CHEMIN DE CROIX



SUR LES PAS DE JÉSUS DU PRÉTOIRE AU CALVAIRE


SOMMAIRE. — I. Pourquoi la contemplation des douleurs du Verbe incarné est souverainement féconde pour les âmes: aucun détail n'est négligeable dans la passion du Christ, Fils de Dieu, objet des complaisances du Père; Jésus manifeste particulièrement ses vertus au cours de sa passion; toujours vivant, il produit en nous la perfection que nous contemplons dans son immolation. — II. Méditations sur les 14 stations, du chemin de la croix.

   La Passion constitue le « saint des saints » des mystères de Jésus. Elle est le couronnement de sa vie publique, le sommet de sa mission ici-bas, l'œuvre vers laquelle toutes les autres convergent ou à laquelle elles puisent leur valeur.
Chaque année, durant la semaine sainte, l'Église en commémore, en détail, les diverses phases; chaque jour, au sacrifice de la messe, elle en renouvelle le souvenir et la réalité pour nous en appliquer les fruits.
   A cet acte central de la liturgie se rattache une prati­que de piété qui, sans appartenir au culte public officiel, organisé par l'Épouse du Christ, est devenue, à cause de l'abondance des grâces dont elle est la source, très chère aux âmes fidèles. C'est la dévotion à la passion de Jésus sous la forme très connue du « chemin de la croix ».
   La préparation immédiate que le Sauveur a faite à son oblation de pontife sur le calvaire fut de porter sa croix, du prétoire au Golgotha, accablé sous les souffrances et les opprobres.
   La Vierge Marie et les premiers chrétiens ont dû plus d'une fois, dans la suite, refaire pieusement cet itinéraire, en arrosant de leurs larmes les endroits sanctifiés par les douleurs de l'Homme-Dieu.
   Vous savez aussi avec quel élan et quelle ferveur les fidèles d'Occident entreprenaient au moyen-âge le long et pénible pèlerinage des Lieux Saints afin d'y vénérer les traces sanglantes du Sauveur: leur piété s'alimentait à une source féconde de grâces sans prix. Rentrés dans leurs pays, ils avaient à coeur de conserver le souvenir des jours passés à Jérusalem dans la prière. On en vint, surtout à partir du XVe siècle, à reproduire un peu partout les sanctuaires et les « stations » de la ville sainte. La piété des fidèles trouvait ainsi à se satisfaire par un pèlerinage spirituel renouvelé à volonté. Dans la suite, à une époque relativement récente, l'Église a enrichi cette pratique des mêmes indulgences gagnées par ceux qui parcourent à Jérusalem la suite des « stations ».

- I -

   Cette contemplation des souffrances de Jésus est très féconde. Je suis convaincu qu'en dehors des sacrements et des actes de la liturgie, il n'y a pas de pratique plus utile pour nos âmes que le chemin de la croix fait avec dévotion. Son efficacité surnaturelle est souveraine. Pourquoi cela?

   D'abord parce que la passion de Jésus est son œuvre par excellence; presque tous les détails en ont été prédits; il n'y a pas de mystère de Jésus dont les cir­constances aient été annoncées avec tant de soin par le psalmiste et les prophètes. Et quand on lit, dans l'Évangile, le récit de la passion, on est frappé de l'attention qu'apporte le Christ Jésus à « réaliser » ce qui a été annoncé de lui. S'il permet la présence du traître à la cène, c'est « pour que soit vérifiée la parole de l'Écriture » (Joan. XIII, 18); il dit lui-même aux Juifs qui sont venus le sai­sir qu'il se livre à eux « afin que l'Écriture soit accomplie »: Ut adimplerentur Scripturae (Matth. XXVI, 56). Sur la croix, « tout allait être consommé », dit S. Jean, lorsque le Sauveur se souvint que le psalmiste avait prédit de lui: « Dans ma soif, ils m'abreuveront de vinaigre » (Ps. LXVIII, 22). Alors, pour que cette prophétie — toute de détail, — s'accomplît encore, Jésus s'écria: « J'ai soif ». Postea, sciens Jésus quia omnia consummata sunt, UT consummaretur Scriptura, dixit: Sitio (Jean XIX, 28). Rien, en ceci, n'est petit ni négligeable, parce que tous ces détails marquent les gestes d'un Homme-Dieu.
   Toutes ces actions de Jésus sont l'objet des complai­sances de son Père. Le Père contemple son Fils avec amour non seulement au Thabor, quand le Christ est dans tout l'éclat de sa gloire; mais aussi quand Pilate le montre à la foule, couronné d'épines, et devenu le rebut de l'humanité; le Père enveloppe son Fils de regards d'infinie complaisance aussi bien dans les ignominies de la passion que dans les splendeurs de la transfiguration: Hic est Filius meus dilectus in quo mihi bene complacui (Matth. XVII, 15). Et quelle en est la raison?
   Que Jésus, durant sa passion, honore et glorifie son Père dans une mesure infinie, non seulement parce qu'il est le Fils de Dieu, mais encore parce qu'il s'abandonne à tout ce que la justice et l'amour de son Père réclament de lui. S'il a pu dire, au cours de sa vie publique, qu' « il accomplissait tout ce qui était agréable à son Père »: Quae placita sunt ei facio semper (Joan. VIII, 9), cela est particulièrement vrai de ces heures où, pour reconnaître les droits de la majesté divine outragée par le péché, et sauver le monde, il s'est livré à la mort, et à la mort de la croix: Ut cognoscat mandas quia diligo Patrem (Joan. XIV, 31). « Le Père l'aime d'un amour sans limite parce qu'il donne sa vie pour ses brebis et que par ses souffrances, ses satisfactions, il mérite pour nous tous les grâces qui nous rendent l'amitié de son Père »: PROPTEREA me diligit Pater, QUIA ego pono animam meam (Ibid. X. 17).

   Nous devons encore aimer à méditer la passion parce que c'est là aussi que le Christ fait éclater ses vertus. Il possède toutes les vertus en son âme, mais l'occasion de les manifester se produit surtout dans sa passion. Son amour immense pour son Père, sa charité pour les hommes, la haine du péché, le pardon des injures, la patience, la douceur, la force, l'obéissance à l'autorité légitime, la compassion, toutes ces vertus éclatent d'une façon héroïque dans ces jours de douleurs.
   Lorsque nous contemplons Jésus dans sa passion, nous voyons l'exemplaire de notre vie, le modèle, admirable et accessible tout à la fois, — de ces vertus de componction, d'abnégation, de patience, de résigna­tion, d'abandon, de charité, de douceur, que nous devons pratiquer pour devenir semblables à notre divin chef: Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat crucem suam, et sequatur me (Matth. XVI, 24; cf. Marc, VIII, 3-4 Luc. IX, 23; XIV, 27).

   Il y a un troisième aspect que nous oublions trop souvent et dont l'importance est pourtant extrême. Lorsque nous contemplons les souffrances de Jésus, il nous donne, d'après la mesure de notre foi, la grâce de pratiquer les vertus qu'il a révélées durant ces heures saintes. Comment cela?
   Quand le Christ vivait sur la terre, « une force toute-puissante émanait de sa personne divine, qui guérissait les corps », éclairait les esprits et vivifiait les âmes: Virtus de illo exibat, et sanabat omnes (Luc VI, 19).
   Il se passe quelque chose d'analogue lorsque nous nous mettons en contact avec Jésus par la foi. A ceux qui, avec amour, le suivaient sur le chemin du Golgotha ou assistaient à son immolation, le Christ a sûrement octroyé des grâces spéciales. Ce pouvoir, il le conserve encore à présent; et, quand en esprit de foi, pour com­patir à ses souffrances, et l'imiter, nous le suivons du prétoire au calvaire et nous nous tenons au pied de sa croix, il nous donne ces mêmes grâces, il nous fait part des mêmes faveurs. N'oubliez jamais que le Christ Jésus n'est pas un modèle mort et inerte; mais, toujours vivant, il produit surnaturellement en ceux qui s'approchent de lui dans les dispositions voulues, la perfection qu'ils contemplent en sa personne.
   A chaque station, notre divin Sauveur se présente à nous avec ce triple caractère de médiateur qui nous sauve par ses mérites, de modèle parfait de vertus su­blimes, de cause efficace qui peut réaliser en nos âmes, par sa toute-puissance divine, les vertus dont il nous donne l'exemple.
   Vous me direz que ces caractères se retrouvent dans tous les mystères de Jésus-Christ. Cela est vrai, mais avec combien plus de plénitude dans la passion, qui est par excellence le mystère de Jésus!
   C'est pourquoi si, chaque jour, durant quelques instants, suspendant vos travaux, abandonnant vos préoc­cupations, faisant taire en votre coeur les bruits des créatures, vous accompagnez l'Homme-Dieu sur le che­min du Calvaire, avec foi, humilité et amour, avec le désir véritable d'imiter les vertus qu'il manifeste dans sa passion, soyez assurés que vos âmes recevront des grâces de choix qui les transformeront peu à peu à la ressemblance  de Jésus et de Jésus crucifié. Or, n'est-ce pas en cette ressemblance que S. Paul ramène toute la sainteté?
   Il suffit, pour recueillir les fruits précieux de cette pratique, comme pour gagner les nombreuses indulgences dont l'Église l'a enrichie, de nous arrêter à chaque station et d'y méditer la passion du Sauveur. Aucune formule de prière n'est prescrite, aucune forme de méditation n'est imposée, pas même celle du sujet évoqué par la « station ». La pleine liberté est laissée au goût de chacun et à l'inspiration du Saint-Esprit.

- II -

   Faisons maintenant ensemble le chemin de la croix; les considérations que je vous présenterai à chaque station n'ont d'autre but (est-il besoin de le dire?) que d'aider la méditation. Chacun peut en prendre ce qu'il veut, chacun peut varier ces considérations et ces affections suivant ses aptitudes et les besoins de son âme.
   Avant de commencer, rappelons-nous la recommandation de S. Paul: « Ayez en vous les sentiments qui animaient le Christ Jésus... Il s'est humilié en se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix » (Philipp. 11, 5, 8). Plus nous pénétrerons dans ces dispositions qu'avait le coeur de Jésus en parcourant la voie douloureuse: amour envers son Père, charité envers les hommes, haine du péché, humilité et obéissance, plus nos âmes seront remplies de grâces et de lumières, parce que le Père éternel verra en nous une image plus parfaite de son divin Fils.
   Mon Jésus, vous avez parcouru cet itinéraire pour mon amour en portant votre croix. Je veux le faire avec vous et comme vous; pénétrez mon coeur des sentiments qui débordaient du vôtre en ces heures saintes. Offrez pour moi à votre Père le sang précieux que vous avez répandu alors pour mon salut et ma sanctification.