ses compagnons, martyrs en Corée, 1839-1867 (19ème s.)

20 septembre

Le christianisme entra dans le royaume de Corée, en 1784, par deux intellectuels, Yi Seung-Hun et Yi Byok.

Yi Byok, considéré comme le premier fondateur de l'Eglise coréenne, naquit en 1754, au sein d’une noble famille qui s'était illustrée dans la carrière militaire : son grand-père, son père, ses deux frères furent tous généraux. Yi Byok qui était plutôt porté sur l'étude, avait eu l'occasion de lire certains livres chrétiens apportés de Chine par les ambassades qui se rendaient chaque année à Pékin. En janvier 1780, il apprit qu'un petit groupe de lettrés avait organisé une réunion d'études dans le temple bouddhique de Chon Jin Am, au milieu des montagnes. Il décida de s'y rendre. Parti de Séoul, il fit à pied quelque soixante kilomètres, en plein hiver et sur des chemins couverts de neige, pour arriver en pleine nuit au lieu de la réunion. Avec les lettrés, à la lumière des bougies, il discuta sur les livres classiques du confucianisme et pendant plus de dix jours, ils comparèrent les doctrines contebues dans les livres bouddhiques, confucéens et taoïstes avec les vérités chrétiennes, telles qu'elles étaient exposées, en particulier, dans le célèbre livre du jésuite Matteo Ricci à Pékin : « Le Discours véridique sur Dieu. » Ils décidèrent d'adopter la foi chrétienne et d'en vivre de suite. Matin et soir, ils se prosternaient pour la prière. Ayant lu que tous les sept jours on doit en consacrer un au culte de Dieu, ils décrétèrent Jour du Seigneur les 7é, 14e, 21e et 28e jours du mois lunaire, le seul qu'ils connaissaient à cette époque.

Revenu chez lui, Yi Byok répandit la doctrine dans son entourage. Mais il se rendait bien compte que sa connaissance du christianisme était insuffisante. En 1783, à l'occasion d'une ambassade, il envoya son ami Yi Seung-Hun à l'Église de Pékin pour s'informer et rapporter des livres. Arrivé à Pékin, Yi Seung-Hun se rendit à l'église du Nord (Beitang) où il fut reçu par le P. de Grammont qui l'instruisit et le baptisa sous le nom de Pierre. Revenu en Corée, Yi Seung-Hun à son tour baptisa Yi Byok et quelques amis que ce dernier avait déjà convaincus. Puis la religion commença à se répandre dans les provinces. Dès 1785, les lettrés confucéens voyant bien que cette nouvelle doctrine bouleversait leurs traditions, possèrent à sa proscription. La police arrêta un des chrétiens, Kim Beom-Woo, propriétaire d'un terrain sur lequel se trouve maintenant la cathédrale Myong Dong de Séoul. Kim Beom-Woo fut torturé et banni, mourut des suites de ses blessures. Quant à Yi Byok, il fut emprisonné chez lui par sa propre famille. Il subit une énorme pression, et même un chantage au suicide de la part de son père, un homme emporté, qui se passa une corde au cou et menaça de se donner la mort sur-le-champ si son fils persistait dans son dessein. Mais Yi Byok témoigna de sa foi par le jeûne, la méditation continuelle de jour et de nuit. Apres quinze jours de privations, il mourut saintement en 1786, dans sa trente-deuxième année.

La première persécution d’envergure fut décrétée en 1791. Une lettre de l'évêque de Pékin avait interdit le culte des ancêtres comme contraire à la doctrine catholique. Bien qu'il leur en coutât beaucoup, les nouveaux convertis refusèrent donc le culte des ancêtres, et un certain nombre d'entre eux moururent martyrs.

En 1794, un prêtre chinois, Jacques Chu, qui réussit à pénétrer dans le pays des matins calmes, ne trouva pas moins de quatre mille chrétiens dont le nombre augmenta si vite qu’une nouvelle persécution fût décrétée en 1801 où il fut exécuté avec trois cents de ses coreligionnaires. D’autres persécutions sévirent en 1815 et en 1827, mais, lorsqu’en 1837, débarqua, le premier vicaire apostolique, Laurent Imbert il trouva six mille chrétiens sous la direction du Père Pierre-Philibert Maubant et du Père Jacques-Honoré Chastan, arrivés secrètement en 1836.

Mgr. Laurent-Joseph-Marius Imbert, né à Marignane en 1796, d’une pauvre famille de Calas (commune de Cabriès) était entré au séminaire des Missions Etrangères de Paris (1818), il est ordonné prêtre le 18 décembre 1819, et envoyé en Chine (1820). Nommé vicaire apostolique de Corée et fait évêque in partibus de Capsa en Byzacène (Tunisie), il fut sacré au Seu-Tchouen et pénétra en Corée (1837). Au bout de trois mois d’études, il sut assez de coréen pour prêcher et confesser, si bien qu’il donna trois cents absolutions à Pâques 1838 et augmenta la communauté chrétienne qui, en janvier 1839 comptait neuf mille fidèles, malgré la proscription. Je ne demeure que deux jours dans chaque mission où je réunis les chrétiens, et avant que le jour paraisse, je passe dans une autre maison. Je souffre beaucoup de la faim, car, après s’être levé à deux heures et demie, attendre jusqu’à midi un mauvais et faible dîner d’une nourriture peu substantielle, sous un climat froid et sec, n’est pas chose facile. Après le dîner, je prends un peu de repos, puis je fais la classe de théologie à mes grands écoliers ; ensuite, j’entends quelques confessions jusqu’à la nuit. Je me couche à neuf heures, sur la terre couverte d’une natte et d’un tapis de laine de Tartarie ; en Corée, il n’y a ni lits, ni matelats. J’ai toujours, avec un corps faible et maladif, mené une vie laborieuse et fort occupée ; mais ici, je pense être parvenu au superlatif et au nec plus ultra du travail. Vous pensez bien qu’avec une vie si pénible nous ne craignons guère le coup de sabre qui doit la terminer. Trahi, il fut pris le 11 août 1839 et, pour qu’on inquiétât pas les fidèles, il invita ses deux confrères à se livrer. Ayant refusé de dénoncer les fidèles, ils furent questionnés et bastonnés pendant deux jours (15 et 16 septembre) à Sai-nam-hte, près de Séoul. Le 21 septembre, les bourreaux les dénudèrent jusqu’à la ceinture, leur enfoncèrent des flèches à travers les oreilles et leur aspergèrent le visage avant de les saupoudrer de chaux ; exposés au pilori, à genoux, ils furent achevés à coups de sabre. André Kim, le premier prêtre coréen, ordonné à Shanghaï en 1845 fut décapité en Corée le 16 septembre 1846.

La quatrième et dernière grande persécution, la plus terrible, eut lieu en 1866. De nombreux prêtres et fidèles, coréens et français, furent martyrisés. On évalue à huit mille le nombre des victimes, sans compter tous ceux qui, exilés, moururent de misère ou de froid dans les montagnes. Le Régent de Corée, en 1866, fit élever une stèle monumentale dans laquelle il fit graver en caractères chinois : « La secte perverse des chrétiens est anéantie. » Le 12 juin 1881 enfin, un édit royal annonça la fin de la persécution et la tolérance pour la religion chrétienne.

Pie XI béatifia ces quatre ecclésiastiques, avec soixante-quinze fidèles, le 5 juillet 1925 ; Jean-Paul II, le 6 mai 1984, canonisa cent-trois martyrs de Corée, exécutés entre 1839 et 1867 dont, en plus de ceux qui sont cités plus haut, l’évêque Siméon Berneux, exécuté le 8 mars 1866, avec les Pères Just Ranfer de Bretenières, Louis Beaulieu et Henri Dorie, et l’évêque Antoine Daveluy, exécuté le 30 mars 1866, avec les Pères Pierre Aumaître et Luc-Martin Huin (8 mars 1866).

 

DERNIÈRE EXHORTATION DE S. ANDRÉ KIM TAE-GON

Frères et amis très chers, pensez et repensez à ceci : depuis le commencement des temps. Dieu a disposé le ciel, la terre et toute chose ; réfléchissez pourquoi et dans quelle intention il a créé l'homme, chaque homme, à son image et à sa ressemblance.

Si donc en ce monde rempli de dangers et de misère nous ne connaissons pas le Seigneur notre créateur, à quoi bon être nés ! Notre vie est inutile. Grâce à Dieu, nous sommes venus au monde. Grâce à Dieu également, nous avons reçu le baptême, nous sommes entrés dans l'Église, et, devenus disciples du Seigneur, nous portons un nom glorieux. Mais à quoi enfin servirait ce nom s'il ne recouvre pas la réalité ? Sinon, c'est en vain que nous serions venus au monde, que nous serions entrés dans l'Église. Bien plus, cela ne servirait pas le Seigneur et sa grâce. Il serait mieux pour nous de n'être pas nés que de recevoir la grâce du Seigneur et de pécher contre lui.

Voyez le paysan qui fait les semailles dans son champ : au temps convenable, il laboure la terre, puis il y met de l'engrais, et sans regarder à sa peine sous le soleil il cultive avec soin la semence. Quand le temps de la moisson est arrivé, si les épis sont gonflés, il oublie sa peine et sa sueur, son cœur est dans la joie et il se félicite de la récolte. Mais si le grain est maigre, s'il n'y a rien d'autre que paille et épis vides, le paysan se souvient de son dur travail et de sa sueur et plus il avait travaillé ce champ, plus il le délaisse.

Il en va ainsi du Seigneur : la terre, c'est son champ ; nous les hommes, la semence ; la grâce, l'engrais. Par l'incarnation et la rédemption, il nous arrose de son sang pour que nous grandissions et que nous parvenions à maturité. Quand viendra le temps de la moisson au jour du jugement, si, par grâce, nous sommes trouvés mûrs, nous connaîtrons la joie du royaume des cieux comme des fils adoptifs de Dieu ; mais si nous ne sommes pas trouvés mûrs, nous serons devenus ennemis de Dieu, de fils adoptifs que nous étions, et nous recevrons la punition éternelle que nous aurons méritée.

Frères très chers, sachez-le : notre Seigneur Jésus, en venant ici-bas, a supporté lui-même des douleurs sans nombre, par sa passion il a fondé l'Église et par la passion de ses fidèles il la fait grandir. Les puissances de ce monde peuvent bien l'opprimer et l'attaquer, jamais elles ne pourront l'emporter sur elle. Après l'Ascension de Jésus, depuis le temps des Apôtres jusqu'à maintenant, la sainte Église a grandi partout au milieu des persécutions.

Voici maintenant cinquante ou soixante ans que la sainte Église est entrée dans notre Corée ; les fidèles ont supporté à plusieurs reprises la persécution. Aujourd'hui encore celle-ci recommence : de nombreux amis dans la foi et moi-même sommes en prison, et vous aussi vous êtes menacés. Puisque nous formons un seul corps, comment ne pas avoir le cœur en peine ? Comment ne pas ressentir humainement la douleur de la séparation ?

Cependant, l'Écriture nous le dit, Dieu prend soin du moindre cheveu de notre tête, rien n'échappe à sa science infinie. Comment donc regarder cette persécution autrement que comme une permission du Seigneur, soit pour nous récompenser, soit pour nous punir ? Suivez donc la volonté de Dieu, combattez de tout cœur pour notre chef divin, Jésus, et vous vaincrez le démon de ce monde, déjà vaincu par le Christ.

Je vous en conjure : n'oubliez pas l'amour fraternel, mais secourez-vous mutuellement et persévérez jusqu'à ce que le Seigneur ait pitié de nous et écarte la persécution.

Nous sommes vingt ici et, grâce à Dieu, nous allons tous bien jusqu'à présent. Si quelqu'un est mis à mort, je vous conjure de ne pas oublier sa famille.

J'aurais encore bien des choses à vous dire, mais comment m'exprimer par lettre ? Je termine donc. Pour nous d'ici peu nous irons au combat ; je vous supplie de vous garder dans la fidélité de manière à nous retrouver ensemble dans la joie du ciel. Je vous embrasse de tout cœur.