Ne rien préférer à l’amour du Christ "
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Sur la sainte Messe

In omni loco sacrificatur et offertur nomini meo oblatio munda.

On sacrifie et on offre en tous lieux, en mon nom, une oblation pure.

Malach., I, 11

 

Il est certain, M.F., que l'homme, comme créature, doit à Dieu l'hommage de tout son être, et comme pécheur, il lui doit une victime d'expiation ; c'est pourquoi, dans l'ancienne Loi, on offrait à Dieu, tous les jours, ces multitudes de victimes dans le temple. Mais ces victimes ne pouvaient pas satisfaire entièrement à Dieu pour nos péchés ; il en fallait une autre plus sainte et plus pure, qui devait continuer jusqu'à la fin du monde, et qui fût capable de payer ce que nous devons à Dieu. Cette sainte victime c'est Jésus-Christ lui-même, qui est Dieu comme son Père, et homme comme nous. Il s'offre tous les jours sur nos autels, comme autrefois sur le calvaire, et, par cette oblation pure et sans tache, il rend à Dieu tous les honneurs qui lui sont dus, et il s'acquitte, pour l'homme, de tout ce que l'homme doit à son Créateur ; il s'immole chaque jour, afin de reconnaître le souverain domaine que Dieu a sur ses créatures, et l'outrage que le péché a fait à Dieu est pleinement réparé. Jésus-Christ, étant le médiateur entre Dieu et les hommes, nous obtient, par ce sacrifice, toutes les grâces qui nous sont nécessaires : s'étant fait pareillement victime d'actions de grâces, il rend à Dieu pour les hommes toute la reconnaissance qu'ils lui doivent. Mais, pour avoir le bonheur, M.F., de recevoir tous ces biens, il faut aussi que nous fassions quelque chose de notre côté. Pour mieux vous le faire sentir je vais vous faire comprendre, du moins autant qu'il me sera possible, 1° la grandeur du bonheur que nous avons d'assister à la sainte Messe ; 2° les dispositions avec lesquelles nous devons y assister ; 3° comment la plupart des chrétiens y assistent.

Je ne veux pas, M.F., entrer dans l'explication de ce que signifient les ornements dont le prêtre est revêtu ; je pense que vous le savez, ou du moins, plusieurs. Lorsque le prêtre va à la sacristie pour s'habiller, cela nous représente Jésus-Christ qui descend du ciel pour s'incarner dans le sein de la très sainte Vierge, en prenant un corps comme le nôtre, afin de le sacrifier à son Père pour nos péchés. Quand le prêtre prend l'amict, qui est le linge blanc qu'il se met sur les épaules, c'est pour nous représenter le moment où les Juifs bandèrent les yeux à Jésus-Christ, en lui donnant des coups de poings et lui disant : « Devine qui t'a frappé. » L'aube marque la robe blanche, dont Hérode le fit revêtir par moquerie quand il le renvoya à Pilate. La ceinture représente les cordes dont il fut lié, quand on le prit au jardin des Oliviers, et les fouets dont il fut déchiré. Le manipule, que le prêtre se met au bras gauche, nous représente les cordes dont Jésus-Christ fut attaché à la colonne pour être flagellé ; le manipule se met au bras gauche parce qu'il est plus près du cœur, ce qui nous montre que c'est l'excès de son amour qui lui a fait souffrir cette cruelle flagellation pour nos péchés. Pour l'étole, elle nous représente la corde qu'on lui jeta au cou lorsqu'il portait sa croix. La chasuble nous rappelle la robe de pourpre, et sa robe sans couture que l'on jeta au sort.

L'Introït nous représente le désir ardent que les patriarches avaient de la venue du Messie, c'est pour cela qu'on le répète deux fois. Lorsque le prêtre dit le Confiteor, il nous représente Jésus-Christ se chargeant de nos péchés, afin de satisfaire à la justice de Dieu son Père (1) . Le Kyrie eleison, qui veut dire : « Seigneur, ayez pitié de nous, » représente l'état malheureux où nous étions avant la venue de Jésus-Christ. Je ne veux pas aller plus loin. L'Épître signifie la doctrine de l'Ancien Testament ; le Graduel signifie la pénitence que firent les Juifs après la prédication de saint Jean-Baptiste ; l'Alleluia nous représente la joie d'une âme qui a obtenu sa grâce ; l'Évangile nous rappelle la doctrine de Jésus-Christ. Les différents signes de croix que l'on fait sur l'hostie et sur le calice nous rappellent toutes les souffrances que Jésus-Christ a endurées pendant le cours de sa Passion. Je pourrai revenir une autre fois là-dessus.

I. – Avant de vous montrer la manière d'entendre la sainte messe, il faut vous dire un mot de ce que l'on entend par le mot de saint sacrifice de la messe. Vous savez que le saint sacrifice de la messe est le même que celui de la croix, qui a été offert une fois sur le Calvaire, le vendredi saint. Toute la différence qu'il y a, c'est que, quand Jésus-Christ s'est offert sur le Calvaire, ce sacrifice était visible, c'est-à-dire, qu'on le voyait des yeux du corps ; que Jésus y a été offert à Dieu son Père, par les mains de ses bourreaux, et qu'il y a répandu son sang ; c'est ce que l'on appelle sacrifice sanglant : cela veut dire que le sang sortait de ses veines, et qu'on le vit couler jusqu'à terre. Mais, à la sainte messe, Jésus-Christ s'offre à son Père d'une manière invisible ; c'est-à-dire, que nous ne le voyons que des yeux de l'âme et non de ceux du corps. Voilà, M.F., en abrégé, ce que c'est que le saint sacrifice de la messe. Mais, pour vous donner une idée de la grandeur du mérite de la sainte messe, M.F., il me suffit de vous dire avec saint Jean Chrysostome, que la sainte messe réjouit toute la cour céleste, soulage toutes les pauvres âmes du purgatoire, attire sur la terre toutes sortes de bénédictions, et rend plus de gloire à Dieu que toutes les souffrances de tous les martyrs, que les pénitences de tous les solitaires, que toutes les larmes qu'ils ont répandues depuis le commencement du monde et que tout ce qu'ils feront jusqu'à la fin des siècles. Si vous m'en demandez la raison, c'est tout clair : toutes ces actions sont faites par des pécheurs plus ou moins coupables ; tandis que dans le saint sacrifice de la messe, c'est un Homme-Dieu égal à son Père qui lui offre le mérite de sa mort et passion. Vous voyez, d'après cela, M.F., que la sainte messe est d'un prix infini. Aussi, voyons-nous dans l'Évangile que, dans le moment de la mort de Jésus-Christ, il s'opéra beaucoup de conversions : le bon larron y reçut l'assurance du paradis, plusieurs Juifs se convertirent et des Gentils se frappaient la poitrine, en disant qu'il était vraiment le Fils de Dieu. Les morts ressuscitèrent, les rochers se fendirent et la terre trembla.

Oui, M.F., si nous avions le bonheur d'y assister avec de bien bonnes dispositions, quand nous aurions le malheur d'être aussi obstinés que les Juifs, plus aveugles que les Gentils, plus durs que les rochers qui se fendirent, nous obtiendrions très certainement notre conversion. En effet, saint Jean Chrysostome nous dit qu'il n'y a point de temps plus précieux pour traiter avec Dieu de notre salut que celui de la sainte Messe, où Jésus-Christ s'offre lui-même en sacrifice à Dieu son Père, pour nous obtenir toutes sortes de bénédictions et de grâces. « Sommes-nous dans l'affliction ? dit ce grand saint, nous y trouvons toutes sortes de consolations. Sommes-nous accablés de tentations ? allons entendre la sainte messe et nous y trouverons la manière de vaincre le démon. » Et, en passant, je vais vous en citer un bel exemple. Il est rapporté par le Pape Pie II, qu'un gentilhomme de la province d'Ostie était continuellement combattu d'une tentation de désespoir qui le portait à se pendre, et il avait été plusieurs fois sur le point de le faire. Étant allé trouver un saint religieux pour lui découvrir l'état de son âme et lui demander conseil, le serviteur de Dieu, après l'avoir consolé et fortifié le mieux qu'il put, lui conseilla d'avoir dans sa maison un prêtre qui lui dît tous les jours la sainte Messe. Le gentilhomme lui dit qu'il le ferait volontiers. Dans le même temps, il alla se retirer dans un château qu'il avait ; et tous les jours un saint prêtre lui disait la sainte Messe, à laquelle il assistait aussi dévotement qu'il pouvait. Après y avoir demeuré dans une grande tranquillité d'esprit, il arriva que le prêtre le pria de lui permettre d'aller dire la sainte Messe dans le voisinage pour une fête particulière ; ce qu'il lui accorda facilement, dans l'intention d'y aller aussi entendre la sainte Messe. Mais une affaire qui survint l'arrêta insensiblement jusqu'à midi. Alors, plein de frayeur d'avoir perdu la sainte Messe, ce qui ne lui arrivait jamais, et se sentant déjà tourmenté de son ancienne tentation, il sort de chez lui et rencontre un paysan qui lui demande où il va. « Je vais, répond le gentilhomme, entendre la sainte Messe. » – « Mais, c'est trop tard, lui dit le paysan, elles sont toutes dites. » Ce fut une nouvelle si cruelle pour lui, qu'il se mit à crier. « Hélas ! puisque j'ai perdu la sainte Messe, je suis perdu. » Le paysan, qui le voyait dans cet état et qui aimait bien l'argent, lui dit : « Si vous voulez je vous vendrai la Messe que j'ai entendue et tout le bien que j'en ai retiré. » L'autre sans réfléchir à rien, et si chagrin d'avoir manqué la sainte Messe : « Eh bien ! voilà mon manteau. » Cet homme ne pouvait certainement pas lui vendre la sainte Messe sans commettre un gros péché. S'étant séparés, il ne laisse pas cependant de continuer son chemin pour faire ses prières à l'église et comme il s'en retournait chez lui, après les avoir faites, il trouva ce pauvre paysan avare, pendu à un arbre, dans le même endroit où il avait pris le manteau. Le bon Dieu, en punition de son avarice, permit que la tentation du gentilhomme passât à cet avare. Frappé d'un tel spectacle, ce gentilhomme remercia Dieu toute sa vie de l'avoir délivré d'un si grand châtiment, et ne manqua jamais d'assister à la sainte Messe pour remercier le bon Dieu. A l'heure de la mort, il avoua que depuis qu'il avait eu le bonheur d'assister tous les jours à la sainte Messe, le démon ne l'avait plus tenté de désespoir (2).

Eh bien ! M.F., saint Jean Chrysostome n'a-t-il pas bien raison de nous dire que si nous sommes tentés il faut entendre dévotement la sainte Messe, et nous sommes sûrs que le bon Dieu nous délivrera ? Oui, M.F., si nous avions assez de foi, la sainte Messe serait un remède pour tous les maux que nous pourrions avoir pendant notre vie ; en effet, Jésus-Christ n'est-il pas notre médecin de l'âme et du corps ?…

 

II. – Nous avons dit que la sainte Messe est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ, qui n'est offert qu'à Dieu seul, et non aux anges et aux saints. Vous savez que le saint sacrifice de la sainte Messe a été institué le jeudi saint, lorsque Jésus-Christ prit du pain, le changea en son Corps, puis du vin, et le changea en son Sang. Dans le même moment, il donna à ses apôtres et à tous leurs successeurs ce pouvoir, qui est ce que nous appelons le sacrement de l'Ordre. La sainte Messe consiste dans les paroles de la consécration ; et vous savez que les ministres de la sainte Messe sont les prêtres et le peuple (3), qui a le bonheur d'y assister, s'il s'unit à eux ; d'où je conclus, M.F., que la meilleure manière d'entendre la sainte Messe est de s'unir au prêtre dans tout ce qu'il dit, de le suivre dans toutes ses actions, autant qu'on le peut, et de tâcher de se pénétrer des plus vifs sentiments d'amour et de reconnaissance : il faut bien conserver cette méthode.

Nous pouvons distinguer trois parties dans le saint sacrifice de la sainte Messe : la première partie, depuis le commencement jusqu'à l'Offertoire ; la deuxième, depuis l'Offertoire jusqu'à la Consécration ; la troisième, depuis la Consécration jusqu'à la fin. Il faut bien vous faire remarquer que si nous étions distraits volontairement pendant une de ces parties, nous commettrions un péché mortel (4); ce qui doit nous porter à bien prendre garde de ne pas laisser aller notre esprit à des choses étrangères, c'est-à-dire, qui n'ont pas rapport au saint sacrifice de la Messe. Je dis, M.F., que, depuis le commencement jusqu'à l'Offertoire, nous devons nous comporter comme des pénitents qui sont pénétrés de la plus vive douleur de leurs péchés. Depuis l'Offertoire jusqu'à la consécration, nous devons nous conduire comme des ministres qui doivent offrir Jésus-Christ à Dieu son Père, et lui faire le sacrifice de tout ce que nous sommes c'est-à-dire, lui offrir nos corps, nos âmes, nos biens, notre vie, et même notre éternité. Depuis la Consécration, nous devons nous regarder comme des personnes qui doivent participer au Corps adorable et au Sang précieux de Jésus-Christ : et il faut, par conséquent, faire tous nos efforts pour nous rendre dignes de ce bonheur.

Pour mieux, M.F., vous le faire comprendre, je vais vous proposer trois exemples tirés de la sainte Écriture, qui vont vous montrer la manière dont vous devez entendre la sainte Messe : c'est-à-dire, de quoi vous devez vous occuper pendant ce moment heureux pour celui qui a le bonheur de le bien comprendre. Le premier, c'est celui du publicain, qui vous apprendra ce que vous devez faire au commencement de la sainte Messe. Le deuxième est celui du bon larron, qui vous apprendra comment vous devez vous comporter pendant la Consécration. Le troisième, le centenier, qui vous guidera pendant la sainte Communion.

Nous disons 1° que le publicain nous apprendra comment nous devons nous conduire au commencement de la sainte Messe, qui est une action si agréable à Dieu et si puissante pour nous obtenir toutes sortes de grâces. Nous ne devons donc pas attendre d'être à l'église pour nous y préparer. Non, M.F., non, un bon chrétien commence à se préparer en s'éveillant, en ne laissant occuper son esprit de rien qui n'ait rapport à ce bonheur. Nous devons nous représenter Jésus-Christ au jardin des Olives, qui, prosterné la face contre terre, se prépare au sacrifice sanglant qu'il va endurer sur le Calvaire, et de la grandeur de sa charité, qui va lui faire subir le châtiment que nous devrions subir pendant l'éternité. Il faut y venir à jeûn, autant que nous le pouvons ; ce qui est très agréable au bon Dieu. Dans les commencements de l'Église, tous les chrétiens y allaient à jeûn (5). Il faut, la matinée, ne jamais vous laisser occuper l'esprit à vos affaires temporelles, vous rappelant qu'ayant travaillé toute la semaine pour votre corps, il est bien juste que vous donniez cette journée aux soins de votre âme, et à demander au bon Dieu pardon de vos péchés. Lorsque vous venez à l'église, ne faites point de conversation ; pensez que vous suivez Jésus-Christ portant sa croix au Calvaire et qu'il va mourir pour vous sauver. Il faut avoir toujours un moment, avant la sainte Messe, pour se recueillir un peu ; pour gémir sur ses péchés et en demander pardon au bon Dieu ; pour examiner les grâces qui nous sont les plus nécessaires, afin de les lui demander pendant la Messe ; et bien prendre garde de ne jamais manquer ni l'eau bénite, ni la Passion (6), ni les processions (7), parce que ce sont de saintes actions qui vous préparent à bien entendre la Messe.

Lorsque vous entrez dans l'église, pénétrez-vous de la grandeur de votre bonheur par un acte de la foi la plus vive, et un acte de contrition sur vos péchés, qui vous rendent indignes d'approcher d'un Dieu si saint et si grand. Pensez, en ce moment, aux dispositions du publicain, lorsqu'il entra dans le temple pour offrir à Dieu le sacrifice de sa prière. Écoutez saint Luc : « Le publicain, nous dit-il, se tenait au bas du temple, baissant les yeux contre terre, n'osant regarder l'autel et se frappant la poitrine en disant à Dieu : Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis un grand pécheur (LUC. XVIII.). » Vous voyez donc, M.F., qu'il ne faisait pas comme ces chrétiens qui entrent dans nos églises avec un air fier et arrogant, « qui semblent vouloir s'approcher de Dieu, nous dit le prophète Isaïe, comme des personnes qui n'ont rien sur la conscience qui puisse les humilier devant leur Créateur (IS. LVIII, 2.). » En effet, si vous voulez prendre la peine de voir entrer ces chrétiens, qui ont peut-être plus de péchés sur leur conscience qu'ils n'ont de cheveux sur la tête ; vous les voyez, dis-je, entrer avec un air de dédain, ou plutôt, avec une espèce de mépris de la présence de Dieu. Ils prennent de l'eau bénite à peu près comme ils prennent un bassin d'eau pour se laver les mains en venant de travailler ; ils le font, pour la plupart, sans dévotion et sans penser que l'eau bénite, prise avec bien du respect, efface les péchés véniels et nous dispose à bien entendre la sainte Messe. Voyez notre publicain, qui, se croyant indigne d'entrer dans le temple, va se placer dans l'endroit le moins apparent qu'il peut trouver ; il est tellement confus à la vue de ses péchés, qu'il n'ose pas même lever les yeux au ciel. Il est donc bien éloigné de ces chrétiens de nom, qui ne sont jamais assez bien placés, qui se mettent seulement à genoux sur une chaise, qui baissent à peine la tête pendant l'élévation, qui s'étendent sur une chaise ou se croisent les jambes. Nous ne disons rien de ces gens qui ne devraient venir à l'église que pour y pleurer leurs péchés, et qui n'y viennent que pour insulter un Dieu humilié et méprisé, par leurs vains étalages de vanité ; dans l'intention d'y attirer les yeux du monde ; et d'autres, pour y entretenir le feu de leurs passions criminelles. O mon Dieu ! avec de telles dispositions peut-on bien oser venir assister à la sainte Messe (8) ? « Mais notre publicain, nous dit saint Augustin, frappe son cœur, pour montrer à Dieu le regret qu'il ressent de l'avoir offensé (9). » Hélas ! M.F., si les chrétiens avaient le bonheur d'assister à la sainte Messe avec les mêmes dispositions que le publicain, que de grâces, que de biens nous obtiendrions ! Nous sortirions aussi chargés des biens du ciel que les abeilles après avoir trouvé plus de fleurs qu'elles n'en voulaient ! Oh ! si le bon Dieu nous faisait la grâce qu'au commencement de la sainte Messe nous soyons bien pénétrés de la grandeur de Jésus-Christ devant qui nous paraissons et du poids de nos péchés, que nous aurions bientôt obtenu le pardon de nos péchés et la grâce de persévérer !

Nous devons surtout nous tenir dans de grands sentiments d'humilité pendant la sainte Messe ; c'est ce que le prêtre doit nous inspirer lorsqu'il descend de l'autel pour dire le Confiteor en s'inclinant profondément, lui qui, tenant la place de Jésus-Christ même, semble se charger de tous les péchés de ses paroissiens. Hélas ! si le bon Dieu nous faisait une fois bien comprendre ce que c'est que la sainte Messe, que de grâces, que de biens nous n'avons pas et que nous aurions ! Que de dangers, dont nous serions préservés si nous avions une grande dévotion à la sainte Messe ! Pour vous le prouver, M.F., je vais vous citer un bel exemple, qui vous montrera que le bon Dieu protège d'une manière visible ceux qui ont le bonheur d'y assister avec dévotion.

Nous lisons dans l'histoire, que sainte Élisabeth, reine de Portugal, et nièce de sainte Élisabeth, reine de Hongrie, était si charitable envers les pauvres que, quoiqu'elle eût ordonné à son aumônier de ne jamais rien leur refuser, elle faisait encore de continuelles aumônes de ses propres mains ou par celles de ses domestiques. Elle se servait ordinairement d'un page, dont elle avait reconnu la grande piété ; ce que voyant, un autre page en fut jaloux. II alla un jour trouver le roi, et lui dit qu'un tel page avait un commerce criminel avec la reine. Le roi, sans rien examiner, résolut de suite de se défaire de ce page le plus secrètement possible. Un moment après, s'étant trouvé de passer (Comme il passait.) dans un endroit où l'on faisait cuire de la chaux, il fit appeler les gens qui avaient soin d'entretenir le feu du fourneau, et leur dit que, le lendemain au matin, il leur enverrait un page dont il était mécontent, qui leur demanderait s'ils avaient exécuté les ordres du roi ; qu'ils ne manquassent pas de le prendre et de le jeter aussitôt dans le feu. Après cela, il s'en retourna et commanda au page de la reine d'aller le lendemain, de bonne heure, faire cette commission. Mais, vous allez voir que le bon Dieu n'abandonne jamais ceux qui l'aiment. Le bon Dieu permit qu'il passât auprès d'une église pour aller faire sa commission, et que, dans ce moment, il entendît qu'on sonnait l'élévation. Il entre pour adorer Jésus-Christ et entend le reste de la Messe. Une autre commence, il l'entend ; une troisième commence après la deuxième finie, il l'entend encore. Cependant le roi, impatient de savoir si l'on avait exécuté ses ordres, envoie son page pour leur demander s'ils avaient fait ce qu'il leur avait commandé. Croyant que c'était le premier, ils le prennent et le jettent dans le feu. L'autre, qui, pendant ce temps-là, avait achevé ses dévotions, va faire sa commission, en leur disant s'ils avaient fait ce que le roi leur avait ordonné. Ils lui répondirent que oui. Il retourna rendre réponse au roi, qui fut fort étonné de le voir revenir. Tout en fureur de ce qu'il en était arrivé tout au contraire de ce qu'il espérait, le roi lui demanda où il était resté si longtemps ?... Le page lui dit que, passant près d'une église pour aller où il lui avait ordonné, il avait entendu la clochette de l'Élévation, que cela l'avait obligé d'entrer, qu'il y était demeuré jusqu'à la fin de la Messe, et, qu'une autre Messe ayant ensuite commencé avant que celle-là finît et enfin une troisième, il les avait toutes entendues ; parce que son père, avant de mourir, après lui avoir donné sa bénédiction, lui avait bien recommandé de ne jamais quitter une Messe commencée sans attendre qu'elle fût finie : que cela nous attirait beaucoup de grâces et nous garantissait de bien des malheurs. Alors le roi, rentrant en lui-même, comprit bien que cela n'était arrivé que par un juste jugement de Dieu ; que la reine était innocente et le page, un saint ; que l'autre n'avait fait cela que par envie. Vous voyez, M.F., que ce pauvre jeune homme aurait été brûlé sans sa dévotion, et que le bon Dieu lui inspira d'entrer dans l'église pour le garantir de la mort ; tandis que l'autre, qui n'avait pas de dévotion pour Jésus-Christ dans le sacrement adorable de l'Eucharistie, fut jeté dans le feu.

Saint Thomas nous dit qu'il vit un jour pendant la sainte Messe, Jésus-Christ, les mains pleines de trésors qu'il cherchait à distribuer, et que, si nous avions le bonheur d'assister saintement et souvent à la sainte Messe, nous aurions beaucoup plus de grâces que nous n'en avons, pour sauver nos âmes, et même pour le temporel.

2° En second lieu, nous avons dit que le bon larron nous instruirait de la manière de nous conduire pendant le temps de la Consécration et de l'Élévation de la sainte Hostie, qui est le temps où nous devons nous offrir à Dieu avec Jésus-Christ, comme étant ceux qui doivent participer à cet auguste mystère. Voyez, M.F., comment cet heureux pénitent se comporte dans le temps même de son supplice ; voyez-vous comment il ouvre les yeux de l'âme pour reconnaître son libérateur ? Mais aussi, M.F., quel progrès ne fait-il pas, pendant les trois heures qu'il se trouve en la compagnie de son Sauveur mourant ? Il est attaché à la croix, il ne lui reste plus que son cœur et sa langue de libre, voyez avec quel empressement il offre à Jésus-Christ l'un et l'autre : il lui donne tout ce qu'il peut lui donner, il lui consacre son cœur par la foi et par l'espérance, il lui demande humblement une place en paradis, c'est-à-dire, dans son royaume éternel. Il lui consacre sa langue en publiant son innocence et sa sainteté. Il dit à son compagnon de supplice : « Il est juste que nous souffrions ; mais, pour lui, il est innocent (LUC. XXIII, 41.). » Dans le temps que les autres ne s'occupent qu'à outrager Jésus-Christ par les blasphèmes les plus horribles, il devient son panégyriste ; pendant que ses disciples même l'abandonnent, il prend son parti ; et sa charité est si grande, qu'il fait tous ses efforts pour porter l'autre à se convertir. Non, M.F., ne soyons nullement étonnés si nous découvrons tant de vertu dans ce bon larron, parce qu'il n'y a rien de si capable de nous toucher que la vue de Jésus-Christ mourant ; il n'y a point de moment où la grâce nous soit donnée avec tant d'abondance, et cependant nous en sommes témoins tous les jours. Hélas ! M.F., si, dans ce moment heureux de la Consécration, nous avions le bonheur d'être animés d'une foi vive, une seule Messe suffirait pour nous arracher de quelques mauvais vices où nous serions, et pour faire de nous de vrais pénitents, c'est-à-dire, de parfaits chrétiens.

Pourquoi est-ce donc, me direz-vous, que nous assistons à tant de messes et que nous sommes toujours les mêmes ? Hélas ! M.F., c'est que nous y sommes présents de corps et que notre esprit n'y est nullement, et que nous y venons plutôt achever notre réprobation par les mauvaises dispositions avec lesquelles nous y assistons. Hélas ! que de messes mal entendues, qui, bien loin d'assurer notre salut, nous endurcissent davantage ! Jésus-Christ étant apparu à sainte Mechtilde, lui dit : « Sache, ma fille, que les saints assisteront à la mort de tous ceux qui auront entendu dévotement la sainte Messe, pour les aider à bien mourir, pour les défendre contre les tentations du démon et pour présenter leurs âmes à mon Père. » Quel bonheur pour nous, M.F., d'être assistés, dans ce moment redoutable, par autant de saints que nous aurons entendu de saintes Messes !...

Non, M.F., ne craignons jamais que la sainte Messe nous retarde dans nos affaires temporelles ; c'est bien tout le contraire : nous sommes sûrs que tout ira mieux, et que même nos affaires nous réussiront mieux que si nous avons le malheur de ne pas y assister. En voici un exemple admirable. Il est rapporté de deux artisans, qui étaient du même métier et qui demeuraient dans un même bourg, que l'un d'eux, étant chargé d'une grande quantité d'enfants, ne manquait jamais d'entendre tous les jours la sainte Messe et vivait très commodément dans son métier ; mais l'autre, au contraire, qui n'avait point d'enfants, travaillait une partie de la nuit et tout le jour, et souvent le saint jour de dimanche, encore avait-il toutes les peines du monde à vivre. Celui-ci, qui voyait les affaires de l'autre si bien lui réussir, lui demanda, un jour qu'il le rencontra, où il pouvait prendre de quoi entretenir si bien une famille si grande que la sienne ; tandis que lui, qui n'avait que lui et sa femme, et qui travaillait sans cesse, était souvent dépourvu de toutes choses. L'autre lui répondit que, s'il voulait, il lui montrerait le lendemain, d'où il tenait tout son profit. L'autre, bien content d'une si bonne nouvelle, ne voyait que l'heure (Attendait avec impatience.) d'arriver au lendemain, qui lui devait apprendre à faire sa fortune. En effet, l'autre ne manqua pas d'aller le prendre. Le voilà qui part de bon cœur et le suit avec bien de la fidélité. L'autre le conduisit jusqu'à l'église, où ils entendirent la sainte Messe. Après qu'ils furent retournés : « Mon ami, lui dit celui qui était bien à son aise, retournez à votre travail. » Il en fit autant le lendemain ; mais, l'étant allé prendre une troisième fois pour la même chose : « Comment, lui dit l'autre ? Si je veux aller à la Messe, je sais le chemin sans que vous preniez la peine de venir me chercher ; ce n'est pas ce que je voulais savoir ; mais le lieu où vous trouvez tout ce bien qui vous fait vivre si bien à votre aise ; je voulais voir si, faisant comme vous, je pourrais y trouver mon compte. – Mon ami, lui répondit l'autre, je ne sais point d'autre lieu que celui de l'église, et pas d'autre moyen que d'entendre tous les jours la sainte Messe ; et pour moi, je vous assure que je n'ai point employé d'autres moyens pour avoir tout le bien qui vous étonne. Mais, n'avez-vous pas vu ce que Jésus-Christ nous dit dans l'Évangile, de chercher premièrement le royaume des cieux, et que tout le reste nous sera donné. » Ces paroles firent comprendre à cet homme le dessein de l'autre en le menant à la sainte Messe. « Eh bien ! lui dit-il, vous avez raison : celui qui ne compte que sur son travail est un aveugle, et je vois que jamais la sainte Messe n'appauvrira personne. Vous en êtes une preuve bien grande. Je veux faire comme vous, et j'espère que le bon Dieu me bénira. »

En effet, le lendemain, il commença et continua toute sa vie ; et, en peu de temps, il fut fort à son aise. Quand on lui demandait d'où venait que, maintenant, il ne travaillait plus les dimanches ni la nuit, comme autrefois ; qu'il allait tous les jours à la Messe et qu'il devenait plus riche ; il disait : « J'ai suivi le conseil de mon voisin ; allez le trouver et il vous apprendra à être bien sans travailler davantage, mais en entendant la Messe tous les jours. »

Cela vous étonne peut-être, M.F. ? pas moi. C'est ce que nous voyons tous les jours dans les maisons où il y a de la piété : ceux qui viennent souvent à la sainte Messe, font beaucoup mieux leurs affaires que ceux auxquels leur peu de foi fait croire qu'ils n'ont jamais le temps. Hélas ! si nous avions mis toute notre confiance en Dieu, et ne comptions rien sur notre travail, que nous serions plus heureux que nous ne sommes ! – Mais, me direz-vous, si nous n'avons rien, l'on ne nous donne rien. – Que voulez-vous que le bon Dieu vous donne, quand vous ne comptez que sur votre travail et pour rien sur lui ? Puisque vous ne vous donnez pas seulement le temps de faire vos prières le matin ni le soir, et que vous vous contentez de venir une fois la semaine à la sainte Messe. Hélas ! vous ne connaissez pas les ressources de la providence du bon Dieu pour celui qui se confie en lui. En voulez-vous une preuve bien frappante ? elle est devant vos yeux ; jetez les yeux sur votre pasteur et examinez cela devant le bon Dieu. – Oh ! me direz-vous, c'est parce que l'on vous donne. – Mais qui me donne, sinon la providence du bon Dieu ? voilà où sont mes trésors, et pas ailleurs. Hélas ! que l'homme est aveugle de tant se tourmenter pour se damner et être bien malheureux en ce monde ! Si vous aviez le bonheur de bien penser à votre salut et d'assister à la sainte Messe, autant que vous le pouvez, vous verriez bientôt la preuve de ce que je vous dis.

Non, M.F., point de moment plus précieux pour demander à Dieu notre conversion, que celui de la sainte Messe ; vous allez le voir. Un saint ermite nommé Paul, vit un jeune homme fort bien habillé qui entrait dans une église, une quantité de démons l'accompagnaient ; mais après la sainte Messe, il vit sortir le jeune homme accompagné d'une troupe d'anges qui marchaient à ses côtés. « O mon Dieu, s'écria le saint, qu'il faut que la sainte Messe vous soit agréable ! » Le saint concile de Trente nous dit que la sainte Messe apaise la colère de Dieu, convertit le pécheur, réjouit le ciel, soulage les âmes du purgatoire, rend gloire au bon Dieu et attire toutes sortes de bénédictions sur la terre (Sess. XIII et XXII). Oh ! M.F., si nous pouvions bien comprendre ce que c'est que le saint sacrifice de la sainte Messe, avec quel respect n'y serions-nous pas ?...

Le saint abbé Nilus nous rapporte que son maître saint Jean Chrysostome lui avait dit un jour, en confidence, qu'il voyait, pendant la sainte Messe, une troupe d'anges qui descendaient du ciel pour adorer Jésus-Christ sur l'autel, et que plusieurs allaient dans l'église pour inspirer aux fidèles le respect et l'amour qu'ils doivent avoir pour Jésus-Christ présent sur l'autel. Moment précieux, moment heureux pour nous, M.F., que celui où Jésus-Christ est présent sur nos autels ! Hélas ! si les pères et mères le comprenaient bien et qu'ils sussent en profiter, leurs enfants ne seraient pas si misérables, si éloignés du chemin du ciel. Mon Dieu, que de gens pauvres auprès d'un si grand trésor !

3° Nous avons dit que le centenier nous servirait d'exemple quand nous avons le bonheur de communier, ou spirituellement ou corporellement. Je dis que nous devons communier spirituellement par un grand désir de nous unir à Jésus-Christ (10). L'exemple de ce centenier est si admirable, qu'il semble que l'Église prenne plaisir à nous le remettre devant les yeux, chaque jour, à la sainte Messe. « Seigneur, lui dit cet humble serviteur, je ne suis pas digne que vous veniez dans ma maison, mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri (MATTH. VIII, 8.). » Ah ! si le bon Dieu voyait en nous cette même humilité, cette même connaissance de notre néant, avec quel plaisir et avec quelle abondance de grâces ne viendrait-il pas dans notre cœur ? Que de force et de courage pour vaincre l'ennemi de notre salut ! Voulons-nous, M.F., obtenir notre changement de vie : c'est-à-dire, quitter le péché pour revenir au bon Dieu ? Entendons quelques messes à cette intention, et nous sommes sûrs, si nous les entendons dévotement, que le bon Dieu nous aidera à sortir du péché ; en voici un exemple. Il est rapporté dans l'histoire qu'une jeune fille, pendant plusieurs années, menait une vie bien misérable avec un jeune homme. Tout, par une fois, elle se sentit frappée de frayeur, en considérant l'état où pouvait être sa pauvre âme, en menant la vie qu'elle menait. De suite, après la sainte Messe, elle va trouver un prêtre pour le prier de l'aider à sortir du péché. Le prêtre, qui connaissait sa vie, lui demanda ce qui l'avait portée à un tel changement. « Mon père, lui dit-elle, pendant la sainte Messe, que ma mère, avant de mourir, me fit promettre d'entendre tous les samedis, j'ai conçu une si grande horreur de mon état, que je ne puis plus y tenir. » – « O mon Dieu ! s'écrie le saint prêtre, voilà une âme sauvée par le mérite de la sainte Messe ! »

Ah ! M.F., que d'âmes sortiraient du péché, si elles avaient le bonheur d'entendre la sainte Messe avec de bonnes dispositions ! Ne soyons pas étonnés si le démon nous met dans la tête tant de pensées étrangères. Hélas c'est qu'il prévoit, bien mieux que vous, la perte que vous faites, en y assistant avec si peu de respect et de dévotion. Ah ! M.F., combien la sainte Messe nous préserve d'accidents et de morts subites ! Combien de personnes que, pour une sainte Messe qu'elles auront entendue, le bon Dieu garantira du malheur ! Saint Antonin nous en rapporte un bel exemple. Il nous dit qu'un jour de fête, il y avait deux jeunes gens qui étaient allés faire une partie de chasse : l'un avait entendu la sainte Messe, mais pas l'autre. Étant en chemin, le temps devint noir ; ils entendaient les tonnerres les plus épouvantables, et ils voyaient des éclairs si multipliés, qu'il leur semblait que le ciel fût en feu. Mais ce qui les effrayait encore plus, c'est que, parmi toutes ces foudres, ils entendaient à chaque instant une voix qui semblait être en l'air et qui criait : « Frappez ces malheureux, frappez-les ! » Mais le temps s'étant un peu calmé, ils commencèrent à se rassurer. Continuant leur chemin, tout à coup il vint un coup de tonnerre qui moulut (Qui le réduisit en poussière.) celui qui n'avait pas entendu la sainte Messe. L'autre fut saisi d'une si grande frayeur, qu'il ne savait s'il devait aller plus loin ou tomber par terre. Comme il était dans cette frayeur, il entendit la voix qui criait : « Frappez, frappez le malheureux ! » ce qui redoublait d'autant plus sa frayeur, qu'il venait de voir écraser à ses pieds son compagnon. « Frappez, frappez encore celui-ci ! » Se croyant perdu, il entendit une autre voix qui dit : « Non, ne le frappez pas, il a entendu la sainte Messe ce matin. » De sorte que ce fut la sainte Messe qu'il avait entendue avant de partir, qui le préserva d'une mort si épouvantable. Voyez-vous M.F., combien le bon Dieu nous accorde de grâces et nous préserve de malheurs, quand nous avons le bonheur d'entendre la sainte Messe comme il faut ? Hélas ! à quels châtiments doivent s'attendre ceux qui ne font point difficulté d'y manquer le dimanche ! D'abord ce qu'il y a de visible, c'est qu'ils périssent presque tous misérablement ; leurs biens vont en décadence, la foi abandonne leur cœur, et, par là, ils sont doublement malheureux Mon Dieu ! que l'homme est aveugle sous tous les rapports, pour l'âme et pour le corps !

III. – La plupart des gens du monde n'entendent la sainte Messe qu'en pharisiens, en mauvais larron, en Judas. Nous avons dit que la sainte Messe est le souvenir de la mort de Jésus-Christ sur le Calvaire ; c'est pourquoi Jésus-Christ veut que toutes les fois que nous célébrons le saint sacrifice de la Messe, nous le fassions en mémoire de lui. Cependant, nous pouvons dire en gémissant que, pendant que nous renouvelons le souvenir des souffrances de Jésus-Christ, plusieurs des assistants renouvellent le crime des Juifs et des bourreaux qui l'attachèrent à la croix. Mais, pour mieux vous faire connaître si vous avez le malheur d'être du nombre de ceux qui déshonorent de la sorte nos saints mystères, je vais vous faire remarquer, M.F., que parmi ceux qui furent témoins de la mort de Jésus-Christ sur la croix, il y en avait de trois sortes : les uns ne faisaient que passer devant la croix, sans s'arrêter et sans entrer dans les sentiments d'une véritable douleur, plus insensibles que les créatures les plus inanimées. D'autres s'approchaient du lieu du supplice et considéraient toutes les circonstances de la passion de Jésus-Christ ; mais ce n'était que pour s'en moquer, en faire un sujet de raillerie et l'outrager par les blasphèmes les plus horribles. Enfin, un petit nombre versait des larmes amères de voir exercer tant de cruautés sur le corps de leur Dieu et de leur Sauveur. Voyez à présent du nombre desquels vous êtes. Je ne parlerai pas de ceux qui courent entendre une Messe à la hâte dans une paroisse où ils ont quelque affaire, ni de ceux qui n'y viennent que la moitié du temps ; qui, pendant ce temps, vont trouver un voisin pour boire une bouteille ; laissons-les de côté, parce que ce sont des personnes qui vivent comme si elles étaient sûres de n'avoir point d'âme à sauver ; elles ont perdu la foi, et, par là, tout est perdu. Mais parlons seulement de ceux qui y viennent ordinairement.

Je dis 1° que plusieurs n'y viennent que pour voir et être vus, avec un air tout dissipé, comme vous iriez dans un marché, dans une foire et, si j'ose le dire, dans un bal. Vous vous y tenez sans modestie. : à peine mettez-vous les deux genoux par terre pendant l'Élévation ou la Communion. Y priez-vous, M.F.... ? Hélas ! non ; c'est que la foi vous manque. Dites-moi, quand vous allez chez quelques personnes qui sont au-dessus de vous, pour leur demander quelque grâce, vous en êtes occupés tout le long du chemin ; vous entrez avec modestie, vous leur faites un profond salut, vous vous tenez découverts devant elles, vous ne pensez pas même à vous asseoir ; vous avez les yeux baissés, vous ne pensez qu'à la manière de bien vous exprimer et dans les termes les plus hauts. Si vous leur manquez, vous vous excusez vite sur votre peu d'éducation... Si ces personnes vous reçoivent avec bonté, vous sentez la joie naître dans votre cœur. Eh bien ! dites-moi, M.F., cela ne doit-il pas vous confondre, voyant que vous prenez tant de précaution pour quelque bien temporel ? tandis que vous venez à l'église avec une espèce de dédain, de mépris, devant un Dieu qui est mort pour nous sauver, et qui répand chaque jour son sang pour vous obtenir grâce auprès de son Père. Quel affront, M.F., n'est-ce pas pour Jésus-Christ, de se voir insulté par de viles créatures ? Hélas ! combien qui, pendant la sainte messe, commettent plus de péchés que pendant toute la semaine. Les uns ne pensent pas seulement au bon Dieu, d'autres parlent, tandis que leur cœur et leur esprit se noient les uns, dans l'orgueil ou le désir de plaire, les autres, dans l'impureté. O grand Dieu ! se peut-il qu'ils osent nommer Jésus-Christ, qui, auprès d'eux, est si saint et si pur !... Combien d'autres laissent entrer et sortir toutes les pensées et les désirs que le démon veut bien leur donner. Combien ne font point de difficulté de regarder, de tourner la tête, de rire et de causer, de dormir comme dans leur lit, et peut-être, encore bien mieux. Hélas ! que de chrétiens qui sortent de l'église avec peut-être plus de trente et cinquante péchés mortels de plus que quand ils y sont entrés !

Mais, me direz-vous, il vaut bien mieux ne pas y assister. – Savez-vous ce qu'il faut faire ?... Y assister et y assister bien comme il faut, en faisant trois sacrifices à Dieu, je veux dire : celui de votre corps, de votre esprit et de votre cœur. Je dis : notre corps, qui doit honorer Jésus-Christ par une modestie religieuse. Notre esprit ; en entendant la sainte Messe, doit se pénétrer de notre néant et de notre indignité ; évitant toutes sortes de dissipations, repoussant loin de lui les distractions. Nous lui devons consacrer notre cœur, qui est l'offrande qui lui est la plus agréable, puisque c'est notre cœur qu'il nous demande avec tant d'instance : « Mon fils, nous dit-il, donne-moi ton cœur (PROV. XXIII, 26.). »

Concluons, M.F., en disant combien nous sommes malheureux lorsque nous entendons mal la sainte Messe, puisque nous trouvons notre réprobation là où les autres trouvent leur salut. Fasse le ciel, que toutes les fois que nous pourrons, nous assistions à la sainte Messe, puisque les grâces y sont si abondantes ; et que nous y apportions toujours d'aussi bonnes dispositions que nous pourrons ! et que, par là, nous attirions sur nous toutes sortes de bénédictions en ce monde et en l'autre !... C'est ce que je vous souhaite.

(1) Rodriguez, t. III, p.575. Saint Grégoire. (Note du Saint) Le saint Curé fera régulièrement référence aux oeuvres de Rodriguez dont il extrait certaine explications comme celle qui suit la note...

(2) Ce trait d'histoire est aussi rapporté par le P. Rossignoli, Merveilles divines dans la Sainte Eucharistie, LXIIe merveille.

(3) 1° Dans le saint sacrifice de la Messe, Jésus-Christ est le souverain prêtre et le principal ministre. Il offre le sacrifice en son nom et par sa puissance propre ; sans doute, il se sert de mains étrangères pour l’offrir, mais lui seul communique toute l'efficacité au sacrifice.

2° Le prêtre qui célèbre est vraiment prêtre et ministre du sacrifice. Il a été appelé et ordonné dans ce but ; il a reçu ce pouvoir de Jésus-Christ. Il est le ministre de Jésus-Christ et tient la place du Sauveur. II offre donc immédiatement le sacrifice par l'action et le ministère qui lui sont personnels. Il l'offre seul, sans qu'il soit besoin du concours des assistants.

3° Les fidèles, en effet, ne sont pas vraiment, strictement, les ministres du sacrifice.

Si quelquefois ils sont appelés ministres offrant le saint sacrifice, c'est dans un sens large, ils ne l'offrent point par eux-mêmes, mais par le ministère du prêtre. Et voici comment ils y concourent :

1° D'une façon générale, comme membres de l'Église qui députe le prêtre pour offrir le sacrifice en son nom ; 2° d'une façon spéciale, lorsque les fidèles assistant à la messe, s'unissent d'intention au prêtre pour offrir à Dieu ce sacrifice ; 3° d'une façon très spéciale, lorsqu'ils concourent d'une manière plus prochaine au sacrifice, soit en servant le prêtre à l'autel, soit en donnant des aumônes pour faire célébrer des messes.

(4) « Si nous étions distraits volontairement pendant une de ces parties, nous commettrions un péché mortel. »

Cette assertion du Saint curé d'Ars est sévère. Les fidèles ne doivent pas être traités plus rigoureusement que les prêtres. Or les prêtres sont taxés de péché mortel seulement s'ils se rendent coupables d’une distraction volontaire pendant la consécration.

(5) Parce qu’ils devaient communier à la messe.

(6) Dans un grand nombre de paroisses, depuis l'Invention de la Sainte Croix (3 mai) jusqu'à l'Exaltation (14 septembre), le curé récite chaque jour, au pied de l'autel, avant de célébrer la sainte Messe, la Passion pour les fruits de la terre.

(7) Le Vénérable a déjà parlé (sermon sur les Rogations) des processions dominicales qui se font dans beaucoup de paroisses, selon une antique coutume, chaque dimanche avant la grand'messe, depuis l'Invention jusqu'à l'Exaltation de la Sainte Croix, ou comme l'on dit, a Cruce ad Crucem.

(8) Saint Ambroise… « Où vas-tu ? – Je vais à l’église. – Va, malheureux, pour y pleurer… » (Note du Saint)

(9) Homélie sur l’évangile du Xe dimanche après la Pentecôte.

(10) Saint Bonaventure…Rodriguez, t. III, p. 573.


  

LA RÉINCARNATION EST-ELLE UNE HYPOTHÈSE CRÉDIBLE ?

Non, c’est une solution de facilité qui n’est pas satisfaisante car elle méconnait à la fois la grandeur de l’être humain qui est constitutivement corps et âme et la beauté du plan de Dieu tel que la Bible le révèle.

 

1. La croyance en la réincarnation est une idée très ancienne. Elle s’est propagée depuis l’Orient au Ve siècle avant notre ère et elle s’est répandue dans de nombreuses cultures.

La réincarnation est une idée qui est arrivée d’Orient au Ve siècle avant notre ère

Des études ont montré que l’idée de réincarnation est arrivée en force à une époque très précise, au Ve siècle avant notre ère. Elle s’est répandue rapidement et a touché plusieurs ères culturelles : c’est à partir de ce moment-là qu’on en parle dans la Grèce antique (Platon qui la retient favorablement la rattache à un mythe d'origine arménienne) mais aussi dans l’hindouisme et le bouddhisme, dans l’Égypte ancienne également qui, jusque là, n’était pas très tournée de ce côté-là jusque-là ; l’idée ne s'est pas répandue dans le monde chinois, ni dans le taoïsme et le confucianisme mais elle a touché aussi le judaïsme ancien (les esséniens) et certains juifs y croient encore de nos jours ... L’Ancien Testament n’est pas très explicite sur la vie après la mort, surtout si on ne prend pas en compte les livres que l'orthodoxie juive a écarté comme par exemple, le 2e livre des Macchabées, qui met en valeur la résurrection de la chair.

Le premier grec qui en a parlé est Pythagore, puis Platon a développé abondamment le thème, avant qu’Aristote ne corrige les choses dans un sens plus réaliste ...

Pythagore le premier a parlé de « métempsychose » en grec « migration des âmes ». Platon ensuite a développé une vision dualiste de l'homme : le corps est une pièce rapportée, il alourdit l'âme. Il parle de l’âme dans le corps comme du conducteur d’un char : le conducteur mène le char où il veut, mais ne doit pas être mené par lui,  le char lui reste extérieur et il peut même s'en passer.  Cette réflexion conduit à imaginer la disparition du corps comme la libération d’une prison. Aristote, dans « L’éthique à Nicomaque », a ensuite rééquilibré les choses, mais il l’a fait à partir d’une autre abstraction, qui est la distinction de la forme et de la matière. Cela convient bien pour dire l’unité de l’âme et du corps, mais ne fonctionne pas très bien pour parler de l’état de l’âme séparée après la mort.

Aristote a défini l'âme comme le principe d'animation du corps, et chaque âme est par conséquent liée à un corps particulier

En ce sens, la science moderne a permis d’illustrer cette vision de l'âme, comme principe d'animation qui demeure au-delà de la matière, car on sait maintenant qu'il ne reste dans un corps d'adolescent aucun atome du corps du bébé qui l’a précédé. En 10 ans environ, chaque partie et chaque cellule du corps est renouvelée, même les os ! La matière passe, mais il y a quelque chose de nous qui demeure de manière continue, et cette chose qui se maintient : c’est nous, personnellement, une personne particulière, de manière continue. Ce principe d'organisation du corps et d'animation de notre être, comporte aussi une dimension spirituelle, car nous avons bien conscience d'être la même personne, avec la même pensée, le même esprit, qui n'est donc pas lié à la matière, et qui demeure tout au long de notre vie, lié à ce corps et uniquement à ce corps. En ce sens philosophique et scientifique déjà la réincarnation n'est pas possible, car l'âme est fondamentalement liée au corps.

Aristote distinguait la substance (par exemple l’âme humaine) et l’accident (la matière corporelle)

Dans une vision inspirée d'Aristote, on peut dire  qu'on peut changer toutes les pièces d'un objet complexe (un couteau, ou un ordinateur par ex.) mais c'est toujours le même objet : c’est la même « substance » et seuls les accidents ont changé. On peut dire cela pour le corps : ce qui compte, ce n’est pas la matérialité des cellules, car le corps est un flux de cellules et de particules. A la résurrection, on ne conservera pas forcément les molécules de chair qu’on avait le jour où on est mort. Ces molécules auront pour la plupart disparu, mais le corps glorieux aura un rapport avec notre corps, en ce sens que ce sera à partir de la même structure, de la même organisation : « on sème dans la corruption, on ressuscite dans l’incorruption ; on sème dans l’ignominie, on ressuscite dans la gloire ; on sème dans la faiblesse, on ressuscite dans la force ; on sème un corps psychique, on ressuscite dans un corps spirituel » (1 Corinthiens 15,42-44).

L’anthropologie juive de son côté distingue habituellement trois niveaux dans l’âme : Nefesh, la partie basse et corporelle de l’âme, Ruah, l’esprit et Neshama la partie spirituelle

L’âme spirituelle est parfois divisée en trois parties, de plus en plus proches de Dieu. C’est l’idée qu’il y a plusieurs écorces, en quelque sorte, comme dans un artichaut : avec un cœur derrière les feuilles. Il est en effet aussi souvent question dans la Bible, du cœur, qui désigne la partie la plus intime de l’homme. Plusieurs passages peuvent être cités : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même » (Deutéronome 6,5 repris par Jésus en Luc 10,26). Ou saint Paul : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l'esprit, l'âme et le corps, soit gardé sans reproche à l'Avènement de notre Seigneur Jésus Christ » (1 Thessaloniciens 5,23). Ou l’Épitre aux Hébreux : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (Hébreux 4,12).

Sur le fond, tous conviennent qu’il y a deux pôles : le corps matériel et une âme qui l’anime, qui est de nature spirituelle et qui constitue l’identité ultime de l’homme

Ce que saint Paul appelle « esprit », ce n’est pas l’esprit au sens de la gnose  , c’est la personne spirituelle, c’est tout le sujet de notre aventure, tandis que « l’âme » doit être prise au sens de ce que nous appellerions plutôt le psychisme, c’est-à-dire toute cette réalité intermédiaire, en quelque sorte, dans laquelle on voit toutes sortes de fonctionnement qui peuvent même être étudiés par la psychologie, par les sciences mais qui, en même temps, sont très liées à notre être le plus profond, donc qui traduisent cela en postures, événements ... Tout dépend de comment on nomme les choses. Si l’on veut que ce soit sur ce qu’on appelle « esprit » que réside l’ultime personnalité de l’homme qui va traverser les phases successives – pourquoi pas ?, on sera obligé de dire que l’âme était plus ou moins liée au corps et qu’elle attendra elle aussi la résurrection pour réémerger. Le tout est de s'entendre sur le sens que l’on donne aux mots. Mais de toute façon, il faut maintenir qu’il y a deux pôles. Il y a l’identité ultime de l’homme qui ne disparaît pas depuis que nous avons été créés. Jamais Dieu ne reviendra sur ce qu’il a fait, même pour les damnés. Il y a par ailleurs ce corps qui a été créé en même temps qu'elle et qui est le moyen de son insertion dans le monde, et de son contact avec les autres.

 

2. Aujourd’hui, il s’agit d’une nébuleuse autour de notions que beaucoup de gens mélangent et confondent allégrement et sur lesquels ils ne voient pas bien les enjeux.

Beaucoup de gens ne voient pas très bien la différence entre résurrection, réincarnation, survie de l’âme, et toutes les questions liées

Tout cela est un peu pareil pour bien des gens qui ne veulent pas chercher plus loin. Beaucoup se disent encore que c’est déjà beau de croire à une vie après la mort, alors que tout le monde n’y croit pas : « c’est déjà pas mal. Ne soyons pas trop exigeant et d’ailleurs, tout le reste, on ne sait pas trop. Donc que ce soit réincarnation ou autre chose, du moment qu’on affirme une vie après la mort, est-ce que cela ne suffit pas ? Est-ce qu’il faut rentrer dans les détails ? Est-ce que la réincarnation ne serait pas aussi une hypothèse aussi crédible que la résurrection, par exemple ? À partir du fait que la première chose à affirmer, c’est la vie après la mort ? »

Est-ce qu’il faut ensuite se battre sur des nuances ?  

Parce que les gens croient qu’il s’agit de nuances ! Ce n’en sont pas, évidemment, puisqu’il s’agit de tout ce qui se rapporte à notre éternité et à la manière de s’y préparer. Mais le New Age et les différentes modes orientales ont remis le sujet au goût du jour. Alors parlons-en ! …

 

 

3. Cette croyance est cependant en contradiction claire avec l’Écriture et Tradition de l’Église.

 

Les gens qui parlent de la réincarnation essaient parfois de se fonder sur certains textes bibliques

Par exemple, Élie qui a été enlevé (2 Rois 2,1-12) et qui doit revenir (selon Malachie 3,23 repris par Matthieu 11,14 et 17,11), ou l’esprit d’Élie envoyé sur Élisée (2 Rois 1,15) ou Hénok lui aussi enlevé par Dieu (Genèse 5,24 ; Hébreux 11,5) et qui reviendra sans doute. Ou encore dans l’Évangile la manière qu’ont certains de comprendre le questionnement autour de Jésus : « C’est un prophète de jadis qui serait revenu, etc. » (Marc 6,14-16). Ou encore l’épisode des morts qui réapparaissent dans l’Évangile après la Passion dans saint Matthieu ... Dans ce dernier cas, c'est en fait un signe eschatologique, c’est-à-dire que déjà, le jugement est en train de se produire car quand Jésus meurt, on touche les derniers temps et on est déjà tout près de l’événement ultime, que l’on commence à voir déjà se réaliser. C’est une sorte d’anticipation de ce que sera la résurrection générale, rien à voir avec la réincarnation.

A partir de tout cela, certains en arrivent à penser qu’il y avait une croyance très générale dans la réincarnation et que c’est seulement la dogmatique chrétienne qui, ensuite, s’y serait opposée. À cela, je crois qu’il faut répondre le plus clairement possible que ce n’est pas absolument pas le cas, pour bien des raisons, que nous allons développer.

Les anciens Hébreux avaient en réalité une vision toute contraire : la vie terrestre, sur Terre, avec un corps et une âme, était d’abord la seule chose que l’on pouvait véritablement affirmer

Dans l’Ancien Testament, la vie terrestre a du poids et tout le reste est moins considéré ... Comme dit le Psaume : « les morts ne louent pas le Seigneur » (Psaume 113,17), c’est-à-dire que la vie après la mort est vue dans un premier temps comme une pâle survie sans grand intérêt. L’idée essentielle est de réussir sa vie ici-bas. Les Juifs avaient probablement cette vision des choses car ils étaient très opposés à la vision que les Égyptiens et d’autres peuples avaient de l’au-delà : une transposition idéalisée du monde ici-bas. Cela paraissait aux Juifs une réduction du pouvoir de Dieu, comme s'il se contentait de cautionner ce rêve des hommes qui veulent se prolonger au-delà de la mort.

L’idée biblique est que nous ne savons rien de très clair au-delà de la mort et nous devons nous en remettre complètement à Dieu 

Telle est la première vision que l’on trouve dans les textes les plus anciens, notamment dans certains Psaumes. Cependant à partir d’un certain moment, il semble que le voile commence à se lever. On parle de « résurrection ». « Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront » (Isaïe 26,19). C’est aussi dans Daniel. Il y a également la vision des ossements desséchés d’Ézéchiel (Ézéchiel 37,9) puis après, les textes du 2e livre des Macchabées, où l’on affirme très clairement la résurrection de la chair.

L’Ancien Testament conclut donc sur l’idée qu’un jour, Dieu remettra d’aplomb l’être humain, avec son corps et son âme, en lui destinant une éternité de bonheur

Jésus s’inscrit bien sûr complètement dans cette vision des choses quand il parle de la résurrection, qui n’est pas une idée, mais vraiment une réalité pour lui (cf. Luc 20,38). Il fonde cette affirmation sur le passage de l'Exode où Dieu se présente comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c’est-à-dire que pour Dieu il existent toujours. Il dit également par exemple qu’après la résurrection, il n’y aura plus de mariage humain, au sens de reproduction humaine, de l’espèce puisque l’on aura atteint l’effectif plénier : on sera comme les anges du ciel et l’on connaîtra auprès de Dieu le bonheur qu’il nous avait promis (Matthieu 22,30). L’Apocalypse aussi va tout à fait dans ce sens-là.

« Les hommes ne meurent qu'une fois, après quoi il y a un jugement » (Hébreux 9,27)

C’est cette tradition constante que l’Église a recueillie en affirmant donc que l’être humain n’existe que depuis sa conception et qu’ensuite, il connaît une fois la mort – et une fois seulement – et que c’est là qu’il était jugé dans une première forme de jugement, qui s’appelle le jugement particulier, qui ouvre sur un choix radical entre la volonté de Dieu et, au contraire, le rejet de Dieu avec la possibilité, si la vie n’a pas été toujours dans l’axe de ce choix positif, d’une rectification, d’une purification : ce qu’on appelle le purgatoire. Viendra ensuite le jugement dernier et la résurrection de la chair : « Je crois en la résurrection des morts » nous fait dire le Symbole de Nicée-Constantinople. C’est le Christ Sauveur qui nous libère, et non une série de réincarnations jusqu’à atteindre une perfection illusoire par nos propres forces.

La Révélation insiste sur l’idée que chaque personne humaine est unique aux yeux de Dieu

« Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t'oublierai pas. Je t'ai gravé sur les paumes de mes mains » (Isaïe 49,15). Dieu nous aime ainsi, personnellement, et il n'y a pas de réincarnation en d'autres personnes. C'est impossible, illogique, contraire à la foi et il n'y a non plus aucun élément rationnel pour y croire.

 

4. L’idée de réincarnation s’oppose frontalement à la vision de l’âme et du corps que nous présente le Christianisme. Dans la perspective biblique et en toute logique philosophique traditionnelle, l’âme et le corps sont intrinsèquement liés et c’est ensemble qu’ils constituent l’être humain. Le composé humain tel que Dieu le crée, ce n’est pas une âme d’un côté et un corps de l’autre. En ce sens, l’Église a toujours affirmé qu’il n’y a pas de préexistence des âmes, corrigeant Origène qui avait pu y croire à un moment.

C’est évidemment la vision de l’homme qui est en jeu, c’est-à-dire le rapport entre l’âme et le corps

Qu’est-ce que nous sommes ? Est-ce que nous sommes le conglomérat d’une chair et d’un esprit, le corps est-il une chose qu’on prend et qu’on laisse ? Ce serait une forme de platonisme dans laquelle la corporéité ne serait pas prise au sérieux, ni d’ailleurs la notion de jugement.

Le composé humain tel que Dieu le crée, ce n’est pas une âme d’un côté, et un corps de l’autre

D’un point de vue philosophique, comme on l’a vu, l’âme est profondément liée au corps, mais on peut aussi fonder bibliquement encore plus solidement les choses, parce que, clairement, le composé humain tel que Dieu le crée n’est pas une âme d’un côté, un corps de l’autre. C’est pour cela que l’Église affirme qu’il n’y a pas de préexistence des âmes, malgré ce qu’affirmait Origène, un Père de l’Église pourtant très respectable par ailleurs.

L’Église s’est opposé à Origène : il n’y a pas de préexistence des âmes

L’Église refuse clairement cette doctrine connexe à celle de la réincarnation, surtout au deuxième Concile de Constantinople au 6e siècle : nous n’existions pas avant de naître, nous n’étions rien avant d’être conçus et notre nature est celle d'un être composé d’âme et de corps. Nous ne sommes pas des anges par défaut : on n’est pas « deuxième ange », comme disait le Concile.

Ce qui est propre à l’homme, c’est d’être à la charnière du monde matériel et du monde spirituel

Ce qui fait notre humanité, c’est de nous trouver à la charnière, en quelque sorte, des deux ordres de création que Dieu a voulus : la création matérielle, avec toute sa splendeur, ce cosmos avec la prodigieuse variété des êtres que le peuplent, et, d’autre part, la vie de l’âme, de la raison, de la pensée et de l’amour, qui est celui auquel appartiennent les anges, mais eux, sont des formes immatérielles. Nous, nous sommes dans une situation qui nous permet de faire chanter la création inanimée (qui, sans cela, serait sans voix). Et faire chanter la louange du Créateur donne un sens à cette création. 

Dieu ne trouve pas tant sa joie dans la régularité du mouvement des sphères que dans cette liberté créée, appelée à consoner avec sa liberté éternelle

Dieu veut qu’à travers les aléas de notre vie nous parvenions librement à interagir avec lui et à donner une conscience à toute la création. Or tout cela n’est possible que parce que nous sommes immergés dans cette création par notre corps. Donc la mort, qui existe bien sûr depuis le péché d’Adam, est une sorte de cassure de cette chose si merveilleuse que Dieu avait voulue. Bien sûr, il y a  quelque chose de nous qui va pouvoir survivre à la mort du corps. On ne va pas vers une extinction totale. L’âme, on ne dit pas trop ce que c’est, la Bible a plusieurs mots pour en parler : « l’homme intérieur », le « cœur » et « l’âme » comme dit Jésus lui-même quand il déclare : « ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent pas tuer l'âme ». Cela veut dire qu’il y a quelque chose de nous qui reste, comme le fil qui relie les perles du collier, c'est l'âme qui relie ainsi les différentes phases de notre existence : sur terre, après la mort, et pour la vie de ressuscité.

Il y a quelque chose qui porte notre sujet spirituel et qui ne va pas être soumis à la mort, mais que la mort quand même atteindra profondément, comme un escargot sans sa coquille 

Quand Dieu pense à l’homme, il pense à tout l’être humain, corps et âme. Par exemple, un sourire – est-ce que c’est l’âme, est-ce que c’est le corps ? – C’est les deux, ensemble. Et tout ce qu’il y a comme expérience plénière dans notre vie se fait à travers l’âme et à travers le corps qui en est comme la caisse de résonance. C'est de cet être là que Dieu est épris.

 

5. Cette croyance s’oppose également à la notion de jugement de Dieu qui est essentielle et que nous recevons de la Tradition biblique, car un jugement à répétition n’est plus un jugement.

 

La question d’un jugement avec des conséquences éternelles est aussi bien souvent suspectée

Souvent on se dit : « Comment, au terme d’une vie qui peut être brève et sans intérêt, peut-on être jugé pour l’éternité ? » ou encore : « Qu’est-ce qu’on vit sur terre ? Dix ans, vingt ans, trente ans, cinquante ans... : qu’est-ce que cela en regard de l’éternité ? Nous engagerions sur un seul coup de dé tout notre avenir : c’est invraisemblable ! Dieu ne peut pas nous juger ainsi , comme il ne peut pas juger des petits bébés : qu’est-ce qu’ils ont fait de mal ?», etc. La croyance en la réincarnation semble plus rassurante, elle dit : : « D’accord, il y a des conséquences à nos actes; si nous avons été cruels, on revivra peut-être sous une forme animale éprouvante ; il y aura un châtiment immanent, mais il n’y aura pas de jugement définitif et on pourra, de vie en vie, se purifier jusqu’au retrouver la Plénitude (le « Nirvâna »), etc. Le refus de la notion de jugement absolu à partir d’une seule vie fait aussi partie de l'argumentaire des réincarnationnistes.

Face à tout cela, il faut d’abord développer la notion biblique de « jugement », qui n’est pas un jugement arbitraire

Il n’y a pas un Dieu capricieux qui dirait sans raison : « celui-là est bon pour l’enfer », « celui-là, je vais l’amener au paradis ». Le jugement est au contraire de la mise à jour de l’orientation profonde d’une liberté sur les choix successifs qu’elle a été amenée à faire. C’est dans la confrontation ultime de l’homme et de Dieu que se jouera l’éternité de l’homme, qui est appelé à donner une réponse définitive à Dieu.

Si nous n’étions jamais capables de donner une vraie réponse à Dieu, cela voudrait dire que tout peut toujours être remis en cause et que jamais nous ne connaîtrons un bonheur durable

Si les choix que nous faisons à un moment peuvent toujours être remis en cause à un autre moment, ce serait très triste, car cela voudrait dire que jamais nous ne pourrons connaître un bonheur durable. Donc, à l’inverse, si nous croyons que Dieu nous a créés par amour parce qu’il veut pour nous un bonheur éternel, cela veut dire qu’à un moment, - pas tout de suite, pas dans l’instant -, mais le jour de la résurrection, Dieu ayant obtenu de nous une réponse qui sera définitive, nous donnera un bonheur lui aussi définitif : partager sa vie pour toujours.

Le jugement n’est pas autre chose que cette capacité de l’homme d’une vraie réponse à l’amour de Dieu

C’est notre grandeur d’êtres humains d’être soumis à un choix ultime. Notre liberté a été rendue capable d’un vrai choix, d’un choix qui engage la vie. Et c’est cela, le jugement qui se fera dans la justice, la vérité et l’amour.

Dans les témoignages des expériences de mort imminente (EMI), on trouve également une forme de confirmation de la doctrine chrétienne

Il est frappant de constater que sur tous les continents et dans toutes les cultures, tous ceux qui sont revenus d'un état très proche de la mort décrivent une expérience en tous points conformes à la doctrine chrétienne, avec l'idée d'un jugement dans l'amour et la lumière, et au milieu de la communion des saints et dans la proximité des âmes des personnes aimées.

 

6. Comment comprendre et aider à avancer ceux qui ont cette vision des choses qui leur parait plus rassurante, plus naturelle, plus normale, moins stressante que l’idée d’un jugement définitif ? Il faut insister sur le fait que la grandeur de l’homme est de pouvoir donner à Dieu une réponse définitive et que sans cela il ne serait pas possible d’atteindre un bonheur parfait et durable.

 

L’idée qu’on peut toujours effacer sa copie nous infantilise

Certes, c’est déjà très beau d’essayer de dépasser l’échelle de la vie présente, d’élever le regard au-delà et d’avoir finalement conscience que notre existence fait partie d'une destinée globale, et n’est pas simplement un épiphénomène destiné à disparaître. Mais, d’un autre côté, la solution que propose la réincarnation, qui semble simple et facile, nous maintient dans un état d'enfance et nous empêche d'affronter la réalité. C’est l’idée qu’au fond, on peut toujours effacer sa copie, alors qu’à l’inverse, un adulte sait que, dans le monde réel, il y a des choix irréversibles et que c’est en les affrontant qu’on se construit.

L’idée de la résurrection est par contre venue de Jésus : ce n’est pas une projection de notre désir

La Résurrection de la chair, telle que le Nouveau Testament nous la présente, n’est pas du tout l’image que l’homme se fait naturellement de l'après-mort. Elle ne résulte pas de la projection de notre désir, parce qu’on n’aurait pas désiré ni imaginé cela, elle ne procède pas du rêve d’une éternité compensatoire des tristesses de cette vie. Elle correspond vraiment à ce que Dieu nous a révélé de son dessein sur nous. Si nous ne l’avions pas reçu, cela n’aurait certainement jamais germé autrement et d’ailleurs cette idée n'est présente nulle part ailleurs que dans le christianisme.

QUESTIONS DE FOND – Aleteia

 

   À lire et à méditer ...

Marie, Temple de la Trinité

Ô Marie, Temple de la Trinité, Ô Marie, porteuse de feu, Marie, distributrice de miséricorde, Marie, qui as fait germer le fruit divin !

Ô Marie, mer tranquille, distributrice de paix, Marie, terre féconde. Tu es l'arbre nouveau qui a porté la fleur odorante du Verbe, Fils unique de Dieu.

En toi, terre féconde, fut semé le Verbe. Tu es à la fois la terre et l'arbre.

Ô Marie, char de feu, tu as porté le feu caché et voilé sous la cendre de ton humanité.

Ô Marie, vaisseau d'humilité, en toi se conserve et brille la lumière de la vraie science, avec laquelle t'élevant au-dessus de toi-même, tu as charmé le Père éternel.

Ô Marie, tu es devenue le livre où est écrite notre loi. Aujourd'hui tu as écrit en toi la Sagesse du Père éternel.

Ô Marie, bénie sois-tu à jamais entre toutes les femmes, car en ce jour tu nous as donné le pain de ta farine : la divinité a été unie et pétrie avec l'humanité, si fortement que rien désormais, ni la mort, ni nos ingratitudes, ne pourra rompre l'union.

Ste Catherine de Sienne

Sainte Catherine de Sienne († 1380), tertiaire dominicaine, fut partagée, sa vie durant, entre la soif de contempler le Christ en croix et le service de l'Église. Docteur de l'Église, elle est copatronne de l'Europe. / Prière faite à Rome, 25 mars 1379, in Œuvres de Sainte Catherine de Sienne, Paris, Lethielleux, 1802.

« En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5)

Notre sainteté est d’ordre essentiellement surnaturelle. Tous les efforts réunis de la nature ne peuvent produire un acte surnaturel, un acte qui ait quelque proportion avec notre fin, laquelle est la vision béatifiante de l’adorable Trinité. (…) Mais Dieu, qui accomplit toutes ses œuvres avec une infinie sagesse, nous a donné, dans la grâce, le moyen de réaliser en nous ses desseins divins.

Sans la grâce, ‒ et cette grâce ne vient que de Dieu, ‒ nous sommes incapables de faire quoi que ce soit pour arriver à notre fin surnaturelle ; S. Paul nous dit que, sans elle, nous ne pouvons avoir une bonne pensée qui nous soit comptée comme digne de la béatitude éternelle (cf. 2 Co 3,5). C’est l’écho de la parole du Christ : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5), vous ne pouvez atteindre le but suprême ; vous ne pouvez devenir des saints. Le Christ Jésus nous a commenté lui-même cette vérité : il nous a dit qu’il est la vigne et que nous sommes les branches ; pour produire des fruits, il faut que nous lui restions unis par la grâce, afin que, tirant de lui la sève surnaturelle, nous puissions rapporter à son Père des fruits qui lui soient agréables.

Vous voyez par là la nécessité où est l’âme de ne pas s’écarter de Dieu, source de la grâce sans laquelle nous ne pouvons rien. Mais, bien plutôt, nous devons nous livrer à lui sans réserve, car « avec cette grâce nous pouvons tout » (…). Il n’est pas d’œuvre honnête, si banale ou si ordinaire soit-elle, qui, faite sous l’inspiration de la grâce, ne puisse contribuer à nous faire parvenir à cette exaltation suprême qu’est la vision béatifique ; car « tout concourt au bien de ceux que Dieu appelle à vivre en union avec lui » (Rm 8,28).

Bienheureux Columba Marmion (1858-1923)

abbé

L’esprit d’abandon (Le Christ Idéal du Moine, éd. DDB, 1936 ; p. 501-502 ; rev.)

« Qu’ils soient un ! »

Il y a une seule Église qui, par sa fécondité toujours croissante, embrasse une multitude toujours plus ample. Le soleil envoie beaucoup de rayons, mais sa source lumineuse est unique ; l’arbre se divise en beaucoup de branches, mais il n’a qu’un tronc vigoureusement appuyé sur des racines tenaces ; d’une source découlent bien des ruisseaux ; cette multiplicité ne s’épanche, semble-t-il, que grâce à la surabondance de ses eaux, et pourtant tout se ramène à une origine unique. Séparez un rayon solaire de la masse du soleil, l’unité de la lumière ne comporte pas un tel fractionnement. Arrachez une branche à un arbre : le rameau brisé ne pourra plus germer. Coupez un ruisseau de la source, l’élément tronqué tarit.

Il en va de même de l’Église du Seigneur : elle diffuse dans l’univers entier les rayons de sa lumière, mais une est la lumière qui se répand ainsi partout, l’unité du corps ne se morcelle pas. Elle étend sur toute la terre ses rameaux d’une puissante vitalité, elle épanche au loin ses eaux surabondantes. Il n’y a cependant qu’une seule source, qu’une seule origine, qu’une seule mère.

Le sacrement de l’unité, ce lien d’une concorde indissolublement cohérente, nous est représenté dans l’Évangile par cette tunique de notre Seigneur Jésus Christ, laquelle n’est point divisée ni déchirée, mais qui, tirée au sort pour savoir qui revêtirait le Christ, arrive intacte à celui qui en devient le maître, sans qu’elle ait été abîmée ni découpée. Le peuple du Christ, lui non plus, ne peut être divisé. Et sa tunique, une, d’une seule pièce, d’un seul tissu, figure la concorde si cohérente de notre peuple, à nous autres qui avons revêtu le Christ.

Indivisible est l’unité ; un corps ne peut perdre sa cohésion ni être mis en pièces, ses entrailles déchirées et dispersées et dispersées en morceaux. Tout ce qui s’éloigne du centre de la vie ne saurait vivre et respirer à part, il perd la substance de son salut.

Saint Cyprien (v. 200-258)

évêque de Carthage et martyr

De l’unité de l’ Église, 5, 7, 23 (trad. P. de Labriolle, éd. du Cerf, 1942 ; p. 11 s.)


  

LA RÈGLE DE SAINT-BENOÎT